Merck Genéricos - Produtos Farmacêuticos Ldª v Merck & Co. Inc. and Merck Sharp & Dohme Ldª.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:48
Date23 January 2007
Celex Number62005CC0431
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-431/05

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO Ruiz-Jarabo Colomer

présentées le 23 janvier 2007 (1)

Affaire C‑431/05

Merck Genéricos-Produtos Farmacêuticos Lda

contre

Merck & Co. Inc.

et

Merck Sharp & Dohme Lda

[demande de décision préjudicielle formée par le Supremo Tribunal de Justiça (Portugal)]

«Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce – Accord ADPIC (TRIPs) – Compétence de la Cour – Effet direct»





I – Introduction

1. Les accords mixtes ont été décrits comme constituant une complication inévitable parce qu’ils contribuent à organiser une réalité politique qui est elle aussi complexe (2). Le renvoi préjudiciel formé par le Supremo Tribunal de Justiça (Portugal) (juridiction suprême portugaise) remue le fer dans la plaie de cette complexité, paradoxalement à travers deux questions concises qu’il est facile de lire et de comprendre, mais qui recèlent néanmoins toute la charge émotionnelle des dissensions latentes qui resurgissent en raison de leur caractère incontournable.

2. Le contexte de cette affaire est bien connu, puisqu’il s’agit de l’accord ADPIC, qui s’inscrit parmi les accords signés en 1994 dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (3). Bien que cette affaire concerne une nouvelle fois la compétence de la Cour d’interpréter une norme concrète et l’éventuel effet direct de celle-ci, elle comporte une nouveauté par rapport aux cas antérieurs, puisque le renvoi ne concerne pas le droit des marques mais celui des brevets.

3. Il faut donc procéder à une analyse approfondie des arguments avancés dans le premier de ces domaines pour déterminer s’il suffit de les adapter, s’ils doivent faire l’objet d’une modulation plus importante, voire même s’ils requièrent une révision complète. En toute hypothèse, il faut souligner les importantes conséquences pratiques découlant de cette jurisprudence qui a modifié la forme d’exercer la politique extérieure communautaire en évitant en particulier les négociations d’accords mixtes (4).

II – Le cadre juridique

A – L’accord ADPIC

4. En vue d’harmoniser en partie les droits de la propriété intellectuelle en raison de leur influence occasionnelle sur le commerce international, l’accord ADPIC contient une série de notions applicables aux différentes variétés de propriété intellectuelle. J’énumérerai ci‑dessous celles qui ont une incidence sur les brevets et servent à trancher la problématique dont la Cour est saisie.

5. Ainsi, l’article 33 de cet accord, figurant dans la section 5 de la partie II, qui traite des normes relatives à la portée et à l’exercice des droits de propriété intellectuelle, est libellé comme suit sous l’intitulé «Durée de la protection»:

«La durée de la protection offerte ne prendra pas fin avant l’expiration d’une période de 20 ans à compter de la date du dépôt.»

6. De plus, dans la partie VII de l’annexe, qui porte sur les dispositions institutionnelles et finales, l’article 70 dispose sous le titre «Protection des objets existants»:

«1. Le présent accord ne crée pas d’obligations pour ce qui est des actes qui ont été accomplis avant sa date d’application pour le membre en question.

2. Sauf disposition contraire […], celui-ci crée des obligations pour ce qui est de tous les objets existant à sa date d’application pour le membre en question, et qui sont protégés dans ce membre à cette date, ou qui satisfont ou viennent ultérieurement à satisfaire aux critères de protection définis dans le présent accord. […]

[…]»

B – Le droit national

7. L’ancienne législation en matière de brevets au Portugal figurait dans le décret n° 30.679, du 24 août 1940, qui a approuvé la même année le code de la propriété industrielle (ci‑après le «code de 1940»). Son article 7 disposait que ces droits immatériels tombaient dans le domaine public au terme d’une période de quinze ans à compter de la date de délivrance du brevet.

8. Le décret-loi n° 16/95 a approuvé un nouveau texte législatif, en vigueur depuis le 1er juin 1995 (ci‑après le «code de 1995»), dont l’article 94 concerne la validité du brevet pour une période de 20 ans depuis la demande.

9. Toutefois, pour faire face aux situations relevant du droit transitoire, l’article 3 du code de 1995 est libellé comme suit:

«Les brevets pour lesquels les demandes ont été déposées avant l’entrée en vigueur du présent décret-loi conservent la durée de validité qui leur était conférée par l’article 7 du code [de 1940].»

10. L’article 3 du code de 1995 a été abrogé ultérieurement sans effet rétroactif par l’article 2 du décret-loi n° 141/96, du 23 août 1996, acte qui est entré en vigueur le 12 septembre 1996. En vertu de l’article 1er de cette disposition de droit national:

«Les brevets pour lesquels les demandes ont été déposées avant l’entrée en vigueur du décret-loi n° 16/95, du 24 janvier 1995, en vigueur au 1er janvier 1996 ou délivrés après cette date, relèvent des dispositions de l’article 94 du code de [1995] […]»

11. Cet article 94 a allongé de cinq ans la durée de la protection de ces droits de propriété immatérielle.

12. L’actuel code de la propriété intellectuelle a été adopté le 5 mars 2003 par le décret-loi n° 36/2003; son article 99 dispose:

«Durée

La durée de validité du brevet est de 20 ans à compter de la date à laquelle la demande correspondante a été déposée.»

