Opinion of Advocate General Kokott delivered on 3 September 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:647
Date03 September 2020
Celex Number62019CC0604
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 3 septembre 2020 (1)

Affaire C604/19

Gmina Wrocław

contre

Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej

[demande de décision préjudicielle formée par le Wojewódzki Sąd Administracyjny we Wrocławiu (tribunal administratif de voïvodie de Wrocław, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112 – Article 14, paragraphe 2, sous a) – Notion de livraison de biens – Conversion d’un usufruit perpétuel en un droit de propriété en vertu de la loi – Transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire – Livraison fictive – Qualité d’assujetti d’une commune lorsqu’elle perçoit des redevances au titre d’une conversion prévue par la loi »






I. Introduction

1. Dans la présente affaire, la Cour doit examiner la question du traitement fiscal d’une acquisition de la propriété en vertu de la loi moyennant le paiement d’une redevance de conversion. En l’espèce, des terrains étaient grevés d’un droit réel spécial (l’usufruit perpétuel), ce qui signifie que le « titulaire du pouvoir économique sur le bien » (à savoir la personne qui utilisait le terrain comme si elle en était le propriétaire), et le « propriétaire formel » (la personne à laquelle appartenait le terrain conformément au droit civil), étaient des personnes distinctes. Les redevances payées par le titulaire du droit d’usufruit perpétuel au propriétaire du terrain étaient soumises à la TVA polonaise.

2. À l’issue d’une réforme du droit de la propriété, les personnes qui, jusque-là, étaient propriétaires des terrains, ont, en vertu de la loi, perdu leur droit de propriété au profit des titulaires du droit d’usufruit perpétuel. Ces derniers sont tenus de continuer à payer les redevances annuelles de l’usufruit perpétuel pendant 20 ans ou d’effectuer un paiement unique d’un montant équivalent. Les redevances désormais perçues par les anciens propriétaires sont-elles soumises à la TVA comme elles l’étaient auparavant ?

3. Il s’agit en l’occurrence de terrains ayant appartenu à une commune. Par conséquent, il y a également lieu de déterminer si la commune a agi ici en tant qu’assujetti ou en tant qu’autorité publique (auquel cas aucune TVA n’est supportée).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. Le cadre juridique du droit de l’Union est régi par les articles 2, 9, 13, 14, 24, et 25, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la « directive TVA ») (2).

5. En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la directive TVA, les livraisons de biens effectuées à titre onéreux [article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive TVA] et les prestations de services effectuées à titre onéreux [article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA] sont toutes deux soumises à la TVA.

6. L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, définit comme « assujetti » quiconque exerce, d’une façon indépendante, une activité économique, quel qu’en soit le lieu, le but ou le résultat.

7. L’article 13, paragraphe 1, de la directive TVA prévoit une exception à l’obligation fiscale de certaines activités accomplies par des organismes de droit public :

« 1. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu’ils accomplissent en tant qu’autorités publiques, même lorsque, à l’occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu’ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non‑assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.

En tout état de cause, les organismes de droit public ont la qualité d’assujettis pour les activités figurant à l’annexe I et dans la mesure où celles‑ci ne sont pas négligeables ».

8. L’article 14, paragraphes 1 et 2, de la directive TVA détermine dans quels cas on peut parler de « livraison » :

« 1. Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

2. Outre l’opération visée au paragraphe 1, sont considérées comme livraison de biens les opérations suivantes :

a) la transmission, avec paiement d’une indemnité, de la propriété d’un bien en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi ;

b) la remise matérielle d’un bien en vertu d’un contrat qui prévoit la location d’un bien pendant une certaine période ou la vente à tempérament d’un bien, assorties de la clause que la propriété est normalement acquise au plus tard lors du paiement de la dernière échéance ;

c) la transmission d’un bien effectuée en vertu d’un contrat de commission à l’achat ou à la vente ».

9. L’article 24, paragraphe 1, de la directive TVA définit une prestation de service comme suit :

« 1. Est considérée comme “prestation de services” toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens ».

10. L’article 25, sous c), de la directive TVA dispose :

« Une prestation de services peut consister, entre autres, en une des opérations suivantes :

[...]

c) l’exécution d’un service en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi ».

B. Droit polonais

11. Les règles précitées de droit de l’Union ont été transposées en droit polonais par la loi relative à la taxe sur les biens et les services (ci‑après la « loi relative à la TVA ») (3). L’article 7, paragraphe 1, de la loi relative à la TVA dispose :

« La livraison de biens [...] s’entend du transfert du pouvoir de disposer des biens comme un propriétaire, y compris :

1) le transfert en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou par une entité agissant au nom de cette autorité, ou le transfert, aux termes de la loi, de la propriété de biens avec paiement d’une indemnité [...]

6) la concession d’un usufruit perpétuel sur des terrains ».

12. Le droit d’usufruit perpétuel est régi par la loi relative à la gestion des biens immeubles (4). Selon l’article 12a, paragraphe 1, de cette loi, les montants dus par les usufruitiers perpétuels relèvent du droit privé.

13. Conformément à l’article 32, paragraphe 1, de la loi sur la gestion des biens immeubles, un terrain concédé en usufruit perpétuel ne peut être vendu qu’à l’usufruitier perpétuel.

14. L’article 32, paragraphe 2, de cette loi précise que le droit d’usufruit perpétuel préalablement constitué s’éteint de plein droit le jour de la conclusion du contrat de vente du terrain.

15. En vertu de l’article 69 de la même loi, le prix d’achat à payer par l’usufruitier perpétuel comprend un montant égal à la valeur de l’usufruit perpétuel sur ce bien immobilier au jour de la vente.

16. La loi relative à la conversion du droit d’usufruit perpétuel sur les terrains bâtis à des fins d’habitation en droit de propriété sur ces terrains (ci‑après la « loi sur la conversion ») (5) dispose à l’article 1er, paragraphe 1, que le 1er janvier 2019, le droit d’usufruit perpétuel sur les terrains bâtis à des fins d’habitation est converti en droit de propriété sur ces terrains.

17. L’article 7 de la loi sur la conversion fixe des règles concernant la redevance à verser. Selon le paragraphe 2 de cette disposition, le montant de la redevance est égal au montant de la redevance annuelle due au titre de l’usufruit perpétuel. Le paragraphe 6 de la même disposition prévoit que la redevance est due pendant une période de 20 ans à compter du jour de la conversion. Le paragraphe 7 de ladite disposition accorde, sur demande, la possibilité de payer ce même montant en une seule fois. L’article 12, paragraphe 2, de la même loi dispose que l’article 12a de la loi sur la gestion des biens immeubles est applicable.

III. Les faits

18. Le litige à l’origine du renvoi préjudiciel concerne une demande de rescrit fiscal présentée par la commune de Wrocław (Pologne) (requérante au principal, ci‑après la « requérante ») au Dyrektor Krajowej Informacji Skarbowej (directeur de l’information nationale du Trésor, ci‑après l’« autorité fiscale »).

19. La requérante est un organisme de droit public, mais elle est également enregistrée en tant qu’assujetti effectif à la TVA. Elle était propriétaire de biens immeubles grevés d’un usufruit perpétuel dont des tiers étaient titulaires.

20. L’usufruit perpétuel est un droit réel temporaire conférant un droit d’usage sur un bien immobilier et octroyant au titulaire un statut similaire à celui de propriétaire. L’usufruitier perpétuel paie une redevance annuelle au propriétaire pendant la durée de son droit. Il est constant entre toutes les parties qu’il y a lieu de qualifier la constitution d’un usufruit perpétuel de livraison de biens à titre onéreux au sens de l’article 5, paragraphe 1, point 1, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, point 6, de la loi relative à la TVA. Il semble également que les parties s’accordent sur le fait que c’est en tant qu’assujetti que la commune a perçu les paiements de l’usufruitier perpétuel.

21. Le 1er janvier 2019, en vertu de la loi sur la conversion, la propriété sur les biens immobiliers est transférée à l’usufruitier perpétuel. En contrepartie, les désormais anciens propriétaires reçoivent un paiement annuel sur une période de 20 ans. Le montant annuel à payer correspond exactement au montant de la redevance annuelle due, jusqu’alors, au titre de l’usufruit perpétuel. Il est également possible, sur demande, de payer la redevance de conversion en une seule fois.

22. La requérante a demandé à l’autorité fiscale si ces redevances étaient également soumises à la TVA. Par décision du 15 janvier 2019, l’autorité fiscale a confirmé que tel était bien le cas. Elle considère que la...

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