José Manuel Blanco Pérez and María del Pilar Chao Gómez v Consejería de Salud y Servicios Sanitarios (C-570/07) and Principado de Asturias (C-571/07).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2009:587
Docket NumberC-571/07,C-570/07
Celex Number62007CC0570
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date30 September 2009

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 30 septembre 2009 (1)

Affaires jointes C‑570/07 et C‑571/07

José Manuel Blanco Pérez

et

María del Pilar Chao Gómez

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Superior de Justicia de Asturias (Espagne)]






1. La crainte que les pharmaciens ayant besoin d’argent transigent avec leurs obligations professionnelles n’est pas nouvelle. C’est un sujet de préoccupation tout au moins depuis que le Roméo de Shakespeare a convaincu un «pauvre gueux» d’apothicaire de lui vendre du poison par ces vers:

«La famine est sur tes joues;

le besoin et la souffrance agonisent dans ton regard;

le dégoût et la misère pendent à tes épaules.

Le monde ne t’est point ami, ni la loi du monde;

le monde n’a pas fait sa loi pour t’enrichir;

viole-la donc, cesse d’être pauvre et prends ceci» (2).

2. Pour reprendre les termes de Shakespeare, nous pourrions affirmer que la présente affaire tourne autour du point de savoir dans quelle mesure il est nécessaire, pour garantir la qualité des services pharmaceutiques, d’enrichir certains pharmaciens. En fait, les autorités des Asturies, et celles qui connaissent des règles semblables dans d’autres États membres, justifient essentiellement leurs règles relatives à la limitation de l’ouverture de nouvelles pharmacies par la nécessité de préserver des incitations financières suffisantes pour que les services pharmaceutiques soient fournis le plus largement et de la meilleure façon possible. À leur avis, cela implique, d’une part, de protéger les pharmacies existantes contre les «risques» de la concurrence et, d’autre part, d’attirer des pharmaciens dans des zones moins rentables en limitant l’accès aux zones les plus rentables. Je ne doute pas que les conditions financières dans lesquelles un service est fourni peuvent avoir une incidence sur la fourniture de ce service. Il est légitime que les États fondent leur réglementation sur de telles préoccupations lorsqu’elles jouent un rôle dans la réalisation d’un objectif public tel que la protection de la santé publique. En revanche, les États ne sauraient se borner à invoquer ce lien possible pour justifier toute réglementation. Les législations qui confèrent des avantages financiers particuliers à certains opérateurs économiques par rapport à d’autres doivent faire l’objet d’un examen attentif. La question posée en l’espèce ne se prête pas à une réponse facile. D’une part, la protection de la santé humaine revêt une importance capitale et la Cour doit s’en remettre au jugement des États membres dans ce domaine complexe. D’autre part, il incombe à la Cour de remédier à des situations dans lesquelles des processus politiques locaux ont été détournés pour assurer des avantages lucratifs à des opérateurs locaux établis au détriment, notamment, de ressortissants d’autres États membres. La Cour ne saurait se soustraire à ce devoir au simple motif qu’une affaire soulève des questions de santé publique. En effet, un arbitre impartial est d’autant plus nécessaire lorsque ce n’est pas uniquement le profit financier qui est en jeu, mais aussi la santé humaine. En conséquence, je tenterai, dans ma réponse aux questions soulevées en l’espèce, de mettre en balance les intérêts en présence, en tenant compte des arbitrages politiques des États membres, tout en examinant attentivement les modalités de leur mise en œuvre afin d’y déceler d’éventuels indices de détournement politique au regard des impératifs de cohérence et de constance qui ont été dégagés dans la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne les législations nationales restreignant la libre circulation.

I – Cadre factuel et juridique

3. Dans les présentes affaires, les demandeurs sont tous deux des ressortissants espagnols qui sont des pharmaciens diplômés, mais qui ne sont pas titulaires de l’autorisation d’ouvrir une officine. Ils ont exercé leur profession pendant plusieurs années dans des pharmacies vétérinaires. Désirant exploiter leurs propres pharmacies, ils souhaitent obtenir l’autorisation d’ouvrir une nouvelle officine dans la communauté autonome des Asturies en Espagne. L’autorisation nécessaire a été refusée aux demandeurs par le ministère de la Santé et des Services sanitaires de la principauté des Asturies le 14 juin 2002. Cette décision a été confirmée par le Conseil de gouvernement des Asturies le 10 octobre 2002. Les demandeurs ont introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal Superior de Justicia de Asturias.

