Opinion of Advocate General Richard de la Tour delivered on 3 September 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:642
Date03 September 2020
Celex Number62019CC0322
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 3 septembre 2020 (1)

Affaires jointes C322/19 et C385/19

K.S.,

M.H.K.

contre

The International Protection Appeals Tribunal,

The Minister for Justice and Equality,

Ireland and the Attorney General (C-322/19)

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court (Haute Cour, Irlande)]

et

Mme R.A.T.,

M. D.S.

contre

The Minister for Justice and Equality (C-385/19)

[demande de décision préjudicielle formée par l’International Protection Appeals Tribunal (tribunal d’appel pour la protection internationale, Irlande)]

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Directive 2013/33/UE – Normes pour l’accueil des demandeurs de protection internationale – Article 15 – Accès au marché de l’emploi – Conditions d’accès – Interprétation de la condition relative à la qualité de “demandeur” – Interprétation de la condition relative à l’absence de retard imputable au demandeur – Demandeurs à l’égard desquels une décision de transfert a été adoptée en application du règlement (UE) no 604/2013 – Législation nationale privant les demandeurs de cette qualité en raison de l’adoption d’une telle décision – Admissibilité »






I. Introduction

1. Dans les présentes affaires, la Cour est invitée à préciser les modalités d’accueil d’un demandeur de protection internationale (ci-après le « demandeur ») à l’égard duquel une autorité nationale a adopté une décision de transfert vers l’État membre qu’elle a identifié comme responsable de l’examen de cette demande (ci-après l’« État membre responsable ») en application du règlement (UE) nº 604/2013 (2).

2. En particulier, les questions préjudicielles concernent l’accès au marché du travail, qui est une condition d’accueil visée à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2013/33/UE (3). Conformément à cette disposition, les États membres doivent veiller à ce que le demandeur ait accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois à compter de l’introduction de sa demande, lorsque aucune décision en première instance n’a été rendue et que le retard ne peut être imputé au demandeur.

3. Or, la législation irlandaise en cause prévoit que l’adoption d’une décision de transfert à l’égard du demandeur a pour effet de priver l’intéressé de cette qualité ainsi que du droit de demander le permis de travail qui y est associé (4).

4. Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse des principales questions de droit nouvelles qui se posent en l’espèce.

5. La première question est relative à la détermination des bénéficiaires de la mesure prévue à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2013/33 et porte, notamment, sur l’interprétation de la notion de « demandeur » au regard du droit à l’accès au marché du travail prévu par cette disposition. Cette question, qui s’inscrit dans la lignée de l’arrêt du 27 septembre 2012, Cimade et GISTI (5), vise à déterminer si, en application de ladite disposition, un État membre peut refuser l’accès au marché du travail à un demandeur à l’égard duquel une décision de transfert a été adoptée.

6. Dans les présentes conclusions, j’expliquerai les raisons pour lesquelles l’adoption d’une décision de transfert à l’égard d’un demandeur ne saurait avoir pour effet de le priver de cette qualité ainsi que des droits associés à celle-ci.

7. La seconde question est relative à la nature des agissements susceptibles d’avoir engendré un retard imputable au demandeur au sens de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2013/33. La Cour est appelée à déterminer si une autorité nationale peut imputer au demandeur le retard résultant de la mise en œuvre de la procédure de détermination de l’État membre responsable, et ainsi priver ce dernier de l’accès au marché du travail, au motif, premièrement, qu’il n’a pas introduit sa demande de protection internationale auprès de l’État membre de première entrée irrégulière ou, en cas de séjour régulier, auprès de l’État membre de séjour et, deuxièmement, qu’il a introduit un recours juridictionnel contre la décision de transfert adoptée à son égard en application du règlement nº 604/2013.

