Établissements Delhaize frères and Compagnie Le Lion SA v Promalvin SA and AGE Bodegas Unidas SA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1992:9
Date16 January 1992
Celex Number61990CC0047
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-47/90
EUR-Lex - 61990C0047 - FR 61990C0047

Conclusions de l'avocat général Gulmann présentées le 16 janvier 1992. - Établissements Delhaize frères et Compagnie Le Lion SA contre Promalvin SA et AGE Bodegas Unidas SA. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgique. - Exportation de vin en vrac - Interdiction - Appellation d'origine - Articles 34 et 36 du traité. - Affaire C-47/90.

Recueil de jurisprudence 1992 page I-03669


Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. La présente affaire, qui est déférée à la Cour de justice par le tribunal de commerce de Bruxelles conformément à l' article 177 du traité CEE, porte sur l' interprétation de l' interdiction, figurant à l' article 34 du traité CEE, des mesures d' effet équivalant à des restrictions quantitatives dans un domaine qui relève de l' organisation commune du marché viti-vinicole.

2. Traditionnellement, les producteurs de vin étaient libres de choisir de mettre le vin en bouteilles sur le lieu de production ou de le faire transporter "en vrac" jusqu' au lieu de consommation, où il était mis en bouteilles.

Il y a eu une tendance ces dernières années à ce que le vin soit de plus en plus mis en bouteilles par les producteurs eux-mêmes, en tout cas pour le vin de qualité.

La décision appartient aux producteurs de vin eux-mêmes.

3. Toutefois, le contexte de la présente espèce réside dans le fait que la question du lieu de l' embouteillage est une question que les autorités des États membres producteurs de vin ont commencé à réglementer.

La présente espèce concerne une telle réglementation, adoptée en Espagne et applicable aux vins de la région de Rioja. Il ressort des observations écrites de la Commission que d' autres États producteurs de vin dans la Communauté ont également introduit ou envisagé d' introduire des dispositions relatives à la mise en bouteilles obligatoire du vin dans la région de production (1).

La Commission fait valoir à juste titre que l' effet cumulé des réglementations nationales qui comportent des dispositions particulières quant au lieu de la mise en bouteilles des vins de qualité conduit à un morcellement du marché commun et à la création de marchés régionaux, ce qui a une incidence négative sur l' exigence fondamentale en droit communautaire de la libre circulation des marchandises.

4. Toutefois, la présente espèce n' est pas un recours introduit par la Commission au titre de l' article 169 du traité CEE contre l' Espagne ou d' autres États parmi ceux qui ont été mentionnés. Comme nous l' avons indiqué, il s' agit d' une affaire déférée par une juridiction belge - le tribunal de commerce de Bruxelles - qui est amenée à trancher un litige opposant deux entreprises belges et une entreprise espagnole mise en cause.

La juridiction belge a estimé nécessaire, pour trancher le litige qui lui était soumis, de demander à la Cour de justice de se prononcer sur l' interprétation de l' article 34 du traité CEE. L' interprétation de la Cour de justice permettra à la juridiction belge de décider si la réglementation espagnole imposant la mise en bouteilles des vins Rioja dans la région de Rioja est contraire à l' interdiction figurant à l' article 34.

Les questions déférées par la juridiction belge sont les suivantes:

"1) Une réglementation nationale tel le décret royal espagnol n 157/88, du 24 février 1988, et le règlement du conseil régulateur de l' appellation contrôlée 'Rioja' pris en application de ce décret, constitue-t-elle une mesure d' effet équivalant à une restriction à l' exportation au sens de l' article 34 du traité CEE?

2) Dans l' affirmative, un particulier peut-il invoquer la violation de cet article 34 contre un autre particulier?"

5. Les observations écrites et orales montrent que la question de l' embouteillage obligatoire dans la région de production présente un intérêt économique et pratique. Des observations ont été déposées, outre par les deux entreprises belges et la Commission, par un certain nombre d' États - la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni - qui ne sont pas eux-mêmes producteurs de vin ou dont la production est très faible, mais qui ont en revanche une industrie de l' embouteillage importante. Par contre, parmi les États producteurs, seul l' État directement concerné, l' Espagne, a présenté des observations.

6. Les faits de l' espèce et les points de vue juridiques avancés ont été exposés dans le rapport d' audience. Nous nous bornerons dans ce qui suit à décrire brièvement les faits de l' affaire et à examiner les thèses juridiques que nous estimons essentielles pour répondre aux deux questions.

