Hermann Lutz v Elke Bäuerle.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2404
Docket NumberC-557/13
Celex Number62013CC0557
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date27 November 2014
62013CC0557

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 27 novembre 2014 ( 1 )

Affaire C‑557/13

Hermann Lutz

contre

Elke Bäuerle, en qualité de mandataire liquidateur de ECZ Autohandel GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Renvoi préjudiciel — Règlement (CE) no 1346/2000 — Articles 4 et 13 — Recours contre un acte préjudiciable — Délais de prescription, de forclusion ou de révocation — Exigences de forme — Détermination de la loi applicable — Paiement effectué après la date de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité sur la base d’une saisie effectuée avant cette date»

I – Introduction

1.

Le présent renvoi préjudiciel a pour cadre juridique le règlement (CE) no 1346/2000 ( 2 ). Plus précisément, les questions posées par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) conduiront la Cour à se pencher, tout d’abord, sur la question de savoir si l’article 13 de ce règlement est applicable dans l’hypothèse où le paiement effectué au titre de l’exécution d’une injonction de payer à l’encontre d’un débiteur (ci-après l’«acte attaqué» ou l’«acte en cause») est intervenu après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Ensuite, la Cour sera amenée à déterminer si le droit applicable à l’acte attaqué (ci-après la «lex causae»), en l’espèce le droit autrichien, régit également les effets juridiques liés à l’écoulement du temps. Enfin, ce renvoi préjudiciel offre à la Cour l’occasion de préciser si les règles de forme à respecter pour l’exercice du droit de révocation du syndic, au regard de l’article 13 du règlement no 1346/2000, relèvent aussi de la lex causae.

2.

Avant de me consacrer à l’interprétation de l’article 13 du règlement no 1346/2000, il me paraît utile de rechercher dans quelle mesure l’article 5 dudit règlement est applicable au droit de saisie en vertu duquel, en l’espèce, l’exécution forcée du paiement de la somme litigieuse a été effectuée.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

3.

Le considérant 11 du règlement no 1346/2000 énonce:

«Le présent règlement tient compte du fait que, en raison des divergences considérables entre les droits matériels, il n’est pas pratique de mettre en place une procédure d’insolvabilité unique ayant une portée universelle pour toute la Communauté. L’application sans exception du droit de l’État d’ouverture susciterait dès lors fréquemment des difficultés. Cela vaut notamment pour les sûretés très différenciées qui existent dans la Communauté. Par ailleurs, les droits préférentiels dont jouissent certains créanciers sont, dans certains cas, conçus de manière très différente. Le présent règlement devrait en tenir compte de deux manières en prévoyant, d’une part, des règles spéciales relatives à la loi applicable pour certains droits et situations juridiques particulièrement importants (par exemple, les droits réels et les contrats de travail) et en autorisant, d’autre part, outre une procédure d’insolvabilité principale de portée universelle, également des procédures nationales qui ne concernent que les actifs situés dans l’État d’ouverture.»

4.

Le considérant 24 de ce règlement est ainsi libellé:

«La reconnaissance automatique d’une procédure d’insolvabilité à laquelle est normalement applicable la loi de l’État d’ouverture peut interférer avec les règles en vertu desquelles les transactions sont réalisées dans ces États. Pour protéger la confiance légitime et la sécurité des transactions dans des États différents de celui de l’ouverture, il convient de prévoir des dispositions visant un certain nombre d’exceptions à la règle générale.»

5.

L’article 4, paragraphe 2, sous f) et m), dudit règlement dispose:

«2. La loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d’insolvabilité. Elle détermine notamment:

[...]

f)

les effets de la procédure d’insolvabilité sur les poursuites individuelles, à l’exception des instances en cours;

[...]

m)

les règles relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers.»

6.

L’article 5 de ce même règlement prévoit:

«1. L’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’affecte pas le droit réel d’un créancier ou d’un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles – à la fois des biens déterminés et des ensembles de biens indéterminés dont la composition est sujette à modification – appartenant au débiteur, et qui se trouvent, au moment de l’ouverture de la procédure, sur le territoire d’un autre État membre.

2. Les droits visés au paragraphe 1 sont notamment:

a)

le droit de réaliser ou de faire réaliser le bien et d’être désintéressé par le produit ou les revenus de ce bien, en particulier en vertu d’un gage ou d’une hypothèque;

b)

le droit exclusif de recouvrer une créance, notamment en vertu de la mise en gage ou de la cession de cette créance à titre de garantie;

[...]

4. Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle aux actions en nullité, en annulation ou en inopposabilité visées à l’article 4, paragraphe 2, [sous] m).»

7.

Aux termes de l’article 13 du règlement no 1346/2000:

«L’article 4, paragraphe 2, point m), n’est pas applicable lorsque celui qui a bénéficié d’un acte préjudiciable à l’ensemble des créanciers apporte la preuve que:

cet acte est soumis à la loi d’un autre État membre que l’État d’ouverture,

et que

cette loi ne permet en l’espèce, par aucun moyen, d’attaquer cet acte.»

8.

