European Parliament v Council of the European Union.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:551
CourtCourt of Justice (European Union)
Date27 September 2007
Docket NumberC-133/06
Celex Number62006CC0133
Procedure TypeRecours en annulation - fondé

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 27 septembre 2007 (1)

Affaire C‑133/06

Parlement européen

contre

Conseil de l’Union européenne

«Recours en annulation – Directive 2005/85/CE – Procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres»





1. Dans la présente affaire, la Cour est invitée à se prononcer sur une question juridique d’importance fondamentale pour le système institutionnel communautaire et l’équilibre institutionnel qui le sous‑tend. C’est celle de l’admissibilité en droit communautaire de la création de bases juridiques dérivées en vue de l’adoption d’actes législatifs suivant une procédure allégée par rapport à celle aménagée par le traité. Autrement dit, il s’agit de déterminer si des délégations du pouvoir législatif sont légalement possibles dans l’ordre juridique communautaire.

I – Cadre juridique du recours

2. Sur la base de l’article 230, premier alinéa, CE, le Parlement européen a saisi la Cour de justice d’une requête tendant à obtenir l’annulation, à titre principal, des articles 29, paragraphes 1 et 2, et 36, paragraphe 3, de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (2) et, à titre subsidiaire, de l’entièreté de ladite directive.

3. La directive litigieuse est fondée sur l’article 63, premier alinéa, point 1, sous d), CE, qui dispose:

«Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 67, arrête, dans les cinq ans qui suivent l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam:

1) des mesures relatives à l’asile, […], dans les domaines suivants:

[…]

d) normes minimales concernant la procédure d’octroi ou de retrait du statut de réfugié dans les États membre».

4. Ladite directive a été adoptée à l’unanimité par le Conseil, sur proposition de la Commission des Communautés européennes et après consultation du Parlement, conformément à l’article 67, paragraphe 1, CE, aux termes duquel:

«Pendant une période transitoire de cinq ans après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, le Conseil statue à l’unanimité sur proposition de la Commission […] et après consultation du Parlement européen.»

5. Certes, la directive litigieuse a été prise plus de cinq ans après l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam et l’article 67, paragraphe 2, second tiret, CE dispose:

«Après cette période de cinq ans:

[…]

– le Conseil, statuant à l’unanimité après consultation du Parlement européen, prend une décision en vue de rendre la procédure visée à l’article 251 applicable à tous les domaines couverts par le présent titre ou à certains d’entre eux et d’adapter les dispositions relatives aux compétences de la Cour de justice.»

6. Mais, comme il appert de son quatrième considérant, la décision 2004/927/CE (3) relative au passage à la procédure de codécision, prise par le Conseil, le 22 décembre 2004, en application de l’article 67, paragraphe 2, second tiret, CE («décision passerelle») n’affecte pas les dispositions de l’article 67, paragraphe 5, CE. Or, si l’article 67, paragraphe 5, CE, prévoit, par dérogation au paragraphe 1 dudit article, l’adoption selon la procédure visée à l’article 251 CE des mesures prévues à l’article 63, point 1, CE, c’est seulement «pour autant que le Conseil aura arrêté préalablement et conformément au paragraphe 1 du présent article une législation communautaire définissant les règles communes et les principes essentiels régissant ces matières». La directive litigieuse a précisément pour objet de fixer les règles communes et les principes essentiels régissant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.

7. Dans cette optique, les dispositions attaquées de ladite directive autorisent le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement, à adopter et à modifier, d’une part, une liste commune minimale de pays tiers que les États membres considèrent comme des pays d’origine sûrs, tel est l’objet de l’article 29, paragraphes 1 et 2, et, d’autre part, une liste commune de pays tiers européens sûrs, tel est l’objet de l’article 36, paragraphe 3 (ci‑après les «listes des pays sûrs»). Ces listes des pays sûrs seront arrêtées par application des critères de désignation des pays tiers sûrs définis dans l’annexe II de ladite directive et des critères de désignation des pays européens sûrs énoncés dans l’article 36, paragraphe 2 de ladite directive.

II – Bien‑fondé du recours

8. Par le présent recours, le Parlement reproche en substance au Conseil d’avoir, par les dispositions attaquées, créé des bases juridiques dérivées qui l’habilitent à adopter et à modifier les listes des pays sûrs selon une procédure dérogatoire à celle fixée à l’article 67, paragraphe 5, premier tiret, CE, lequel prévoit, sous conditions, la codécision.

