Yassin Abdullah Kadi and Al Barakaat International Foundation v Council of the European Union and Commission of the European Communities.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2008:11
CourtCourt of Justice (European Union)
Date16 January 2008
Docket NumberC-415/05,C-402/05
Celex Number62005CC0402

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 16 janvier 2008 (1)

Affaire C‑402/05 P

Yassin Abdullah Kadi

contre

Conseil de l’Union européenne

et

Commission des Communautés européennes

«Pourvoi – Mesures prises à l’encontre des Talibans d’Afghanistan ‑ Liste des personnes et des entités auxquelles s’applique le gel des fonds imposé par la législation communautaire – Inclusion du nom du requérant»





1. Le requérant au pourvoi dans la présente affaire a été désigné par le Comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies comme une personne soutenant le terrorisme, dont les avoirs et autres ressources financières doivent être gelés. Devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes, le requérant a contesté la légalité du règlement par le biais duquel le Conseil de l’Union européenne a mis en œuvre la décision de gel dans la Communauté. Il a fait valoir – sans succès – que la Communauté n’était pas compétente pour adopter ce règlement et, en outre, que ce règlement violait un certain nombre de ses droits fondamentaux. Sur la base de moyens essentiellement identiques, il demande maintenant à la Cour d’annuler l’arrêt du Tribunal. Le Conseil et la Commission des Communautés européennes sont en désaccord avec le requérant sur les deux moyens. De manière plus essentielle, ils allèguent que le règlement est nécessaire à la mise en œuvre des résolutions contraignantes du Conseil de sécurité et que, par conséquent, les juridictions communautaires ne doivent pas apprécier sa conformité aux droits fondamentaux. Ils font valoir, en substance, que, lorsque le Conseil de sécurité s’est exprimé, les juridictions communautaires ont un devoir de réserve.

I – Le contexte du pourvoi

2. M. Yassin Abdulla Kadi (ci-après le «requérant») réside en Arabie saoudite. Le 19 octobre 2001, son nom a été ajouté à la liste des personnes suspectées de soutenir le terrorisme figurant à l’annexe I du règlement (CE) n° 467/2001 (2). Par conséquent, tous ses avoirs et autres ressources financières dans la Communauté ont été gelés. Le 27 mai 2002, ce règlement a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil (3) (ci‑après le «règlement attaqué»). Le nom du requérant continue néanmoins de figurer à l’annexe I du règlement attaqué parmi ceux des personnes suspectées de soutenir le terrorisme et dont les avoirs doivent être gelés.

3. Le règlement attaqué a été adopté sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, afin de transposer dans la Communauté la position commune 2002/402/PESC du Conseil (4). Cette position commune reflète à son tour les résolutions 1267(1999) (5), 1333(2000) (6) et 1390(2002) (7) du Conseil de sécurité. Considérant que l’éradication du terrorisme international est essentielle au maintien de la paix et de la sécurité internationales, le Conseil de sécurité a adopté ces résolutions en vertu du chapitre VII de la charte des Nations unies.

4. Les résolutions précitées prévoient, notamment, que tous les États membres prennent des mesures de gel des avoirs et autres ressources financières des personnes et entités associées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida ainsi qu’aux Talibans, désignées par un comité du Conseil de sécurité composé de l’ensemble de ses membres (ci-après le «comité des sanctions»). Le 8 mars 2001, le comité des sanctions a publié une première liste consolidée des personnes et entités concernées par le gel des avoirs. Cette liste a depuis lors été modifiée et complétée à plusieurs reprises. Le nom du requérant a été ajouté à la liste par le comité des sanctions le 19 octobre 2001.

5. Le 20 décembre 2002, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1452(2002), destinée à faciliter la mise en œuvre de mesures anti‑terroristes. Cette résolution prévoit un certain nombre d’exceptions au gel des avoirs prévu par les résolutions 1267(1999), 1333(2000) et 1390(2002), que les États membres peuvent accorder pour des raisons humanitaires, à condition que le comité des sanctions en ait été informé et n’ait émis aucune objection ou que, dans certains cas, il ait donné son accord. En outre, le Conseil de sécurité a adopté, le 17 janvier 2003, la résolution 1455(2003), destinée à mettre en œuvre les mesures de gel des avoirs.

6. À la lumière de ces résolutions, le Conseil a adopté la position commune 2003/140/PESC (8) afin de définir les exceptions admises par le Conseil de sécurité. De plus, le 27 mars 2003, le Conseil a modifié le règlement attaqué en ce qui concerne les dérogations au gel des avoirs et ressources financières (9).