4. Les décisions des autorités des Asturies sont fondées sur le décret n° 72/2001, du 19 juillet 2001, réglementant les pharmacies et les services de pharmacie dans la principauté des Asturies, qui met en place un système d’autorisation comportant certaines restrictions à l’établissement de pharmacies dans la communauté autonome, ainsi qu’un système régissant l’attribution des autorisations en présence de candidats concurrents. Les demandeurs soutiennent que ce décret porte atteinte au droit à la liberté d’établissement qui leur est garanti par l’article 43 CE. Eu égard aux doutes qui entourent la légalité du décret au regard du droit communautaire, la juridiction nationale a déféré les deux questions suivantes à la Cour:

«L’article 43 (CE) s’oppose-t-il aux articles 2, 3 et 4 du décret 72/2001 de la principauté des Asturies, du 19 juillet 2001, réglementant les pharmacies et les services de pharmacie, ainsi qu’aux points 4, 6 et 7 de l’annexe du décret susmentionné?» (affaire C‑570/07)

et

«L’article 43 (CE) s’oppose-t-il aux dispositions de la législation de la communauté autonome de la principauté des Asturies concernant l’autorisation d’installation d’officines de pharmacie?» (affaire C‑571/07)

5. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, la législation contestée prévoit la limitation de l’ouverture de nouvelles pharmacies et fixe des critères permettant de choisir entre des candidats concurrents demandant l’autorisation d’ouvrir une nouvelle officine. Les limitations les plus importantes consistent en une restriction quantitative limitant le nombre des pharmacies d’une zone en fonction de la population de cette zone et en une restriction géographique interdisant l’ouverture d’une pharmacie à moins de 250 mètres d’une autre pharmacie. Les dispositions considérées sont les suivantes:

«Article 2. Modules de population

1. Dans chaque zone de pharmacie, le nombre de pharmacies respecte le module de population équivalent à 2 800 habitants par pharmacie. Lorsque ce rapport est dépassé, une nouvelle pharmacie peut être créée pour la fraction supérieure à 2 000 habitants.

2. Dans toutes les zones de base du système de santé et dans tous les districts il peut y avoir au moins une pharmacie.

Article 3. Population prise en compte

Aux fins du présent décret, la population dont il est tenu compte est celle qui est issue des données résultant de la dernière révision du recensement municipal.

Article 4. Distances minimales

1. La distance minimale entre les locaux des officines de pharmacie est, en général, de 250 mètres quelle que soit la zone de pharmacie dans laquelle ils se situent.

2. Cette distance minimale de 250 mètres est également respectée par rapport aux centres de santé de l’une quelconque des zones de pharmacie, qu’ils soient publics ou privés avec une convention d’assistance extrahospitalière ou hospitalière, pratiquant des consultations externes ou dotés de services d’urgence, qu’ils soient en fonctionnement ou en cours de construction.

Cette condition de distance entre les centres de santé ne s’applique pas dans les zones de pharmacie où il n’y a qu’une officine de pharmacie ni dans les localités qui comptent actuellement une seule officine de pharmacie et où, compte tenu de leurs caractéristiques, l’ouverture de nouvelles officines de pharmacie n’est pas à prévoir.

Dans les deux cas, il convient de faire figurer les raisons pour lesquelles la condition de distance par rapport à un centre de santé ne s’applique pas» (3).

6. Pour opérer un choix entre des candidats concurrents demandeurs d’une autorisation dans le cadre de ce régime, la législation fixe différents critères. Des points sont attribués en fonction de l’expérience professionnelle et universitaire conformément à un ensemble de critères. L’expérience professionnelle donne droit à davantage de points dans des villes de moins de 2 800 habitants que pour d’autres types d’officine. Le décret comporte également les dispositions suivantes:

«1. Les circonstances et les mérites prévus au présent barème sont attestés par des certificats officiels de l’administration ou du responsable pertinent.

2. L’expérience professionnelle et universitaire est comptée en mois complets quand bien même les périodes travaillées seraient discontinues. Des périodes discontinues peuvent être cumulées, par groupes de 21 jours ou de 168 heures équivalant à un mois, jusqu’à ce que ce minimum soit atteint.

En cas de travail à temps partiel, les mérites pour l’expérience professionnelle sont pris en compte au regard du rapport entre la durée dudit travail à temps partiel et la durée d’un travail à plein temps.

3. Un seul emploi professionnel est pris en compte pour une même période de temps, sauf s’il s’agit de deux emplois à temps partiel.

4. L’expérience professionnelle en tant que pharmacien titulaire ou cotitulaire d’une pharmacie ni aucune autre catégorie de mérites n’est prise en compte lorsque celle-ci a servi précédemment pour obtenir une autorisation d’installation.

5. Si l’intention est d’être cotitulaire d’une officine de pharmacie et s’il n’y a pas plus de deux cotitulaires, on additionne 50 % de la note pour mérites de chacun. S’il y a plus de deux cotitulaires, on prend en compte 50 % de la note pour mérites des deux cotitulaires qui possèdent la meilleure et la moins bonne note.

6. Les mérites professionnels concernant l’activité professionnelle obtenus dans le cadre de la...

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