Asma Bougnaoui and Association de défense des droits de l’homme (ADDH) v Micropole SA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2016:553
Docket NumberC-188/15
Celex Number62015CC0188
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date13 July 2016
62015CC0188

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 13 juillet 2016 ( 1 )

Affaire C‑188/15

Asma Bougnaoui et

Association de défense des droits de l’homme (ADDH)

contre

Micropole SA

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

«Politique sociale — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Directive 2000/78/CE — Discrimination fondée sur la religion ou les convictions — Exigence professionnelle essentielle et déterminante — Notion — Discrimination directe et discrimination indirecte — Port du foulard islamique»

1.

Dans quelle mesure la prohibition de la discrimination fondée sur la religion ou les convictions en droit de l’Union, en particulier selon la directive 2000/78/CE ( 2 ), entraîne-t-elle l’illégalité du licenciement d’une travailleuse, qui est une musulmane pratiquante, au motif qu’elle refuse de se conformer à une consigne impartie par son employeur (une entreprise du secteur privé) de ne pas porter de voile ni de foulard lorsqu’elle est en contact avec les clients de l’entreprise ? La Cour est saisie de cette question concernant l’article 4, paragraphe 1, de cette directive. Ainsi que je l’expliquerai plus loin, des questions découlant de la distinction établie, à l’article 2, paragraphe 2, sous a) et b), entre discrimination directe et discrimination indirecte sont également pertinentes dans ce contexte ( 3 ).

Le cadre juridique

La convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

2.

L’article 9 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 4 ) énonce :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

3.

En vertu de l’article 14 de la CEDH :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

4.

L’article 1er du protocole no 12 à la CEDH est intitulé « Interdiction générale de la discrimination » ( 5 ). Le paragraphe 1 dispose :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Le traité sur l’Union européenne

5.

L’article 3, paragraphe 3, TUE, énonce :

« L’Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.

Elle combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales […]. »

6.

L’article 4, paragraphe 2, TUE, dispose :

« L’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale. Elle respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. »

La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

7.

L’article 10 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 6 ) est intitulé « Liberté de pensée, de conscience et de religion ». Le paragraphe 1 est libellé comme suit :

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »

8.

L’article 16 de la Charte, intitulé « Liberté d’entreprise », dispose :

« La liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales. »

9.

L’article 21 de la Charte est intitulé « Non-discrimination ». Son paragraphe 1 énonce :

« Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. »

La directive 2000/78

10.

Les considérants de la directive 2000/78 énoncent notamment :

« (1)

Conformément à l’article 6 du traité sur l’Union européenne, l’Union européenne est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs à tous les États membres et elle respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit [de l’Union].

[…]

(9)

L’emploi et le travail constituent des éléments essentiels pour garantir l’égalité des chances pour tous et contribuent dans une large mesure à la pleine participation des citoyens à la vie économique, culturelle et sociale, ainsi qu’à l’épanouissement personnel.

[…]

(11)

La discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle peut compromettre la réalisation des objectifs du traité CE, notamment un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des personnes.

(12)

À cet effet, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle dans les domaines régis par la présente directive doit être interdite dans [l’Union européenne]. […]

[…]

(15)

L’appréciation des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte appartient à l’instance judiciaire nationale ou à une autre instance compétente, conformément au droit national ou aux pratiques nationales […]

[…]

(23)

Dans des circonstances très limitées, une différence de traitement peut être justifiée lorsqu’une caractéristique liée à la religion ou aux convictions, à un handicap, à l’âge ou à l’orientation sexuelle constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée. Ces circonstances doivent être mentionnées dans les informations fournies par les États membres à la Commission.

[…] »

11.

En vertu de son article 1er, la directive a pour objet « d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement ».

12.

L’article 2 de la directive est intitulé « Concept de discrimination ». Il énonce notamment :

« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1 :

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

b)

une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :

i)

cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, […]

[…]

5. La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société...

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