Geoffrey Léger v Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes and Etablissement français du sang.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2112
Date17 July 2014
Celex Number62013CC0528
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-528/13
62013CC0528

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 17 juillet 2014 ( 1 )

Affaire C‑528/13

Geoffrey Léger

contre

Ministre des Affaires sociales, de la Santé

contre

Établissement français du sang

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal administratif de Strasbourg (France)]

«Santé publique — Don du sang — Critères d’admissibilité des donneurs — Critères d’exclusion permanente ou temporaire — Exclusion définitive des hommes ayant eu des rapports sexuels avec un autre homme — Principe de non‑discrimination en raison de l’orientation sexuelle — Proportionnalité»

Table des matières

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

B – Le droit français

II – Le litige au principal et la question préjudicielle

III – La procédure devant la Cour

IV – Analyse juridique

A – Résumé de la position du gouvernement français

B – Appréciation

1. Sur l’interprétation du point 2.1 de l’annexe III de la directive 2004/33

a) Le point 2.1 de l’annexe III de la directive 2004/33 ne peut être mis en œuvre qu’en présence d’un risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang

b) Le fait pour un homme d’avoir eu ou d’avoir des rapports sexuels avec un autre homme constitue-t-il un «comportement sexuel» au sens du point 2.1 de l’annexe III de la directive 2004/33?

2. Sur la marge d’appréciation laissée aux États membres par la directive 2004/33 et la possibilité reconnue à ces derniers de maintenir ou d’introduire des mesures de protection plus strictes

a) Le respect des dispositions du traité comme limite à l’exercice des compétences nationales

b) L’arrêté ministériel comporte une discrimination indirecte fondée sur la double combinaison du sexe et de l’orientation sexuelle

c) La différence de traitement est-elle justifiée et proportionnée?

V – Conclusion

1.

Le présent renvoi préjudiciel soulève une question délicate, celle de la compatibilité avec le droit de l’Union d’une mesure nationale qui exclut du don du sang, de manière permanente, les hommes qui ont eu ou ont des rapports sexuels avec d’autres hommes.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

2.

Le cadre juridique en droit de l’Union peut être résumé comme suit.

3.

Adoptée sur le fondement de l’article 152, paragraphe 4, sous a), CE [devenu l’article 168, paragraphe 4, sous a), TFUE], la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 2003, établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, la conservation et la distribution du sang humain, et des composants sanguins, et modifiant la directive 2001/83/CE ( 2 ), est née du constat fait par le législateur de l’Union d’une situation dans laquelle «la qualité et la sécurité [du sang total, du plasma et des cellules sanguines d’origine humaine] ne font l’objet d’aucune réglementation communautaire contraignante, dans la mesure où ils sont destinés à la transfusion et ne sont pas transformés en tant que tels» ( 3 ). Ledit législateur a donc fait part de son intention d’adopter des dispositions garantissant que «le sang et ses composants, quelle que soit leur destination, présentent un niveau comparable de qualité et de sécurité tout au long de la filière transfusionnelle dans tous les États membres», l’établissement de normes élevées de qualité et de sécurité devant contribuer à rassurer le public ( 4 ). La directive 2002/98 poursuit ainsi l’objectif d’établir des normes de qualité et de sécurité pour le sang humain et les composants sanguins afin d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine ( 5 ). Elle a notamment imposé aux États membres de veiller à ce que seuls les établissements dûment désignés et agréés puissent se livrer à des activités de collecte, de contrôle, de transformation, de stockage et de distribution de sang et de composants sanguins et à ce qu’ils soient soumis à différentes inspections et mesures de contrôle ( 6 ). Elle a également consacré les principes de la traçabilité du sang, de la gratuité et de la base volontaire du don ainsi que du contrôle obligatoire de chaque don ( 7 ).

4.

En revanche, les exigences relatives à l’admissibilité des donneurs de sang et de plasma, c’est-à-dire notamment les critères d’exclusion permanente et les critères d’exclusion temporaire, n’ont pas été arrêtées par la directive 2002/98, mais, au contraire, elles ont été adoptées par la directive 2004/33/CE de la Commission, du 22 mars 2004, portant application de la directive 2002/98 concernant certaines exigences techniques relatives au sang et aux composants sanguins ( 8 ), en application de la procédure de comitologie visée à l’article 28 de la directive 2002/98 ( 9 ).

