Criminal proceedings against Aldo Patriciello.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:379
Date09 June 2011
Celex Number62010CC0163
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-163/10

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 9 juin 2011 (1)

Affaire C‑163/10

Aldo Patriciello

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale d’Isernia (Italie)]

«Membre du Parlement européen – Article 8 du protocole sur les privilèges et immunités – Portée de la notion d’‘opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires’ – Procédure pénale pour le délit de dénonciation calomnieuse – Immunité matérielle – Comportement d’un membre du Parlement européen en dehors de l’enceinte du Parlement européen – Lien organique»





I – Introduction

1. Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur les conditions de fond de la mise en œuvre de l’immunité conférée par le droit de l’Union aux membres du Parlement européen en ce qui concerne les opinions qu’ils expriment dans l’exercice de leurs fonctions.

2. Si la Cour a déjà pu se prononcer au sujet des modalités procédurales relatives à la mise en œuvre de l’immunité parlementaire accordée aux membres du Parlement (2), elle est, dans le cadre de la présente affaire, invitée à déterminer les contours matériels de l’immunité à la lumière de l’article 8 (ex‑article 9) du protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (3).

3. À l’instar des systèmes constitutionnels de plusieurs États membres qui ont suivi l’exemple du modèle développé en France à la suite de la révolution de 1789, le protocole offre deux volets principaux de protection propre aux membres du Parlement (4), d’une part, la protection de la liberté de parole dans le cadre de l’exercice des fonctions d’un député, c’est‑à‑dire l’immunité matérielle, dénommée également «irresponsabilité parlementaire» (5), d’autre part, l’immunité processuelle aussi appelée «inviolabilité» (6), garantie aux membres du Parlement contre les poursuites judiciaires pendant la durée de leur mandat. En outre, le protocole assure aux députés la liberté d’assister et de participer aux activités du Parlement pendant la durée de ses sessions (7). En l’espèce, la Cour est invitée à définir la portée de la première forme d’immunité, à savoir l’immunité matérielle.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

1. La charte des droits fondamentaux

4. Aux termes de l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (8), toute personne a droit à la liberté d’expression, qui comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées, sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.

2. Le protocole n° 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne

5. L’article 8 du protocole prévoit que «[l]es membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions».

6. L’article 9 (ex‑article 10), premier alinéa, sous a) et b), de ce protocole dispose que, pendant la durée des sessions du Parlement, les membres de celui‑ci bénéficient, sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays et, sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire. Le dernier alinéa de cet article prévoit également que le Parlement peut décider de lever l’immunité de l’un de ses membres.

3. Le règlement intérieur du Parlement européen (9)

7. L’article 6 du règlement intérieur du Parlement européen (ci‑après le «règlement intérieur du Parlement»), intitulé «Levée de l’immunité», prévoit, en son paragraphe 1, que, dans l’exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’accomplissement de leurs tâches. Le paragraphe 3 de cet article précise que toute demande adressée au président par un député ou un ancien député en vue de défendre l’immunité et les privilèges est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

8. L’article 9 du règlement intérieur du Parlement, intitulé «Intérêts financiers des députés, règles de conduite et accès au Parlement», est rédigé en ces termes:

«[…]

2. Le comportement des députés est inspiré par le respect mutuel, repose sur les valeurs et principes définis dans les textes fondamentaux de l’Union européenne, préserve la dignité du Parlement et ne doit pas compromettre le bon déroulement des travaux parlementaires ni la tranquillité dans l’ensemble des bâtiments du Parlement. [ …]

3. L’application du présent article n’entrave en aucune façon la vivacité des débats parlementaires ni la liberté de parole des députés.

Elle se fonde sur le plein respect des prérogatives des députés, telles qu’elles sont définies dans le droit primaire et dans le statut applicable aux députés.

Elle repose sur le principe de transparence et garantit que toute disposition en la matière soit portée à la connaissance des députés, qui sont informés individuellement de leurs droits et obligations.

[…]»

9. Le chapitre 4 du titre VI du règlement intérieur du Parlement, qui comprend les articles 152 à 154, régit les mesures applicables en cas de non‑respect des règles de conduite applicables aux députés.

