Opinion of Advocate General Kokott delivered on 7 November 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:941
Celex Number62017CC0584
CourtCourt of Justice (European Union)
Date07 November 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 7 novembre 2019 (1)

Affaire C584/17 P

ADR Center SpA

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Conventions de subvention entre la Commission et des bénéficiaires de subventions – Adoption d’une décision qui forme titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE (décision formant titre exécutoire) aux fins du recouvrement de subventions octroyées par voie contractuelle – Pouvoir de la Commission d’adopter des décisions unilatérales de récupération aux fins du recouvrement de créances contractuelles – Contrôle juridictionnel – Compétence et pouvoir de contrôle du juge de l’Union »






Table des matières


I. Introduction

II. Le cadre juridique

A. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

B. Le règlement financier de l’Union européenne

III. Les antécédents du pourvoi

A. Les conventions de subvention conclues

B. La décision de recouvrement de la Commission

C. La procédure devant le Tribunal

IV. La procédure de pourvoi et les conclusions des parties

V. Appréciation

A. Sur le second moyen

1. Sur le pouvoir de la Commission d’adopter des décisions formant titre exécutoire aux fins du recouvrement de créances contractuelles

a) Sur l’article 299 TFUE

b) Sur l’article 299 lu en combinaison avec l’article 263, l’article 272 et l’article 274 TFUE

c) Sur l’article 79, paragraphe 2, du règlement financier no 966/2012.

d) Conclusion intermédiaire

2. Sur la compatibilité de l’adoption de décisions formant titre exécutoire aux fins du recouvrement de créances contractuelles avec les droits fondamentaux de l’Union

a) Sur la protection de la confiance légitime

b) Sur le droit à un recours effectif

1) Sur la qualification des décisions formant titre exécutoire adoptées aux fins du recouvrement de créances contractuelles en tant qu’actes devant faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE

2) Sur l’effet non suspensif des recours en annulation dirigés contre des décisions formant titre exécutoire adoptées aux fins du recouvrement de créances contractuelles

3) Sur l’interprétation de la distinction entre recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE et recours contractuels au titre de l’article 272 TFUE dans la jurisprudence du Tribunal

i) Sur les recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE dirigés contre les décisions formant titre exécutoire adoptées aux fins du recouvrement de créances contractuelles

– Sur la pertinence du contrat et du droit national dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre une décision formant titre exécutoire

– Sur le droit de l’Union applicable aux contrats conclus par l’Union

– Conclusion

ii) Sur la nécessité d’examiner toutes les questions de fait et de droit pertinentes dans le cadre de recours contractuels au titre de l’article 272 TFUE

c) Conclusion intermédiaire

3. Conclusion sur le deuxième moyen

B. Sur le premier moyen

C. Sur les effets du bien-fondé du deuxième moyen concernant l’arrêt attaqué

VI. Dépens

VII. Conclusion


I. Introduction

1. La Commission européenne peut-elle recouvrer des sommes contractuellement dues auprès de ses cocontractants au moyen de décisions unilatérales exécutoires ou doit-elle plutôt saisir le juge du contrat compétent afin d’obtenir un titre exécutoire ?

2. Telle est la question fondamentale du présent pourvoi. Elle se pose en raison de la pratique de la Commission consistant, depuis une quinzaine d’années, à faire valoir des créances nées de contrats, notamment contre les bénéficiaires de subventions, de plus en plus au moyen de décisions unilatérales qui forment titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE (ci‑après « décisions formant titre exécutoire ») (2).

3. Le traitement juridictionnel de ces décisions est compliqué, notamment en raison de la répartition des compétences entre le juge de l’Union, qui est en principe compétent pour connaître des recours en annulation dirigés contre des actes unilatéraux de l’Union, et les juridictions des États membres, qui sont en principe, c’est‑à‑dire en l’absence d’une clause compromissoire correspondante, compétentes pour connaître des litiges relatifs aux contrats conclus par les institutions de l’Union.

4. Dans ce contexte, le Tribunal a développé une jurisprudence complexe et en partie divergente pour opérer une distinction entre, d’une part, les actes de l’Union qui peuvent être détachés des contrats et, d’autre part, les actes de l’Union purement contractuels, tout comme entre les recours en annulation et les recours contractuels correspondants.