5.

C’est donc la directive 2004/33 qui est venue fixer ces exigences. Son annexe III fixe les critères d’admissibilité pour les donneurs de sang total ou de composants sanguins. Le point 2 de l’annexe III est consacré aux critères d’exclusion desdits donneurs.

6.

Le point 2.1 de l’annexe III énumère, dans un tableau, les critères d’exclusion permanente pour les candidats à des dons homologues ( 10 ). La description du comportement sexuel, tel que visé par le tableau, est rédigée dans les termes suivants: «Sujets dont le comportement sexuel les expose au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang».

7.

Le point 2.2 de l’annexe III énumère les critères d’exclusion temporaire pour les candidats à des dons homologues, et le point 2.2.2 de ladite annexe vise, plus particulièrement, les critères d’exclusion liés à l’exposition au risque d’infection transmissible par transfusion. L’entrée du tableau consacrée aux «[i]ndividus dont le comportement sexuel ou l’activité professionnelle les expose au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang» fixe l’exclusion suivante: «Exclusion après la fin du comportement à risque pendant une période dont la durée dépend de la maladie en question et de la disponibilité des tests adéquats».

B – Le droit français

8.

La ministre de la Santé et des Sports a adopté, le 12 janvier 2009, un arrêté fixant les critères de sélection des donneurs de sang ( 11 ) (ci-après l’«arrêté ministériel»).

9.

L’article 1er de l’arrêté ministériel fixe les conditions dans lesquelles un don du sang peut être effectué. Aux termes de l’article 1er, titre V, point 1, qui porte sur les caractéristiques cliniques du donneur, il appartient à la personne habilitée à procéder à la sélection des donneurs d’apprécier la possibilité d’un don au regard des contre-indications et de leur durée, de leur antériorité et de leur évolution grâce à des questions complémentaires au questionnaire préalable au don ( 12 ). Ces questions sont posées, le cas échéant, lors de l’entretien préalable au don qui, lui, est systématique. Toujours aux termes de cette disposition, le candidat est ajourné du don s’il présente une contre-indication mentionnée dans l’un des tableaux de l’annexe II de l’arrêté ministériel. Il est prévu que les autorités sanitaires puissent modifier, ajouter ou supprimer des contre-indications au don du sang en fonction de situations épidémiologiques particulières ou des données de l’hémovigilance.

10.

L’annexe II de l’arrêté ministériel contient les tableaux relatifs aux contre‑indications. Plus précisément, le tableau B énumère les contre-indications en cas de risque pour le receveur. La partie du tableau B consacrée au risque lié à la transmission d’une infection virale se présente comme suit:

xxx

xxx

xxx

xxx (1)

xxx

xxx

xxx

xxx

xxx

xxx

xxx

xxx

xxx

xxx (2)

xxx

xxx

xxx

xxx

xxx

II – Le litige au principal et la question préjudicielle

11.

Le 29 avril 2009, le médecin de l’Établissement français du sang (EFS) a refusé le don du sang que souhaitait faire M. Geoffroy Léger, au motif que ce dernier déclarait être homosexuel.

12.

Par sa décision de refus, le médecin de l’EFS a fait application de l’arrêté ministériel, lequel considère comme une contre-indication permanente au don du sang le fait pour un candidat au don d’avoir eu des rapports sexuels avec un homme.

13.

M. Léger a saisi la juridiction de renvoi d’un recours en annulation à l’encontre de cette décision. Il argue notamment que l’arrêté ministériel, en ce qu’il fixe la contre-indication permanente susmentionnée, méconnaîtrait la directive 2004/33, et plus particulièrement son annexe II, point B ( 13 ), et son annexe III, point 2.1. L’arrêté ministériel violerait également, et par ailleurs, les articles 3, 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la «CEDH»), ainsi que le principe d’égalité.

14.

Ainsi confronté à une difficulté liée à l’interprétation du droit de l’Union, le tribunal administratif de Strasbourg a décidé de surseoir à statuer et, par décision de renvoi parvenue au greffe de la Cour le 8 octobre 2013, de saisir cette dernière, sur le fondement de l’article 267 TFUE, de la question préjudicielle suivante:

«Au regard de l’annexe III de la directive [2004/33], la circonstance pour un homme d’avoir des rapports sexuels avec un autre homme constitue-t-elle, en soi, un comportement sexuel exposant au risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le...

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