Arsenal Football Club plc v Matthew Reed.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2002:373
Date13 June 2002
Celex Number62001CC0206
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-206/01
EUR-Lex - 62001C0206 - FR 62001C0206

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 13 juin 2002. - Arsenal Football Club plc contre Matthew Reed. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division - Royaume-Uni. - Rapprochement des législations - Marques - Directive 89/104/CEE - Article 5, paragraphe 1, sous a) - Étendue du droit exclusif du titulaire de la marque. - Affaire C-206/01.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-10273


Conclusions de l'avocat général

1. Le propriétaire d'une marque peut-il interdire toute utilisation, dans les échanges économiques, de signes identiques pour les mêmes produits ou services autre que les usages visés à l'article 6 de la première directive sur les marques (ci-après la «directive» ou la «première directive») ou bien, au contraire, l'exclusivité conférée par l'article 5 couvre-t-elle uniquement l'utilisation qui fait apparaître l'origine, c'est-à-dire, la relation existant entre le titulaire et les produits ou services que la marque représente? En cas de réponse affirmative à la seconde question, l'utilisation exprimant un sentiment de soutien, de loyauté ou d'affiliation à l'égard du titulaire du signe est-elle une indication de ce lien?

2. Tels sont les doutes que la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni), conçoit et demande à la Cour de dissiper au cours de la présente procédure préjudicielle.

I - Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

3. Arsenal Football Club plc (ci-après «Arsenal») est un club de football anglais renommé, qui a été fondé en 1886 et qui est également désigné par le surnom de «Gunners».

4. En 1989, il a fait enregistrer deux marques dénominatives, «Arsenal» et «Arsenal Gunners», ainsi que deux marques graphiques, l'une appelée «The Crest Device» («l'emblème de l'écu») et la seconde «Cannon Device» («l'emblème du canon»), destinées à distinguer des articles de confection, vêtements et chaussures de sport. Tous ces produits relèvent de la classe 25 de la nomenclature internationale des marques.

5. M. Reed est un commerçant qui, depuis 1970, vend des souvenirs et des objets présentant un lien avec le club demandeur aux alentours du terrain de football de Highbury, qui est le stade de l'équipe Arsenal. Ces objets portent les signes que le club a fait enregistrer en tant que marques.

6. En particulier, il vend des écharpes sur lesquelles apparaît principalement le mot «Arsenal». Il s'agit de produits qui ne sont pas des produits officiels du club, comme M. Reed en avise sa clientèle, dans les échoppes où il exerce ses activités, au moyen d'un grand panneau portant le texte suivant:

«Le mot ou le(s) logo(s) reproduits sur les objets vendus ne sont que des ornements et n'impliquent pas ni n'indiquent une relation quelconque avec les fabricants ou distributeurs de tout autre objet. Seuls les produits reproduisant les emblèmes officiels d'Arsenal sont des produits officiels d'Arsenal.»

7. Arsenal a engagé deux actions contre M. Reed. L'une pour usurpation («passing of») et l'autre pour violation du droit de marque, ces actions ayant été traitées en une seule procédure. La première a été rejetée parce que la High Court a estimé que le club demandeur n'avait pas démontré l'existence d'une véritable confusion dans l'esprit des consommateurs ni prouvé, en particulier, que la clientèle considérait les produits vendus par le défendeur comme des produits provenant du club Arsenal ou commercialisés avec son autorisation.

8. À l'appui de sa seconde action, Arsenal a soutenu que M. Reed utilise les indications et symboles que le club a fait enregistrer comme marques d'une manière telle que les consommateurs les perçoivent comme désignant l'origine des produits («badge of origin»), c'est-à-dire qu'il en ferait un usage «en tant que marque» («trademark use»). La High Court a rejeté cet argument.

9. Selon la juridiction britannique, les dénominations et les signes graphiques que le défendeur appose sur les produits qu'il vend sont perçus par le public comme un témoignage de soutien, de loyauté ou d'affiliation («badge of support, loyalty or affiliation»).

10. Après ce préambule, la High Court a adressé les questions préjudicielles suivantes à la Cour:

«1) Dans une situation où une marque est régulièrement enregistrée et un tiers:

a) utilise dans le cadre de ses activités commerciales un signe identique à celui de ladite marque et l'appose sur des produits identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée; et

b) ne peut invoquer pour sa défense les dispositions de l'article 6, paragraphe premier, de la première directive n° 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, relatives aux limitations des effets de la marque;

ce tiers peut-il invoquer des limitations aux effets de la marque au motif que l'usage de celle-ci qui lui est reproché ne comprend aucune indication d'origine (i.e. un lien dans la vie des affaires entre les produits et le titulaire de la marque)?