5. Dans son arrêt de principe du 20 juillet 2017 (3), attaqué en l’espèce et rendu en chambre élargie, le Tribunal a alors tenté d’établir une solution uniforme sur la base de la jurisprudence jusqu’à ce jour. Cette solution consiste essentiellement à reconnaître le pouvoir de la Commission d’adopter des décisions formant titre exécutoire vis-à-vis de ses cocontractants, tout en s’efforçant de soumettre ces décisions et les créances contractuelles sous‑jacentes au plus large contrôle juridictionnel possible, sans toutefois abandonner la jurisprudence existante relative à la séparation stricte entre recours en annulation et recours contractuels. Partant, la protection juridique reste compliquée également dans le cadre de cette solution.

6. Dans le cadre du présent pourvoi, la Cour est appelée à se prononcer pour la première fois tant sur la question de savoir si la Commission a le pouvoir d’adopter des décisions formant titre exécutoire aux fins du recouvrement de créances contractuelles que sur la question des voies de recours ouvertes aux destinataires de ces décisions. Par conséquent, les conclusions de la Cour auront un impact systémique important. La preuve en est, notamment, que le Tribunal a actuellement suspendu plusieurs procédures dans l’attente de la décision de la Cour sur le présent pourvoi (4).

II. Le cadre juridique

A. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

7. Les articles 272, 274 et 299 TFUE disposent :

« Article 272

La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer en vertu d’une clause compromissoire contenue dans un contrat de droit public ou de droit privé passé par l’Union ou pour son compte.

Article 274

Sous réserve des compétences attribuées à la Cour de justice de l’Union européenne par les traités, les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales.

Article 299

Les actes du Conseil, de la Commission ou de la Banque centrale européenne qui comportent, à la charge des personnes autres que les États, une obligation pécuniaire forment titre exécutoire.

L’exécution forcée est régie par les règles de la procédure civile en vigueur dans l’État sur le territoire duquel elle a lieu. […]

[…]

L’exécution forcée ne peut être suspendue qu’en vertu d’une décision de la Cour. […] »

B. Le règlement financier de l’Union européenne

8. L’article 79, paragraphe 2, du règlement, applicable en l’espèce (5), (UE, Euratom) nº 966/2012 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) nº 1605/2002 du Conseil (ci‑après « le règlement financier nº 966/2012 ») (6) est rédigé comme suit :

« Article 79

Ordonnancement des recouvrements

[…]

2. L’institution peut formaliser la constatation d’une créance à charge de personnes autres que des États membres dans une décision qui forme titre exécutoire au sens de l’article 299 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[…] »

III. Les antécédents du pourvoi

A. Les conventions de subvention conclues

9. En décembre 2008, la Commission a conclu, avec des consortiums dont le coordinateur était la requérante ADR Center SpA (ci‑après « ADR »), trois conventions de subvention destinées à soutenir des études sur le règlement extrajudiciaire des litiges et la médiation dans le domaine de la justice civile (7). Ces conventions de subvention comprenaient des conditions spéciales (chiffre I), des conditions générales (chiffre II) et des annexes (8).

10. Chaque convention de subvention indiquait le montant total des coûts éligibles ainsi que le montant de la subvention à verser par la Commission, qui correspondait à un certain pourcentage des coûts éligibles (9). Selon l’article I.5 des conventions de subvention, la Commission était tenue de fournir un préfinancement aux bénéficiaires, tandis que le solde ne devait être versé qu’après la fin des actions subventionnées, la remise, par les bénéficiaires, des rapports requis et l’approbation des rapports par la Commission (10).

11. L’article I.9 des conventions de subvention disposait (11) :

« La subvention est régie par les stipulations de la convention, par les dispositions communautaires applicables et, de façon subsidiaire, par la législation belge en matière de subventions.

Les décisions de la Commission concernant l’application des stipulations de la convention ainsi que les modalités de sa mise en œuvre peuvent faire l’objet d’un recours de la part des bénéficiaires auprès du Tribunal de première instance des Communautés européennes et, en cas de pourvoi, de la Cour de justice des Communautés européennes. »

12. L’article II.19.5 des conventions de subvention stipulait (12) :

« Les bénéficiaires sont informés du fait qu’en vertu de l’article 256 du traité instituant la Communauté européenne [aujourd’hui, article 299 TFUE], la Commission peut formaliser la constatation d’une créance à charge de personnes autres que des États dans une décision qui forme titre exécutoire. Cette décision est susceptible de recours devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes. »

13. En vertu de l’article II.20 des conventions de subvention, le coordinateur s’engageait à soumettre toutes les données demandées par la Commission ou tout organisme externe mandaté par la Commission. En...

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