7. L’article 2 du règlement attaqué, tel que modifié, dispose que «[t]ous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de ou détenus par une personne physique ou morale, un groupe ou une entité désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I sont gelés». L’article 2 bis prévoit certaines exceptions, par exemple pour la nourriture, les dépenses de santé et les honoraires d’avocat et frais de justice d’un montant raisonnable, à condition que le comité des sanctions en ait été informé et n’ait émis aucune objection.

8. Par un recours introduit le 18 décembre 2001 et dirigé contre le Conseil et la Commission, le requérant a demandé au Tribunal d’annuler les règlements nos 2062/2001 et 467/2001, dans la mesure où il est concerné. Le Royaume-Uni a été autorisé à intervenir au soutien des conclusions des défendeurs. À la suite de l’abrogation du règlement n° 467/2001, le Tribunal a décidé de traiter cette affaire comme un recours en annulation du règlement attaqué, dirigé contre le seul Conseil et soutenu par la Commission et le Royaume‑Uni.

9. Devant le Tribunal, le requérant a invoqué l’incompétence du Conseil pour adopter le règlement attaqué. De manière plus substantielle, le requérant a fait valoir que le règlement violait plusieurs de ses droits fondamentaux, en particulier le droit de propriété et le droit à un procès équitable. Par un arrêt du 21 septembre 2005, Kadi/Conseil et Commission (T-315/01) (10) (ci-après l’«arrêt frappé de pourvoi»), le Tribunal a confirmé le règlement attaqué et rejeté l’ensemble des moyens invoqués par le requérant. Le 17 novembre 2005, le requérant a introduit le présent pourvoi contre l’arrêt rendu par le Tribunal. Outre le requérant, les parties à la présente procédure sont le Conseil, la Commission et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que, en tant que parties intervenantes, le Royaume d’Espagne, la République française et le Royaume des Pays-Bas. Par souci de brièveté, je me référerai, occasionnellement, au Conseil, à la Commission et au Royaume-Uni par l’expression les «défendeurs».

10. Je procéderai à l’analyse du pourvoi de la manière suivante. Tout d’abord, j’examinerai les moyens tirés de la base juridique du règlement attaqué. J’aborderai ensuite les moyens tirés de la compétence des juridictions communautaires pour examiner si le règlement attaqué viole des droits fondamentaux. Pour terminer, j’examinerai la question du critère de contrôle pertinent et le point de savoir si le règlement attaqué viole les droits fondamentaux invoqués par le requérant.

II – La base juridique du règlement attaqué

11. Le premier moyen invoqué par le requérant porte sur la base juridique du règlement attaqué. L’arrêt frappé de pourvoi consacre une attention particulière à cette question. Sur la base de l’examen de diverses alternatives, le Tribunal a conclu que l’application combinée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE donne compétence à la Communauté pour adopter le règlement attaqué (11). Le requérant allègue que cette conclusion est erronée en droit et soutient que la Communauté n’est absolument pas compétente pour adopter le règlement attaqué. Bien qu’ils se fondent sur des raisons légèrement différentes, le Conseil et le Royaume-Uni partagent l’avis du Tribunal selon lequel le règlement attaqué trouve sa base juridique dans les articles 60 CE, 301 CE et 308 CE. La Commission adopte néanmoins un point de vue différent et conclut que les articles 60 CE et 301 CE constituaient, à eux seuls, une base juridique suffisante.

12. Je partage ce dernier point de vue. Le Tribunal a jugé que la compétence pour imposer des sanctions économiques et financières prévue aux articles 60 CE et 301 CE, à savoir l’interruption ou la réduction des relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, ne s’applique pas à l’interruption ou à la réduction des relations économiques avec des particuliers dans ces pays, mais uniquement aux relations avec leurs gouvernements. Ce point de vue est difficilement conciliable avec le libellé et l’objet de ces dispositions. L’article 301 CE autorise le Conseil «à interrompre ou à réduire […] les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers» par des «mesures urgentes» non spécifiées, nécessaires pour mettre en œuvre la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union (ci-après la «PESC»). En tant que tel, l’article 301 CE est fondamentalement concerné par les objectifs de ces mesures, à savoir les objectifs de la PESC, qui doivent être réalisés en affectant les relations économiques de la Communauté avec les pays tiers. L’article 60, paragraphe 1, CE autorise le Conseil à prendre des mesures contre un pays tiers «concernant les mouvements de capitaux et les paiements». Il indique donc les moyens pour mettre en œuvre les objectifs exposés précédemment; ces moyens incluent la restriction des flux de capitaux à destination et en provenance de la Communauté. En dehors de ces deux dispositions, le traité CE ne précise pas la forme que doivent prendre les mesures ou qui doit en être destinataires ou les personnes devant les supporter. La seule exigence existante est que ces mesures soient destinées à «interrompre ou à réduire» les relations économiques avec les pays tiers dans le domaine des mouvements de capitaux et des paiements.

13. Les sanctions financières...

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