10. L’article 152 dudit règlement, relatif aux mesures immédiates, énonce les compétences du président lui permettant de rappeler à l’ordre tout député qui porte atteinte au bon déroulement de la séance ou dont le comportement n’est pas compatible avec les dispositions pertinentes dudit article 9. L’article 153 du règlement intérieur du Parlement énonce les sanctions applicables aux députés, parmi lesquelles figurent, notamment, un blâme et une suspension temporaire de la participation à des activités du Parlement. L’article 154 dudit règlement régit les voies de recours.

11. L’annexe XVI du règlement intérieur du Parlement, intitulée «Lignes directrices relatives à l’interprétation des règles de conduite applicables aux députés», est ainsi rédigée:

«1. Il convient de distinguer les comportements de nature visuelle, qui peuvent être tolérés, pour autant qu’ils ne soient pas injurieux et/ou diffamatoires, qu’ils gardent des proportions raisonnables et qu’ils ne génèrent pas de conflit, de ceux entraînant une perturbation active de quelque activité parlementaire que ce soit.

2. La responsabilité des députés est engagée dès lors que des personnes qu’ils emploient, ou dont ils facilitent l’accès au Parlement, ne respectent pas à l’intérieur des bâtiments de celui‑ci les règles de comportement applicables aux députés.

Le Président ou les personnes qui le représentent exercent le pouvoir disciplinaire à l’égard de ces personnes ou de toute autre personne extérieure au Parlement se trouvant dans les bâtiments de celui‑ci.»

B – Le droit national

12. L’article 68 de la Constitution italienne prévoit, en son premier alinéa, que les membres du parlement national ne peuvent être appelés à répondre des opinions exprimées et des votes qu’ils ont émis dans l’exercice de leurs fonctions.

III – Les faits et la question préjudicielle

13. M. Patriciello, membre italien du Parlement, est poursuivi, dans le cadre de la procédure pénale engagée contre lui devant le Tribunale d’Isernia (Italie), pour avoir accusé à tort de comportement illégal un agent de la police municipale de Pozzili (Italie), au cours d’une altercation ayant eu lieu le 1er août 2007, sur un parking public situé non loin d’un institut neurologique.

14. Il ressort de la décision de renvoi que M. Patriciello doit répondre, à cet égard, du délit de dénonciation calomnieuse prévu à l’article 368 du code pénal italien, pour avoir affirmé que l’agent de police avait falsifié des horaires en verbalisant plusieurs automobilistes dont les véhicules étaient stationnés en infraction au code de la route et, partant, pour avoir accusé l’agent en question de délit de faux en écriture. M. Patriciello aurait persévéré en présence de gendarmes intervenus sur les lieux afin de vérifier la réalité des infractions reprochées.

15. Par décision du 5 mai 2009, le Parlement, faisant suite à la demande de M. Patriciello, fondée sur l’article 6, paragraphe 3, du règlement intérieur du Parlement, a décidé, sur la base du rapport de la commission des affaires juridiques, de défendre l’immunité de ce dernier (ci‑après la «décision de défense d’immunité»). Cette décision est motivée comme suit:

«En fait, dans ses déclarations, M. Patriciello s’était borné à émettre des commentaires sur des faits relevant du domaine public, à savoir le droit des citoyens à accéder facilement à un hôpital et à des soins de santé, ce qui a des incidences importantes sur la vie quotidienne de ses administrés. M. Aldo Patriciello n’a pas agi dans son propre intérêt, il n’a pas cherché à insulter la fonctionnaire mais il est intervenu dans l’intérêt général de ses électeurs, dans le cadre de ses activités politiques. Ce faisant, il s’est acquitté de son devoir en tant que député au Parlement européen en exprimant son opinion sur une question d’intérêt public auprès de ses électeurs [(10)].»

16. Dans la décision de renvoi, le Tribunale d’Isernia constate que, en vertu de l’article 9, sous a), du protocole, les députés européens bénéficient, pour les faits commis sur le territoire national, des immunités et des privilèges dans les mêmes limites de fond et de forme que celles prévues par le droit national. Or, selon l’article 68 de la Constitution italienne, le privilège de l’irresponsabilité ne s’étend aux activités extraparlementaires que si elles sont étroitement liées à l’exercice des fonctions et des finalités propres au mandat parlementaire.

17. Dans ces conditions, ladite juridiction relève que, sans préjudice de toute appréciation du caractère fondé ou non de l’accusation, les faits à l’origine de la...

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