Residex Capital IV CV v Gemeente Rotterdam.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:354
Date26 May 2011
Celex Number62010CC0275
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-275/10

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Juliane Kokott

présentées le 26 mai 2011 (1)

Affaire C‑275/10

Residex Capital IV CV

contre

Gemeente Rotterdam

[demande de décision préjudicielle formée par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas)]

«Concurrence – Aides d’État –Récupération d’une aide d’État contraire au droit de l’Union – Garantie donnée à un emprunt – Nullité des actes en droit national en cas de violation de dispositions légales impératives – Pouvoirs du juge national – Article 108, paragraphe 3, troisième alinéa, TFUE»






I – Introduction

1. Une autorité publique peut-elle être appelée en garantie lorsqu’elle a accordé elle-même cette garantie auparavant en violation des dispositions du droit de l’Union relatives aux aides d’État et sans autorisation de la Commission européenne? Cette question constitue le cœur du problème juridique dont la Cour est saisie dans la présente affaire.

2. Un service de la ville de Rotterdam aux Pays-Bas avait accordé une garantie en 2003 dans des circonstances mystérieuses pour un prêt d’un montant de 23 millions d’euros accordés par Residex Capital IV CV (ci-après «Residex») à RDM Aerospace NV (ci-après «Aerospace»). Celle-ci n’ayant pas remboursé intégralement ce prêt, Residex a fait appel à la garantie de la ville et a assigné cette dernière à la fin de l’année 2004 au paiement de plus de 10 millions d’euros. Devant le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), la juridiction saisie, la ville de Rotterdam se défend notamment en invoquant que la garantie litigieuse aurait été accordée en violation du droit de l’Union et serait dès lors nulle selon le droit civil.

3. Il est à présent demandé à la Cour de dire si le droit de la concurrence de l’Union – plus précisément l’interdiction de mise à exécution des aides d’État en vertu de l’article 108, paragraphe 3, troisième alinéa, TFUE – habilite, voire même oblige une juridiction nationale de considérer comme nulle une garantie communale non notifiée à la Commission et non approuvée par cette dernière.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4. Dans cette affaire, le cadre juridique en droit de l’Union est défini par l’article 108, paragraphe 3, troisième alinéa, TFUE (anciennement l’article 88, paragraphe 3, troisième alinéa, CE). À cela s’ajoutent les communications de la Commission dans lesquelles la Commission, en tant qu’autorité de la concurrence de l’Union européenne, fait connaître sa pratique administrative et ses opinions juridiques au sujet de certaines questions en droit des aides. Dans le présent cas d’espèce, la communication de la Commission relative aux garanties et celle relative au rôle des juridictions nationales sont pertinentes.

1. La communication relative aux garanties

5. Il résulte de la communication de la Commission sur l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d’État sous forme de garanties (2) (ci-après la «communication relative aux garanties») qu’une garantie liée à un prêt ou à une autre obligation financière peut constituer une aide tant pour l’emprunteur que pour le prêteur.

6. À cet égard, aux termes du point 2.2 de cette communication, intitulé «Aide à l’emprunteur», il est prévu:

«Le bénéficiaire de l’aide est généralement l’emprunteur […]. Lorsque l’emprunteur ne paie pas la prime ou paie une prime inférieure, il obtient un avantage. […] Il est des cas où, sans la garantie de l’État, il ne trouverait pas d’établissement financier disposé à lui concéder un prêt, à quelque condition que ce soit. […]»

7. Toutefois, le point 2.3 de la communication relative aux garanties, intitulé «Aide au prêteur», précise:

«2.3.1. Même si le bénéficiaire de l’aide est généralement l’emprunteur, on ne peut exclure la possibilité que, dans certaines situations, le prêteur en bénéficie lui aussi directement. À titre d’exemple, si une garantie de l’État est accordée ex post pour un prêt ou une autre obligation financière déjà contractés sans que les modalités de ce prêt ou de cette obligation financière ne soient adaptées, ou si un prêt garanti est utilisé pour rembourser un autre prêt, qui lui n’est pas garanti, au même établissement de crédit, il est alors possible que le prêteur bénéficie aussi d’une aide, dans la mesure où le prêt devient plus sûr. […]

2.3.2. Les garanties diffèrent des autres aides d’État, comme les subventions ou les exonérations fiscales, dans la mesure où, lorsqu’il s’agit d’une garantie, l’État contracte aussi un lien juridique avec le prêteur. Il convient donc d’examiner les conséquences éventuelles pour les tiers des aides d’État octroyées illégalement. […] La question de savoir si l’illégalité de l’aide affecte le lien juridique qui existe entre l’État et les tiers relève du droit national. Il peut arriver que les tribunaux nationaux doivent examiner si le droit interne empêche d’honorer les contrats de garantie et la Commission considère que leur appréciation doit tenir compte de la violation du droit communautaire. […]»

8. Parmi les «conditions excluant l’existence d’une aide», le point 3.1 de la communication relative aux garanties énonce, sous le titre «Considérations d’ordre générale»:

«Si une garantie individuelle […] n’apporte […] aucun avantage à une entreprise, [elle] ne constitue […] pas [une aide] d’État.

[…]»

9. La version précédente de la communication relative aux garanties de 2000 (3) avait, en substance, le même contenu.

2. La communication relative au rôle des juridictions nationales

10. Dans la communication de la Commission relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales (4) (ci-après la «communication relative au rôle des juridictions nationales»), il existe un titre 2.2 sur les «Aides d’État illégales».

11. Dans ce titre, on peut lire au sous-titre 2.2.1 intitulé «Empêcher le versement de l’aide illégale»:

«28. Les juridictions nationales sont tenues de protéger les droits des justiciables affectés par la violation de l’interdiction de mise à exécution. Elles doivent donc, conformément à leur droit national, tirer toutes les conséquences juridiques appropriées de la méconnaissance de [l’article 108, paragraphe 3, TFUE]. Toutefois, leurs obligations ne se limitent pas aux aides illégales déjà versées. Elles s’appliquent également dans les cas où une aide illégale est sur le point d’être versée. […] Lorsqu’une aide illégale est sur le point d’être versée, la juridiction nationale doit donc empêcher la réalisation de ce paiement.

[…]»

12. Il est écrit, en outre, au sous-titre 2.2.2 de cette communication, intitulé «Récupération de l’aide illégale»:

«30. Lorsque l’aide a été octroyée illégalement, la juridiction nationale doit tirer toutes les conséquences juridiques de cette illégalité conformément à son droit national. Elle doit donc en principe exiger du bénéficiaire le remboursement intégral de l’aide d’État illégale. […] »

B – Le droit national

13. En droit néerlandais, c’est l’article 3:40, paragraphe 2, du code civil (5) (ci-après le «BW») qui est pertinent:

«La violation d’une disposition légale contraignante entraîne la nullité de l’acte, ou seulement, si la disposition vise uniquement la protection d’une des parties à un acte multilatéral, la possibilité d’annulation de l’acte, et en tous les cas, pour autant qu’il ne découle pas de la portée de la disposition qu’il doit en être autrement.»

III – Les faits au principal

14. Residex a acquis en 2001 des actions dans MD Helicopters Holding NV (ci-après «MDH»), filiale d’Aerospace (6). Dans le cadre de cette acquisition, Residex avait obtenu une option de vente en vertu de laquelle elle pouvait revendre ultérieurement les actions de MDH à Aerospace sous certaines conditions.

15. Au mois de février 2003, Residex a exercé cette option de vente. Toutefois, elle n’a pas reçu le paiement du prix de vente qui lui était dû. En revanche, au mois de mars 2003, elle a transformé sa créance de 8,5 millions d’euros environ en un prêt à Aerospace. Elle a en outre mis à disposition d’Aerospace un crédit de 15 millions de USD (7). En conséquence, le prêt global qu’Aerospace a reçu de Residex s’élevait à environ 23 millions d’euros.

16. La raison de l’octroi de ce prêt était apparemment le comportement du directeur de l’époque de l’autorité portuaire de la ville de Rotterdam (8) qui a proposé à Residex la constitution d’une garantie par l’autorité portuaire pour garantir un prêt à consentir à Aerospace. En effet, au mois de mars 2003, l’autorité portuaire de Rotterdam s’est portée garante en faveur de Residex pour un montant maximum de 23 012 510 euros, à majorer des intérêts et des frais du prêt.

17. Sans cette garantie, qui n’a pas été notifiée à la Commission et, partant, n’a pas été autorisée par elle, Aerospace n’aurait pas pu se procurer un tel prêt selon les indications de la juridiction de renvoi.

18. Selon Residex, Aerospace n’a remboursé le prêt qu’à concurrence de 16 millions d’euros. C’est la raison pour laquelle au mois de décembre 2004, Residex a fait appel à la garantie de la ville de Rotterdam pour un montant de 10 240 252 euros plus intérêts et frais de recouvrement. Toutefois, cette dernière a refusé de payer.

19. Devant la juridiction de renvoi, Residex et la ville de Rotterdam se disputent désormais la question de savoir si la garantie constituée par l’administration portuaire est valide. D’une part, le débat judiciaire tourne autour du pouvoir de représentation du directeur de l’autorité portuaire et de la compatibilité de la garantie avec les dispositions de droit communal. D’autre part, la ville de Rotterdam fait valoir la nullité de la garantie en raison de la violation de l’interdiction des aides d’État en droit de l’Union. Par ailleurs, la ville de Rotterdam conteste le montant de la créance invoquée par Residex.

20. Residex a échoué dans ses prétentions tant en première instance devant le Rechtbank Rotterdam qu’en appel devant le Gerechtshof te...

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