Marc Michel Josemans v Burgemeester van Maastricht.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:433
Docket NumberC-137/09
Celex Number62009CC0137
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date15 July 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 15 juillet 2010 (1)

Affaire C‑137/09

Marc Michel Josemans

contre

Burgemeester van Maastricht

[demande de décision préjudicielle introduite par le Raad van State (Pays-Bas)]

«Espace de liberté, de sécurité et de justice – Libre prestation des services – Champ d’application ratione materiæ – Vente de stupéfiants – Mesure d’une autorité publique locale réservant l’accès aux coffee shops aux résidents néerlandais – Lutte contre le tourisme de la drogue – Obligations incombant aux États membres au titre des articles 4 TUE et 72 TFUE – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 71, paragraphe 5 – Protection de l’ordre public national et de l’ordre public européen»





I – Introduction

A – Présentation générale de l’affaire

1. Le principe de la libre prestation des services garanti par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne a-t-il vocation à s’appliquer à la vente d’un produit stupéfiant? En d’autres termes, le responsable d’un coffee shop peut-il se prévaloir de ce principe pour légitimer son activité et le ressortissant d’un État membre peut-il se prévaloir de cette liberté pour aller se droguer dans un autre État membre?

2. Derrière ces questions simples se profilent d’autres questions plus sensibles. Entendons-nous bâtir une Europe au sein de laquelle producteur, transitaire ou destinataire peuvent librement se prévaloir des libertés de circulation garanties par le traité pour cultiver, transporter, offrir ou bien encore consommer de la drogue? L’espace de liberté, de sécurité et de justice que nous construisons aujourd’hui a-t-il pour ambition de servir les intérêts du commerce de la drogue?

3. Telles sont, en substance, les questions que soulève le présent renvoi préjudiciel.

4. Cette affaire s’inscrit dans le cadre du durcissement de la politique de tolérance que le Royaume des Pays-Bas adopte à l’égard de la vente de cannabis dans les coffee shops. Conscient des répercussions transfrontalières de cette politique et des nombreux troubles causés à l’ordre public par la fréquentation massive et croissante de ces établissements, le Burgemeester van Maastricht (bourgmestre de la commune de Maastricht) a décidé de réserver l’accès auxdits établissements aux seuls résidents néerlandais (ci-après la «mesure litigieuse»). Une telle mesure constituerait une entrave évidente aux libertés de circulation garanties par le traité si elle concernait un établissement de restauration commun dans lequel seraient uniquement vendus des produits de consommation licites. Or, tel n’est pas le cas dans la présente affaire, puisque, à la différence notable des snack-bars et autres établissements de restauration rapide dans lesquels sont vendus des sodas et autres sandwichs à emporter, l’activité principale des coffee shops est dédiée à la vente d’un produit stupéfiant dont la commercialisation est interdite par l’ensemble des États membres.

5. Le Raad van State (Pays-Bas) interroge, par conséquent, la Cour sur le point de savoir si une telle mesure relève du champ d’application ratione materiæ du droit de l’Union et, en particulier, des principes et des libertés fondamentales garantis par le traité. Il demande à la Cour, le cas échéant, si cette mesure peut être justifiée au titre de la lutte contre le tourisme de la drogue et des nuisances que celui-ci draine.

6. Dans ces conclusions, nous soutiendrons, en premier lieu, qu’une mesure adoptée par une autorité publique locale dans le cadre de son règlement général de police, qui réserve l’accès aux coffee shops aux seuls résidents néerlandais, ne relève pas du champ d’application du traité et, en particulier, de la libre prestation des services. À cet égard, nous expliquerons que la liberté visée à l’article 56 TFUE ne peut, en aucun cas, légitimer le commerce d’un produit stupéfiant, qui, même s’il est toléré par l’un des États membres de l’Union européenne, ne peut pas bénéficier des avantages tirés du marché commun.

7. En second lieu, nous proposerons à la Cour d’examiner la conformité de la mesure litigieuse sous un angle complémentaire, et ce dans un esprit de coopération avec le juge national. En effet, compte tenu de l’objet du litige ainsi que de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, nous considérerons qu’il est indispensable d’interpréter les dispositions du droit de l’Union qui visent spécifiquement la protection de l’ordre public et la lutte contre la demande illicite de stupéfiants.

8. À l’issue de cet examen, nous soutiendrons qu’une telle mesure, qui tend à lutter contre le tourisme de la drogue et les activités criminelles que celui-ci draine, constitue la manifestation pour l’État non seulement du droit qui lui est reconnu de maintenir son ordre public interne au titre des articles 4 TUE et 72 TFUE, mais également de son devoir de contribuer à la préservation de l’ordre public européen au titre de l’article 71, paragraphe 5, de la convention d’application de l’accord de Schengen (2).