La réponse à la première question

La réglementation espagnole relative à la mise en bouteilles obligatoire des vins d' appellation d' origine dans la région de Rioja

7. En vertu de la loi espagnole sur le vin de 1970, il a été créé un conseil régulateur spécial pour la région de Rioja, qui a compétence pour réglementer, sous réserve de l' approbation du ministre de l' Agriculture, les vins d' appellation d' origine et qui a, par ailleurs, pour mission de veiller au respect des règles applicables en matière d' utilisation de l' appellation d' origine "Rioja". Le conseil régulateur se compose notamment de membres désignés par les pouvoirs publics et de représentants des producteurs.

8. La loi espagnole sur le vin de 1970 et les règlements pris en application de celle-ci fixent notamment les conditions auxquelles les vins peuvent se voir conférer la mention "denominación de origen" (appellation d' origine). La loi sur le vin permet en outre, à l' article 86, de conférer à un vin la mention "denominación de origen calificada" (appellation d' origine contrôlée), lorsque certaines conditions spéciales supplémentaires sont remplies. Initialement, l' une de ces conditions résidait dans le fait que le produit ne pouvait être commercialisé sur le marché national qu' après avoir été mis en bouteilles dans la région de production. En 1988, une nouvelle réglementation relative aux appellations d' origine a été adoptée, sous la forme du décret royal n 157/88, du 22 février 1988, qui est visé à la première question de la juridiction belge. Le décret indique les conditions qui doivent être satisfaites pour obtenir les dénominations, respectivement, d' appellation d' origine (chapitre 2) et d' appellation d' origine contrôlée (chapitre 3).

Le chapitre 2 du décret prévoit, en ce qui concerne l' appellation d' origine, la possibilité de déroger, dans des cas tout à fait spécifiques, au principe selon lequel ces vins doivent avoir été mis en bouteilles dans la zone de production.

Une telle possibilité limitée de déroger à la règle ne se retrouve pas dans le chapitre 3 relatif à l' appellation d' origine contrôlée. Les règles pertinentes en ce qui concerne cette appellation figurent à l' article 19 du décret, qui dispose notamment:

"Art. 19. 1. Seront réputés posséder des caractéristiques spéciales aux fins des dispositions de l' article 86 de la loi n 25/1970, précitée, les produits réunissant les conditions suivantes. Il faut:

a) ...

b) que les produits soient commercialisés exclusivement en bouteilles au départ des caves d' origine;

c) que le conseil régulateur institue, dans les limites de ses compétences, une procédure de contrôle, depuis la production jusqu' à la commercialisation, de la quantité et de la qualité des produits protégés et que soient utilisées des contre-étiquettes ou des cachets numérotés au départ des caves d' origine".

Il existe cependant une disposition transitoire en ce qui concerne l' exigence de la mise en bouteilles obligatoire dans la zone de production. Il y est prévu que la condition figurant à l' article 19, paragraphe 1, sous b), n' entrera en vigueur que cinq ans après la publication du décret le 24 février 1988 en ce qui concerne les ventes à l' exportation (2).

9. Après l' adoption de la nouvelle réglementation sous la forme du décret, le conseil régulateur de la région de Rioja a renouvelé une demande déjà présentée d' octroi de la mention "appellation d' origine contrôlée".

Pour faire en sorte que les conditions requises soient remplies, le conseil régulateur a publié, le 8 septembre 1988, la circulaire n 17/88 relative à la cessation de la commercialisation du vin en vrac, qui précise notamment ce qui suit:

"Avec le temps, il est devenu de pratique constante au conseil régulateur de l' appellation d' origine 'Rioja' d' augmenter progressivement les quotas de commercialisation du vin en bouteilles et de réduire les quotas du vin commercialisé en vrac.

...

Il a été jugé bon de mettre fin à cette situation également, de manière à supprimer totalement à moyen terme l' exportation en vrac de vin de Rioja et de parvenir à ce que la commercialisation de notre vin s' effectue à 100 % en bouteilles, ce qui constitue un objectif fondamental non seulement du point de vue de son image et de son prestige, mais est nécessaire également aux fins de la demande de concession d' une appellation d' origine contrôlée, qui a été introduite devant le ministère de l' Agriculture.

En conséquence, eu égard au décret royal n 157/88, du 22 février, relatif aux 'normes que doivent remplir les appellations d' origine et les appellations d' origine contrôlée du vin' , le conseil régulateur a, au cours de sa session plénière du mois de septembre courant, décidé à l' unanimité et sans qu' aucun des membres présents n' ait émis d' avis divergent, de supprimer l' exportation en vrac..."

Le conseil régulateur a adopté différentes dispositions transitoires - appelées "plan de réduction progressive" par la juridiction de renvoi - pour rendre possible en pratique la mise en oeuvre de l' interdiction.

10. Il est important pour la compréhension de la réglementation espagnole de relever que l' exigence figurant à l' article 19, paragraphe 1, sous b), du décret, selon...

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