9. Au soutien de sa contestation, le Parlement allègue formellement quatre moyens d’annulation: la violation du traité résultant de la méconnaissance de l’article 67, paragraphe 5, CE, l’incompétence du Conseil, une insuffisance de motivation constitutive d’une violation des formes substantielles et une violation du principe de coopération loyale. Les deux premiers moyens soulèvent la question centrale de la présente affaire, qui a justifié son renvoi devant la grande chambre, celle de la possibilité pour le législateur communautaire de recourir à des bases juridiques dérivées. L’appréciation de leur bien‑fondé retiendra en premier mon attention et, les arguments invoqués à l’appui de chacun d’entre eux étant malaisément dissociables, je les examinerai conjointement.

10. À titre liminaire, je me bornerai à faire observer que les conclusions subsidiaires du Parlement tendant à l’annulation de l’intégralité de la directive sont explicitement motivées par le souci d’éviter une irrecevabilité qui résulterait de l’application de la jurisprudence selon laquelle une demande d’annulation partielle n’est recevable que pour autant que les dispositions dont l’annulation est demandée soient détachables du reste de l’acte (4). Tel n’est le cas que si l’annulation des dispositions contestées ne modifierait pas la substance de l’acte (5). Dans l’affaire soumise à notre examen, l’annulation des dispositions attaquées à l’évidence ne modifierait pas la substance de la directive litigieuse, de sorte que les conclusions principales sont recevables.

A – Les moyens de violation du traité et d’incompétence

11. Selon le Parlement, en se réservant, par les articles 29, paragraphes 1 et 2 et 36, paragraphe 3 de la directive litigieuse, l’adoption et la modification des listes des pays sûrs après simple consultation du Parlement, le Conseil aurait tout à la fois violé les dispositions de l’article 67, paragraphe 5, premier tiret, CE, qui prévoient la procédure de codécision et commis une incompétence, le Conseil n’étant pas habilité à établir, dans un acte de droit dérivé, une base juridique pour l’adoption, selon une procédure autre que celle prévue par le traité, d’actes de droit dérivé successifs, dès lors que ceux‑ci ne présentent pas la nature de mesures d’exécution. Les deux moyens, on le voit, sont indissociables: si le Conseil avait compétence pour recourir à des bases juridiques dérivées, il ne saurait avoir méconnu l’article 67, paragraphe 5, CE; dans ce cas en effet, les listes de pays sûrs seraient adoptées à bon droit sur le fondement des bases juridiques dérivées et non sur la base des dispositions du traité.

12. Cette argumentation du Parlement repose sur deux présupposés essentiels. L’article 67, paragraphe 5, CE imposerait que les listes des pays sûrs soient arrêtées suivant la procédure de codécision, dans la mesure où la directive litigieuse aurait constitué la dernière étape de détermination par le législateur des règles communes et principes essentiels applicables en la matière, l’élément final de la «législation nécessaire» pour reprendre l’expression du Parlement. La procédure de codécision s’imposerait désormais, dès lors que l’adoption et la modification des listes des pays sûrs ne sauraient être le fait de mesures de nature exécutive. Ce sont ces deux présupposés que je vais rapidement exposer, même si, comme je vais le démontrer, il n’est pas nécessaire d’en vérifier la pertinence aux fins d’appréciation du bien‑fondé des moyens d’incompétence et de violation du traité.

1. La directive 2005/85, étape ultime de la législation nécessaire?

13. L’article 67, paragraphe 5, premier tiret, CE, prévoit que le Conseil adopte les mesures prévues à l’article 63, premier alinéa, points 1 et 2, sous a), CE selon la procédure de codécision fixée à l’article 251 CE, dès lors qu’il aura arrêté une «législation communautaire définissant les règles communes et les principes essentiels régissant ces matières», c’est‑à‑dire régissant la politique d’asile prévue par l’article 63, premier alinéa, point 1, CE et une partie des mesures relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées, celles visées par l’article 63, premier alinéa, point 2, sous a), CE. Selon le Parlement, la définition des règles communes et des principes essentiels s’est achevée avec l’adoption de la directive litigieuse, si bien que la procédure de codécision serait désormais d’application pour l’adoption, en la matière, de tout acte ultérieur, en particulier pour l’établissement des listes des pays sûrs. En effet, la directive litigieuse constituerait l’étape ultime de la législation nécessaire requise par l’article 67, paragraphe 5, CE pour le passage à la codécision; le cadre juridique de base dans les matières de l’article 63, premier alinéa, points 1 et 2, sous a), CE serait désormais complet, compte tenu des mesures législatives déjà prises. Et le Parlement de mentionner les actes suivants: le règlement (CE) nº 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les...

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