Selon l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement:

«1. Le créancier qui, après l’ouverture d’une procédure visée à l’article 3, paragraphe 1, obtient par tout moyen, notamment par des voies d’exécution, satisfaction totale ou partielle en ce qui concerne sa créance sur des biens du débiteur qui se trouvent sur le territoire d’un autre État membre, doit restituer ce qu’il a obtenu au syndic, sous réserve des articles 5 et 7.»

B – Le droit allemand

9.

L’article 88 de l’Insolvenzordnung (loi allemande sur l’insolvabilité, BGBl. 1994 I, p. 2866, ci-après l’«InsO») prévoit:

«Si un créancier de la personne insolvable a, au cours du mois précédant la demande d’ouverture de la procédure d’insolvabilité ou après celle-ci, obtenu par la voie d’une exécution forcée une sûreté sur le patrimoine du débiteur faisant partie de la masse, l’ouverture de la procédure rend cette sûreté inopérante.»

C – Le droit autrichien

10.

L’article 43, paragraphes 1 et 2, de l’Insolvenzordnung (loi autrichienne sur l’insolvabilité, RGBl. 1914, p. 337, ci-après l’«IO») dispose:

«(1) La révocation ne peut valablement être invoquée que par le biais d’une action en justice [...].

(2) L’action révocatoire doit être formée, sous peine de forclusion, dans le délai d’un an à compter de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. [...]»

III – Le cadre factuel

11.

ECZ GmbH est une société allemande dont le siège est à Tettnang (Allemagne). Cette société se livrait à un trafic de véhicules frauduleux sous la forme d’un système pyramidal. En effet, pour opérer sur le marché autrichien, cette société mère avait recours à une filiale, la société autrichienne ECZ Autohandel GmbH (ci-après la «société débitrice»), dont le siège est à Bregenz (Autriche). Le requérant au principal, M. Lutz, résidant en Autriche, comptait au nombre des clients de la société débitrice, à laquelle il avait acheté une voiture.

12.

Le 17 mars 2008, en raison de l’inexécution par la société débitrice du contrat conclu aux fins de l’achat dudit véhicule, M. Lutz a obtenu du Bezirksgericht Bregenz (tribunal de district de Bregenz, Autriche) le prononcé d’une injonction de payer exécutoire à l’encontre de la société débitrice, pour un montant de 9566 euros outre les intérêts.

13.

Le 20 mai 2008, le Bezirksgericht Bregenz a autorisé l’exécution forcée, au titre de laquelle trois comptes bancaires détenus par la société débitrice auprès d’une banque autrichienne ont été saisis. Le 23 mai 2008, la procédure d’exécution a été signifiée à la Sparkasse de Feldkirch (Autriche) (ci-après la «banque de la société débitrice»).

14.

Le 13 avril 2008, la société débitrice a demandé elle-même l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Le 4 août 2008, l’Amtsgericht Ravensburg (tribunal d’instance de Ravensburg, Allemagne) a ouvert une procédure d’insolvabilité à l’encontre de la société débitrice en Allemagne. La partie défenderesse au principal, Mme Bäuerle, résidant en Allemagne, est l’actuel «syndic» ( 3 ) de cette procédure.

15.

Le 17 mars 2009, la banque de la société débitrice a payé à M. Lutz, au titre de la saisie pratiquée, la somme litigieuse de 11778,48 euros. Préalablement, par lettre du 10 mars 2009, le syndic alors en fonctions avait toutefois indiqué qu’il ne ferait pas valoir de créance à compenser auprès de ladite banque, mais qu’il se réservait néanmoins la possibilité d’y opposer une révocation au titre de l’insolvabilité.

16.

Dans une lettre du 3 juin 2009, c’est-à-dire environ dix mois après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, le syndic en fonctions à cette date a fait part de la révocation au titre de l’insolvabilité de l’exécution forcée autorisée le 20 mai 2008 ainsi que du paiement effectué le 17 mars 2009. Cependant, un recours judiciaire n’a été introduit que par requête signifiée le 23 octobre 2009. Par son recours, Mme Bäuerle a demandé, devant les juridictions allemandes, la restitution à la masse du montant saisi.

17.

Le Landgericht...

To continue reading

Request your trial
2 practice notes
  • Hermann Lutz v Elke Bäuerle.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 16 April 2015
    ...prescription, d’exercice de l’action révocatoire et de forclusion — Règles de forme de l’action révocatoire — Loi applicable» Dans l’affaire C‑557/13, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par ......
  • Conclusiones del Abogado General Sr. M. Campos Sánchez-Bordona, presentadas el 20 de mayo de 2021.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 20 May 2021
    ...141, 143 y 150; Ruiz-Jarabo Colomer en el asunto Seagon (C‑339/07, EU:C:2008:575), puntos 30 y ss.; Szpunar en el asunto Lutz (C‑557/13, EU:C:2014:2404), puntos 48, 58 y 60; Bobek en el asunto ENEFI (C‑212/15, EU:C:2016:427), punto 70; y Bot en el asunto Riel (C‑47/18, EU:C:2019:292), punto......
1 cases

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT