Opinion of Advocate General Pikamäe delivered on 3 December 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:988
Date03 December 2020
Celex Number62019CC0739
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 3 décembre 2020 (1)

Affaire C739/19

VK

contre

An Bord Pleanála,

en présence de

The General Council of the Bar of Ireland,

The Law Society of Ireland and the Attorney General

[demande de décision préjudicielle formée par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande)]

« Renvoi préjudiciel – Libre prestation des services par les avocats – Directive 77/249/CEE – Article 5 – Obligation pour un avocat établi dans un autre État membre représentant un client dans des procédures judiciaires devant les juridictions nationales d’agir de concert avec un avocat national – Possibilité pour une partie représentée par un avocat étranger dans le cadre d’une procédure de renvoi préjudiciel de se faire représenter par le même avocat dans la suite de la procédure nationale »






I. Introduction

1. Dans la présente affaire ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) soumet à la Cour quatre questions préjudicielles portant sur l’interprétation de l’article 5 de la directive 77/249/CEE du Conseil, du 22 mars 1977, tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (2). Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le requérant au principal, VK, à An Bord Pleanála (organisme de recours en matière de planification), au sujet de l’obligation faite à l’avocate étrangère de ce requérant d’agir de concert avec un avocat inscrit au barreau irlandais aux fins de la représentation dudit requérant devant la juridiction de renvoi.

2. L’article 5 de la directive 77/249 ne précise pas ce qu’implique exactement pour l’avocat établi dans un autre État membre et prestataire de services l’obligation de concertation prévue par cette disposition, laissant ainsi aux États membres une certaine marge de manœuvre dans l’exercice de la transposition. La présente affaire donne à la Cour l’occasion de préciser l’étendue de cette marge de manœuvre, et plus concrètement de déterminer les circonstances dans lesquelles il est justifié d’imposer une telle obligation. Une attention particulière devra être portée à la question de savoir comment concilier la libre prestation des services, consacrée à l’article 56, premier alinéa, TFUE, avec d’autres intérêts légitimes, tels que la nécessité de garantir la protection du justiciable bénéficiant de services juridiques et d’assurer une bonne administration de la justice, des intérêts que cette disposition vise à protéger.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. L’article 1er de la directive 77/249 dispose :

« 1. La présente directive s’applique, dans les limites et conditions qu’elle prévoit, aux activités d’avocat exercées en prestation de services.

[...]

2. Par “avocat”, on entend toute personne habilitée à exercer ses activités professionnelles sous l’une des dénominations ci‑après :

[...]

République fédérale d’Allemagne : Rechtsanwalt,

[...] »

4. L’article 5 de la directive 77/249 prévoit :

« Pour l’exercice des activités relatives à la représentation et à la défense d’un client en justice, chaque État membre peut imposer aux avocats visés à l’article 1er :

– d’être introduit auprès du président de la juridiction et, le cas échéant, auprès du bâtonnier compétent dans l’État membre d’accueil selon les règles ou usages locaux ;

– d’agir de concert soit avec un avocat exerçant auprès de la juridiction saisie et qui serait responsable, s’il y a lieu, à l’égard de cette juridiction soit avec un “avoué” ou “procuratore” exerçant auprès d’elle. »

B. Le droit irlandais

5. L’article 2, paragraphe 1, du European Communities (Freedom to Provide Services) (Lawyers) Regulations 1979 [règlement (libre prestation de services) (avocats) de 1979, ci‑après le « règlement de 1979 »)], transposant les dispositions de la directive 77/249 en droit irlandais, définit l’« avocat prestataire » (« visiting lawyer »), qui est habilité à exercer devant les juridictions d’un autre État membre, en se référant à la liste figurant à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 77/249.

6. L’article 6 du règlement de 1979 dispose :

« Lorsqu’un avocat prestataire exerce, sur le territoire de l’État, des activités relatives à la représentation et à la défense d’un client en justice, il agira de concert avec un avocat autorisé à exercer auprès de la juridiction saisie et qui serait responsable, s’il y a lieu, à l’égard de cette juridiction. »

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

7. Le requérant au principal, VK, est engagé dans une procédure en appel devant la Supreme Court (Cour suprême) relative à la détermination de la charge des dépens de la procédure judiciaire engagée contre le permis délivré en vue de la construction, à proximité de sa ferme, d’un établissement d’inspection des animaux trouvés morts.

8. Le présent renvoi s’inscrit dans le cadre d’un litige ayant précédemment fait l’objet d’un renvoi préjudiciel par la Supreme Court (Cour suprême) qui a ensuite donné lieu à l’arrêt du 17 octobre 2018, Klohn (C‑167/17, EU:C:2018:833).