III – Les faits qui ont donné lieu au litige

13. Merck & Co. Inc. (ci‑après «Merck») est titulaire du brevet d’invention n° 70.542, délivré par décision du 8 avril 1981 avec priorité à compter du 11 décembre 1978, intitulé «procédé de préparation de dérivés d’acides aminés comme hypertenseurs», en vue de préparer la composition chimique «Enalapril» et fabriquer le «Maléate d’Enalapril». Le médicament litigieux est commercialisé depuis le 1er janvier 1985 sous la marque «Renitec».

14. Merck Sharp & Dohme Lda (ci‑après «MSD») a obtenu une licence d’exploitation de ce brevet pour utiliser, vendre ou disposer de n’importe quelle façon des produits Renitec au Portugal, ainsi que les pouvoirs de défense correspondants.

15. En 1996, Merck Genéricos-Productos Farmacêuticos Lda (ci‑après «Merck Genéricos») a mis sur le marché un médicament sous la marque «Enalapril Merck» qu’elle commercialise à des prix sensiblement inférieurs à celui de la marque Renitec et dont elle a affirmé, dans le cadre de la promotion auprès des médecins, qu’il s’agissait du même médicament que ce dernier.

16. Merck et MSD ont introduit un recours pour que Merck Genéricos s’abstienne d’utiliser directement ou indirectement (importation, fabrication, préparation, manipulation, emballage ou vente) sans leur autorisation expresse et formelle au Portugal ou d’exporter le médicament Enalapril Merck, même sous une autre dénomination commerciale, contenant les substances actives «Enalapril» ou «Maléate d’Enalapril». Elles ont aussi réclamé l’indemnisation des préjudices moraux et matériels subis à concurrence de 32 500 000 PTE.

17. Merck Genéricos a fait valoir pour sa défense que le brevet n° 70.542 était tombé dans le domaine public le 8 avril 1996 à l’expiration du délai de quinze ans visé à l’article 7 du code de 1940, en vertu du régime transitoire prévu à l’article 3 du code de 1995.

18. MSD s’est fondée sur l’article 33 de l’accord ADPIC pour soutenir que le brevet était resté valable jusqu’au 4 décembre 1999.

19. Le recours a été rejeté en première instance.

20. Au deuxième degré de juridiction, le Tribunal da Relação (juge d’appel) de Lísboa a accueilli la demande des requérantes et a condamné Merck Genéricos à indemniser le préjudice causé par la violation du brevet n° 70.542, étant donné que, en vertu de l’article 33 de l’accord ADPIC, qui bénéficie de l’effet direct, le délai de protection n’était pas arrivé à échéance le 9 avril 1996, comme le soutenait la défenderesse en première instance, mais bien cinq années plus tard.

21. Merck Genéricos a formé un recours en cassation contre cet arrêt devant le Supremo Tribunal de Justiça en contestant l’effet direct attribué à l’article 33 précité.

22. La haute juridiction portugaise observe que, même si l’article 94 du code de 1995 a porté à 20 ans la durée de validité des brevets, cette disposition n’était pas applicable à l’affaire en cause, parce que le brevet n° 70.542 était arrivé à expiration le 8 avril 1996, à l’issue des 15 années visées par l’article 7 du code de 1940. De ce fait, l’application de l’article 33 de l’accord ADPIC, qui accorde un délai minimal de protection de 20 ans aux brevets, impliquerait qu’il faut faire droit aux prétentions de MSD.

23. Le Supremo Tribunal considère que, conformément aux principes qui régissent l’interprétation des traités internationaux au Portugal, l’article 33 de l’accord ADPIC a un effet direct et peut être invoqué entre particuliers dans le litige.

24. Toutefois, nourrissant des doutes sur l’extrapolation éventuelle de la jurisprudence communautaire sur l’accord ADPIC en matière de marque au domaine des brevets, tant sur le fond que sur le pouvoir d’interprétation de la Cour, le juge de renvoi a suspendu la procédure et lui a posé les questions préjudicielles suivantes en application de l’article 234 CE:

«1) La Cour de justice des Communautés européennes est-elle compétente pour interpréter l’article 33 de l’accord TRIPs?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, les juridictions nationales doivent-elles appliquer l’article précité, d’office ou à la demande de l’une des parties, dans les litiges pendants devant elles?»

IV – La procédure devant la Cour

25. La décision de renvoi a été enregistrée au greffe de la Cour le 5 décembre 2005.

26. Des observations écrites ont été déposées dans le délai fixé par l’article 23 du statut de la Cour de justice par Merck et MSD conjointement, ainsi que par Merck Genéricos, les gouvernements portugais et français et la Commission des Communautés européennes .

27. Les représentants des parties au litige au principal, ainsi...

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