8. Dans les présentes conclusions, j’exposerai les raisons pour lesquelles, en l’état actuel des textes du régime d’asile européen commun (RAEC) ni l’une ni l’autre de ces circonstances ne peut être considérée comme ayant généré un retard imputable au demandeur au sens de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2013/33, susceptible de le priver de l’accès au marché du travail de l’État membre d’accueil.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

9. Conformément à l’article 78 TFUE, le système européen commun d’asile se compose de plusieurs textes, notamment, de la directive 2011/95/UE (6), laquelle définit les conditions d’octroi de la protection internationale, de la directive 2013/32/UE (7), laquelle précise les modalités procédurales applicables à l’examen d’une demande de protection internationale, de la directive 2013/33, dont l’interprétation est ici demandée et qui énonce les normes d’accueil des demandeurs de protection internationale, et du règlement nº 604/2013, lequel précise les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable.

1. La directive 2011/95

10. Conformément à son article 1er, la directive 2011/95 a notamment pour objet d’établir des normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale.

11. L’article 4 de cette directive, intitulé « Évaluation des faits et circonstances », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1. Les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande.

2. Les éléments visés au paragraphe 1 correspondent aux déclarations du demandeur et à tous les documents dont le demandeur dispose concernant son âge, son passé, y compris ceux des parents à prendre en compte, son identité, sa ou ses nationalités, le ou les pays ainsi que le ou les lieux où il a résidé auparavant, ses demandes d’asile antérieures, son itinéraire, ses titres de voyage, ainsi que les raisons justifiant la demande de protection internationale. »

2. La directive 2013/32

12. La directive 2013/32 a pour objet d’établir les règles et les garanties procédurales applicables à l’examen d’une demande de protection internationale.

13. L’article 2, sous p), de cette directive définit l’expression « rester dans l’État membre » comme « le fait de rester sur le territoire [...] de l’État membre dans lequel la demande de protection internationale a été présentée ou est examinée ».

14. Au sein du chapitre II de ladite directive, intitulé « Principes de base et garanties fondamentales », l’article 9, paragraphe 1, prévoit que « [l]es demandeurs sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en première instance prévues au chapitre III ».

15. L’article 13 de la directive 2013/32, qui énonce les « [o]bligations des demandeurs », dispose :

« 1. Les États membres imposent aux demandeurs l’obligation de coopérer avec les autorités compétentes en vue d’établir leur identité et les autres éléments visés à l’article 4, paragraphe 2, de la directive [2011/95]. Les États membres peuvent imposer aux demandeurs d’autres obligations en matière de coopération avec les autorités compétentes dans la mesure où ces obligations sont nécessaires au traitement de la demande.

2. En particulier, les États membres peuvent prévoir que :

a) les demandeurs doivent se manifester auprès des autorités compétentes ou se présenter en personne, soit immédiatement soit à une date précise ;

b) les demandeurs doivent remettre les documents qui sont en leur possession et qui présentent un intérêt pour l’examen de la demande, comme leurs passeports ;

c) les demandeurs doivent informer les autorités compétentes de leur lieu de résidence ou de leur adresse ainsi que de toute modification de ceux-ci le plus rapidement possible [...] ;

d) les autorités compétentes puissent fouiller le demandeur ainsi que les objets qu’il transporte [...] ;

e) les autorités compétentes puissent photographier le demandeur ; et

f) les autorités compétentes puissent enregistrer les déclarations faites oralement par le demandeur, à condition qu’il en ait été préalablement informé. »

16. Au sein du chapitre III de la directive 2013/32, l’article 31, paragraphe 3, est libellé en ces termes :

« Les États membres veillent à ce que la procédure d’examen soit menée à terme dans les six mois à compter de l’introduction de la demande.

Lorsqu’une demande est soumise à la procédure définie par le règlement [nº 604/2013], le délai de six mois commence à courir à partir du moment où l’État membre responsable de son examen a été déterminé conformément à ce règlement et où le demandeur se trouve sur le territoire de cet État membre et a été pris en charge par l’autorité compétente.

Les États membres peuvent prolonger le délai de six mois visé au présent paragraphe d’une durée ne pouvant excéder neuf mois supplémentaires lorsque :

[...]

c) le retard peut être clairement imputé au non-respect, par le demandeur, des obligations qui lui incombent au titre de l’article 13.

[...] ».

17. L’article 32 de cette directive, intitulé « Demandes infondées », dispose, à son paragraphe 1 :

« [L]es États membres ne peuvent considérer une demande comme infondée que si l’autorité responsable de la détermination a établi que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en vertu de la directive...

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