Sarah Margaret Richards v Secretary of State for Work and Pensions.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:787
Date15 December 2005
Celex Number62004CC0423
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-423/04

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL M. F. G. JACOBS

présentées le 15 décembre 2005 (1)

Affaire C-423/04

Sarah Margaret Richards

contre

Secretary of State for Work and Pensions

[demande de décision préjudicielle formée par le Social Security Commissioner (Royaume-Uni)]






1. Selon les termes employés par la House of Lords, la plus haute juridiction du Royaume-Uni, les transsexuels «naissent avec l’anatomie d’une personne d’un sexe donné mais avec la conviction ou le sentiment inébranlable qu’ils sont du sexe opposé» (2). La conviction d’appartenir à l’autre sexe est si profonde que le transsexuel est poussé à demander d’effectuer la «correction» corporelle correspondante (3) par traitement hormonal et par une opération chirurgicale de conversion sexuelle (4). Cet état est également connu sous la dénomination «dysphorie de genre» ou «trouble de l’identité sexuelle».

2. Jan (anciennement James) Morris, la journaliste et auteur de récits de voyages anglo-galloise, raconte comment, après avoir subi en 1972 une opération chirurgicale de conversion sexuelle afin d’achever de faire coïncider son apparence avec celle de la femme qu’elle s’était toujours sentie être (5), «un fonctionnaire courtois du ministère [...] a expliqué en s’excusant que la question de ma pension de retraite devrait être réglée en temps utile» (6). Plus de 30 ans plus tard, le Royaume-Uni a adopté la loi de 2004 relative à la reconnaissance du genre sexuel (Gender Recognition Act 2004) réglant la situation civile des transsexuels au regard, entre autres, des retraites (7). Cette loi est entrée en vigueur le 4 avril 2005 et n’a pas d’effet rétroactif.

3. La présente demande de décision préjudicielle formée par le Social Security Commissioner, London, avant que la loi de 2004 relative à la reconnaissance du genre sexuel ne soit entrée en vigueur, soulève la question de savoir si, le fait pour un État membre de refuser d’accorder le bénéfice d’une pension de retraite à une transsexuelle passée du sexe masculin au sexe féminin avant qu’elle n’ait atteint l’âge de 65 ans et qui aurait eu droit à une telle pension à l’âge de 60 ans si elle avait été considérée comme étant une femme selon le droit national, viole la directive 79/7/CEE (8).

Les dispositions applicables du droit communautaire

4. L’article 1er de la directive 79/7 dispose:

«La présente directive vise la mise en œuvre progressive, dans le domaine de la sécurité sociale et autres éléments de protection sociale prévu à l’article 3, du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, ci-après dénommé ‘principe de l’égalité de traitement’.»

5. L’article 2 prévoit que la directive s’applique à la population active.

6. L’article 3, paragraphe 1, sous a), déclare que la directive s’applique aux régimes légaux qui assurent une protection, entre autres, en matière de vieillesse.

7. L’article 4, paragraphe 1, de la même directive dispose:

«Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement [...] en particulier en ce qui concerne:

[...]

– le calcul des prestations, y compris [...] les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations.»

8. L’article 7, paragraphe 1, de la directive 79/7 dispose:

«La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application:

a) la fixation de l’âge de la retraite pour l’octroi des pensions de vieillesse et de retraite [...]

[...]»

Le droit national applicable avant l’arrêt Goodwin

9. En Angleterre et au pays de Galles, l’article 1er de la loi de 1953 relative à l’enregistrement des naissances et décès (Births and Deaths Registration Act 1953) requiert l’enregistrement de toute naissance par l’officier compétent de l’état civil de la circonscription où l’enfant a vu le jour. Le sexe de l’enfant doit être précisé dans l’acte de naissance. Cette loi autorise l’officier de l’état civil à corriger les erreurs de plume ainsi que les erreurs matérielles. La position officielle consiste à dire qu’une modification ne peut être faite que si l’erreur s’est glissée au moment où la naissance a été enregistrée. Le fait que, par la suite, au cours de la vie d’une personne, il puisse apparaître évident que le sexe «psychologique» de cette personne est en conflit avec celui enregistré au moment de sa naissance, n’est pas considéré comme impliquant que l’enregistrement initial au moment de la naissance a constitué une erreur factuelle. Il n’est notamment pas admis qu’il existerait une erreur dans l’enregistrement de la naissance d’une personne qui subit un traitement médical ou chirurgical afin de lui permettre d’assumer le rôle d’une personne du sexe opposé.

10. Le Department for Work and Pensions (ci-après le «DWP») – anciennement le Department for Social Security – enregistre tout citoyen britannique aux fins de l’assurance nationale d’après les informations figurant sur l’acte de naissance de l’intéressé. En conséquence, aux fins de fixation de l’âge de la retraite, le sexe d’une personne est déterminé en fonction de son sexe biologique à la naissance.

11. Les cotisations à l’assurance nationale sont déduites par l’employeur du salaire de l’employé, puis versées à l’administration fiscale (pour transmission au DWP). Les employeurs procèdent à ces déductions jusqu’à l’âge de la retraite de l’employé, c’est-à-dire actuellement jusqu’à 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes. En ce qui concerne les transsexuelles passées du sexe masculin au sexe féminin, le DWP applique une politique leur permettant de s’engager à lui payer directement les cotisations dues après l’âge de 60 ans, qui ne sont plus déduites par l’employeur, puisque celui-ci pense que l’employée est une femme. Quant aux transsexuels passés du sexe féminin au sexe masculin, ils peuvent demander directement au DWP le remboursement des déductions effectuées par leur employeur après qu’ils ont atteint l’âge de 60 ans (9).

12. Le paragraphe 1 de l’annexe 4 de la loi relative aux retraites (Pensions Act 1995) prévoit qu’un homme atteint l’âge de la retraite à 65 ans. Le paragraphe 2 de cette annexe prévoit qu’une femme née avant le 6 avril 1950 atteint l’âge de la retraite à 60 ans.

L’arrêt Goodwin et la Gender Recognition Act 2004

13. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu son arrêt dans l’affaire Goodwin le 11 juillet 2002 (10). La requérante dans cette affaire, une transsexuelle opérée passée du sexe masculin au sexe féminin, avait invoqué des violations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales au regard du statut juridique des transsexuels au Royaume-Uni et notamment la manière dont ils sont traités dans les domaines de l’emploi, de la sécurité sociale, des retraites et du mariage.

14. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’il y avait eu violation des articles 8 (respect de la vie privée) et 12 (droit de se marier). Au regard de l’article 8, la Cour s’est fondée sur l’absence de reconnaissance sur le plan juridique de la conversion sexuelle de la requérante et a noté en particulier que le fait qu’elle demeurait un homme sur le plan juridique avait des répercussions sur sa vie «lorsque le sexe revêt une pertinence juridique et que des distinctions sont opérées entre hommes et femmes, par exemple pour les pensions et l’âge d’admission à la retraite». Au regard de l’article 12, la Cour a jugé qu’il n’existait aucune raison justifiant que les transsexuels soient privés en toutes circonstances du droit de se marier sous leur nouvelle identité sexuelle (11).

15. La solution législative adoptée par le Royaume-Uni pour donner effet à l’arrêt Goodwin est la loi de 2004 relative à la reconnaissance du genre sexuel qui est entrée en vigueur le 4 avril 2005. Cette loi permet aux transsexuels (qu’ils aient ou non subi une opération chirurgicale de conversion sexuelle) de demander la délivrance d’un «gender recognition certificate» (certificat de reconnaissance du genre sexuel) qui «est un moyen d’obtenir une reconnaissance quasi totale du genre sexuel acquis par les personnes concernées».

16. La loi prévoit en particulier d’instituer un «Gender Recognition Panel» (comité de reconnaissance du genre sexuel). Conformément à l’article 2 de la loi, le comité doit délivrer le certificat lorsque le postulant lui aura démontré:

«(a) qu’il souffre ou a souffert de dysphorie de genre,

(b) qu’il a vécu dans les deux années précédant la date à laquel1e le certificat est demandé sous sa nouvelle identité sexuel1e,

(c) qu’il a l’intention de continuer à vivre sous cette nouvelle identité sexuelle jusqu’à sa mort»

et qu’il remplit les conditions relatives à la preuve prévues à l’article 3 de la loi.

17. L’article 13 et l’annexe 5 de ladite loi réglementent l’accès au bénéfice de prestations de sécurité sociale et de retraite. Le paragraphe 7, point 3, de l’annexe 5 dispose:

«[...] si (immédiatement avant que le certificat ne soit délivré) une personne

a) est un homme qui a atteint l’âge auquel une femme du même âge atteint l’âge de la retraite, mais

b) n’a pas encore atteint l’âge de 65 ans,

elle doit être considérée [...] comme ayant atteint l’âge de la retraite à la date où le certificat a été...

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