2) Dans l'affirmative, le fait qu'une telle utilisation soit perçue comme un signe de soutien, de loyauté ou d'attachement au titulaire de la marque est-il susceptible de constituer un lien suffisant?»

II - La procédure devant la Cour de justice

11. Ont présenté des observations écrites dans le délai prévu par l'article 20 du statut CE de la Cour, Arsenal, M. Reed, la Commission et l'Autorité de surveillance AELE.

12. Les parties au principal et la Commission ont comparu à l'audience du 14 mai 2002 afin d'y présenter leurs observations orales.

III - Le cadre juridique

1. Le droit communautaire: la première directive

13. La directive «vise le rapprochement des législations des États membres sur les marques en vue de supprimer les disparités susceptibles d'entraver la libre circulation des produits et la libre prestation des services ou de fausser les conditions de concurrence dans le marché commun. L'harmonisation qu'elle vise n'est toutefois que partielle, de sorte que l'intervention du législateur communautaire est limitée à des aspects déterminés relatifs aux marques acquises par l'enregistrement» .

14. L'article 2 de la directive dispose ce qui suit:

«Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d'une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.»

15. L'article 5, qui est intitulé «Droits conférés par la marque», décrit les différents degrés de protection juridique que la directive impose d'accorder aux titulaires de ce type de propriété industrielle .

A - Le paragraphe 1 de l'article 5

16. Le paragraphe 1 de l'article 5 confère au titulaire de la marque le pouvoir d'interdire à tout tiers de faire usage de celle-ci dans la vie des affaires. Il distingue néanmoins deux degrés d'utilisation et, partant, différents niveaux de protection.

17. Le premier usage consiste à utiliser un signe identique pour les mêmes produits ou services [lettre a)]. Comme l'Autorité de surveillance AELE l'a signalé dans ses observations écrites, cette disposition protège le titulaire de la marque contre les copies. Il s'agit d'une protection absolue et inconditionnée , qui ne connaît pas d'autres limites que celles qui résultent de l'article 6 de la directive.

18. La lettre b) vise, quant à elle, trois hypothèses: la première concerne l'usage de signes identiques pour des produits ou services similaires; la deuxième, qui est l'hypothèse inverse, est celle de l'usage de signes similaires pour des produits ou services identiques et, enfin, la troisième vise l'usage de signes similaires pour des produits ou services similaires. Dans ces trois cas, la protection est soumise à la condition qu'il existe un risque de confusion, qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque .

19. Les parties qui ont comparu à l'audience ont débattu de la question de savoir si le pouvoir du titulaire va jusqu'à l'autoriser à interdire l'usage de la marque ou s'il lui permet d'interdire plus globalement l'usage du signe qui la représente. Cette discussion est byzantine. L'objet de la directive, ce sont les marques enregistrées , c'est-à-dire les signes, susceptibles d'une représentation graphique, qui sont propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises . Ainsi donc, en cas d'identité de symboles , l'usurpateur utilise la marque proprement dite (c'est-à-dire le signe enregistré) et, au contraire, dans les cas de similitude de symboles, il utilise des indications ressemblantes mais qui, par définition, ne sont pas la marque .

20. L'élément décisif, c'est que le titulaire peut interdire à un tiers d'utiliser la marque, pour des produits ou services identiques ou différents, ou d'utiliser des signes et indications qui, appréciés dans leur ensemble , sont susceptibles d'induire le consommateur en erreur à cause de leur ressemblance avec ceux qu'il a fait enregistrer en tant que marque.

B - Les paragraphes 2 et 5 de l'article 5

21. La directive a pour objet de réaliser une harmonisation partielle puisqu'elle limite son intervention aux marques acquises par enregistrement . Il s'agit, jusqu'à un certain point, d'une disposition minimaliste qui n'empêche pas que, dans certaines hypothèses, les États membres élargissent la protection conférée par la réglementation communautaire.

22. Une de ces hypothèses est celle des marques jouissant d'une renommée , visées à l'article 5, paragraphe 2, conformément auquel les États membres peuvent aller plus loin que le législateur communautaire et interdire l'usage d'un signe similaire, même lorsqu'il est utilisé pour des produits ou des...

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