9. VK avait décidé d’assurer lui‑même sa représentation devant la Supreme Court (Cour suprême).

10. Devant la Cour de justice de l’Union européenne, il était représenté par Me O, une avocate allemande établie en Allemagne (« Rechtsanwältin »).

11. À la suite de l’arrêt du 17 octobre 2018, Klohn (C‑167/17, EU:C:2018:833), l’affaire est revenue devant la Supreme Court (Cour suprême) afin que celle‑ci se prononce sur l’appel interjeté par VK, à la lumière de l’interprétation des dispositions pertinentes du droit de l’Union résultant de l’arrêt de la Cour.

12. C’est dans ce contexte que VK a souhaité charger Me O, avocate non régulièrement autorisée à exercer en Irlande, de la représentation de ses intérêts devant la Supreme Court (Cour suprême).

13. La juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité avec le droit de l’Union de l’article 6 du règlement de 1979 qui impose à l’avocat « étranger » prestataire de faire appel à un avocat national dans une procédure dans laquelle une partie est en droit de comparaître elle‑même.

14. En particulier, elle pose la question de l’interprétation à donner à l’arrêt du 25 février 1988, Commission/Allemagne (427/85, EU:C:1988:98), dans lequel la Cour a examiné le droit d’un État membre d’exiger qu’un avocat prestataire agisse de concert avec un avocat national. Cette juridiction se demande, en substance, si ledit arrêt a pour effet de rendre invalide l’obligation d’agir de concert dans l’hypothèse où la partie que l’avocat prestataire de services souhaite représenter serait autorisée à comparaître elle‑même conformément à la législation nationale.

15. À cet égard, la juridiction de renvoi indique que l’exigence d’agir « de concert » est limitée. Ainsi, il ne serait pas nécessaire que l’avocat national soit l’avocat mandaté ou l’avocat qui présente l’affaire en justice. Il conviendrait de laisser aux deux avocats concernés, à savoir l’avocat prestataire de services et l’avocat exerçant conformément au droit irlandais, le soin de préciser le rôle de l’un et de l’autre. Le rôle de l’avocat exerçant conformément au droit irlandais consisterait plutôt à se faire désigner comme avocat assistant l’avocat prestataire de services dans l’hypothèse où la bonne représentation du client et l’exécution correcte des obligations à l’égard de la juridiction saisie exigeraient des connaissances ou des conseils qui pourraient s’avérer nécessaires précisément en raison du caractère éventuellement limité de la connaissance, par l’avocat prestataire, d’aspects potentiellement pertinents du droit, de la pratique et de la procédure, voire de la déontologie au niveau national. Dès lors, l’étendue de cette coopération dépendrait fortement des circonstances de chaque cas d’espèce, étant entendu qu’il y aurait un réel risque qu’un avocat prestataire omette, par inadvertance, de remplir ses obligations à l’égard de son client ou de la juridiction saisie s’il n’a pas, au moins, indiqué un avocat exerçant conformément au droit irlandais, pour l’assister dans ces domaines.

16. Enfin, la juridiction de renvoi relève que l’une des obligations déontologiques à respecter par tout avocat représentant une partie devant les juridictions irlandaises est l’obligation de faire des recherches dans tous les domaines pertinents du droit et d’attirer l’attention de la juridiction sur tout élément juridique, législatif ou jurisprudentiel, pouvant avoir un effet sur le bon déroulement de la procédure. Cette obligation s’appliquerait même si l’élément en question est défavorable à la cause défendue par cet avocat. Cette obligation serait considérée comme une caractéristique des procédures dans les pays de common law où l’essentiel des recherches nécessaires à une juridiction en vue de se prononcer correctement sur des questions de droit est effectué par les parties plutôt que par la juridiction elle‑même. Il est évident qu’il n’en va pas de même dans les cas où les parties assurent elles‑mêmes leur représentation. Dans ces cas, les juridictions doivent faire ce qu’elles peuvent pour traiter les questions juridiques sans l’assistance d’un avocat pour l’une ou l’autre des deux parties ou bien pour les deux.

17. Dans ces conditions, la Supreme Court (Cour suprême) a décidé de sursoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Est-il interdit à un État membre de faire usage de l’option figurant à l’article 5 de la [directive 77/249], qui permet à un État membre d’imposer, à un avocat, pour l’exercice des activités relatives à la représentation et à la défense d’un client en justice, l’obligation d’agir “de concert [...] avec un avocat exerçant auprès de la juridiction saisie”, dans tous les cas où la partie que l’avocat prestataire souhaite représenter dans une...

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