B – Le cannabis

9. À l’heure actuelle, environ 4 millions de jeunes européens consomment quotidiennement du cannabis et 19 États membres sont concernés par la culture de ce stupéfiant. Dans la mesure où son modèle de consommation change et où apparaissent sur le marché de nouvelles formes de cannabis, il nous semble important de rappeler ce qu’est cette drogue et quels sont les effets de celle-ci sur la santé des consommateurs.

1. Une grande variété de cannabis

10. La marijuana, ou l’herbe, est le nom donné aux feuilles et aux fruits du cannabis qui, hachés et broyés, sont fumés purs ou avec du tabac. En revanche, le haschich est la résine sécrétée par les feuilles et les sommités mûres de la plante. Il est quatre à huis fois plus actif que la marijuana. Les substances psychotropes contenues dans le haschich sont des cannabinoïdes dont la plus importante est le delta 9 - tétrahydrocannabinol (ci-après le «THC»). Les effets du cannabis se manifestent pour une dose de 0,05 mg/kg de THC absorbée et, à titre d’illustration, une cigarette ou un joint de marijuana contient 2 à 5 mg de THC.

11. La teneur en THC varie de manière très importante selon l’origine des produits, les saisons et les méthodes de production. Ainsi, au-delà des espèces classiques provenant d’Afrique du Nord (notamment du Maroc), d’Asie et du Moyen-Orient, les vendeurs ou les dealers proposent aujourd’hui de nouvelles préparations de cannabis à des consommateurs encore rarement informés de la toxicité accrue de celles-ci (3). Selon les études réalisées, alors que le taux moyen de concentration en THC de la marijuana et du haschich importés est respectivement de 7 % et de 18,2 %, celui de la marijuana d’origine néerlandaise («nederwiet» ou «hennep») est de l’ordre de 20,4 % et celui du haschich dérivé de la marijuana néerlandaise («nederhasj»), de l’ordre de 39,3 % (4).

12. De la même façon, sont apparus sur le marché de nouveaux produits à base d’herbe auxquels ont été ajoutés des cannabinoïdes de synthèse ou coupés avec des substances aussi nocives que du plomb, du cirage, de la poudre de verre, des médicaments ou bien encore du sable (5). Cela permet d’augmenter le poids à la vente et renforce les effets de l’ivresse.

2. Une consommation qui génère des risques pour la santé humaine

13. Si, comme nous le verrons, la politique de tolérance adoptée par le gouvernement néerlandais repose sur une distinction entre la consommation et les dangers respectifs des «drogues douces» et des «drogues dures», cette distinction a, selon nous, perdu toute sa pertinence compte tenu des nouvelles formes de cannabis présentes sur le marché et des risques que leur consommation entraîne pour la santé humaine.

14. La dangerosité et la nocivité du cannabis sur les consommateurs comme sur le tissu social ne sont plus à démontrer. Si les effets psychiques liés à la consommation de cannabis sont, en principe, temporaires et réversibles dans le cas d’un consommateur occasionnel, ils apparaissent néanmoins dès le premier joint, potentialisent les effets de l’alcool et du tabac et sont susceptibles d’entraîner une ivresse cannabique, qui, associée à la conduite d’un véhicule, engendre des conséquences dramatiques. Les quatre ministres néerlandais en charge de la politique de la drogue l’ont expressément reconnu dans leur lettre adressée au parlement néerlandais le 11 septembre 2009 (6).

15. Ainsi que l’ont démontré de nombreuses études scientifiques (7), un usage intensif et prolongé de cannabis peut entraîner un retentissement physique et psychique encore plus dommageable. Contenant sept fois plus de goudron et de monoxyde de carbone que le tabac, un usage chronique de cannabis expose le fumeur à des risques plus importants de toxicité pulmonaire et de cancers des voies aérodigestives supérieures (8). La consommation de cannabis entraîne une fatigue physique et intellectuelle diminuant les capacités de concentration, de mémorisation ainsi que d’apprentissage et engendre un déficit de l’activité professionnelle ou scolaire. Une consommation régulière de cannabis peut ainsi conduire à des ruptures sociales qui se traduisent, chez l’adulte, par une difficulté plus grande à occuper un travail régulier et stable et, chez les plus jeunes, par un absentéisme scolaire cause de marginalisation et de dépression chez certains. En outre, l’usage de cannabis peut donner lieu à des symptômes psychiatriques, tels que des hallucinations. Il a également été incriminé dans l’apparition de certaines schizophrénies. Dans ce cas, l’association d’une schizophrénie à un abus de cannabis se caractérise par des troubles plus précoces et plus fréquents, une plus grande désinsertion sociale, des risques de dépression et de passages à l’acte suicidaire plus marqués. Il est évident que ces risques augmentent avec le mode de consommation, la durée, la vulnérabilité personnelle de l’usager et la quantité de produit...

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