Jersey Produce Marketing Organisation Ltd v States of Jersey and Jersey Potato Export Marketing Board.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2005:269
Docket NumberC-293/02
Celex Number62002CC0293
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date03 May 2005

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 3 mai 2005 (1)

Affaire C-293/02

Jersey Produce Marketing Organisation Ltd

contre

The States of Jersey, Jersey Potato Export Marketing Board

(demande de décision préjudicielle formée par la Royal Court of Jersey)

«Protocole n° 3 concernant les îles Anglo-Normandes et l'île de Man – Règlement (CEE) n° 706/73 – Libre circulation des marchandises – Politique agricole commune – Pommes de terre de l'île de Jersey – Réglementation concernant leur commercialisation au Royaume-Uni – Applicabilité des articles 23 CE, 25 CE et 29 CE – Situations purement internes à un État membre»





1. Le droit communautaire s’oppose-t-il à une réglementation, propre à l’île de Jersey (2), qui subordonne la commercialisation – vers le Royaume-Uni – des pommes de terre produites sur cette île à l’accomplissement de diverses formalités?

2. Telle est, en substance, la question posée par la Royal Court of Jersey dans la présente affaire, qui invite la Cour de justice à examiner le statut particulier de cette île vis-à-vis de la Communauté européenne, du fait de l’adhésion du Royaume-Uni.

3. Dans le prolongement de l’arrêt du 16 juillet 1998, Pereira Roque (3), concernant la situation de Jersey dans le domaine de la libre circulation des personnes, il s’agit à présent de déterminer si les règles du traité CE relatives à la libre circulation des marchandises sont applicables à ce territoire insulaire pour la commercialisation de produits agricoles tels que des pommes de terre et, si oui, dans quelles conditions. Compte tenu du statut particulier de l’île de Jersey vis-à-vis du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, cette affaire invite plus précisément la Cour à examiner de nouveau la question de l’applicabilité des règles du traité, en matière de libre circulation des marchandises, à des situations purement internes à un État membre.

I – Le cadre juridique

A – La réglementation communautaire concernant la situation de l’île de Jersey vis-à-vis de la Communauté

4. Plusieurs dispositions de droit communautaire, primaire ou dérivé, ont trait à la situation des îles Anglo-Normandes, comme à celle de l’île de Man (4), quant à l’applicabilité de la réglementation communautaire sur le territoire desdites îles.

5. Ainsi, si l’article 299, paragraphe 4, CE prévoit que «[l]es dispositions du présent traité s’appliquent aux territoires européens dont un État membre assume les relations extérieures», le même article précise, toutefois, à son paragraphe 6, point c), que «les dispositions du présent traité ne sont applicables aux îles Anglo-Normandes et à l’île de Man que dans la mesure nécessaire pour assurer l’application du régime prévu pour ces îles par le traité relatif à l’adhésion de nouveaux États membres à la Communauté économique européenne […] signé le 22 janvier 1972».

6. Le régime prévu pour ces îles par le traité d’adhésion en question est exposé dans le protocole n° 3 concernant les îles Anglo-Normandes et l’île de Man, qui est annexé aux actes relatifs à l’adhésion aux Communautés européennes du Royaume de Danemark, de l’Irlande, du Royaume de Norvège et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (5).

7. L’article 1er, paragraphe 1, dudit protocole prévoit que «[l]a réglementation communautaire en matière douanière et en matière de restrictions quantitatives, et notamment celle de l’acte d’adhésion, s’applique aux îles Anglo-Normandes et à l’île de Man dans les mêmes conditions qu’au Royaume-Uni. En particulier, les droits de douane et les taxes d’effet équivalent entre ces territoires et la Communauté dans sa composition originaire et entre ces territoires et les nouveaux États membres sont progressivement réduits, conformément au rythme prévu aux articles 32 et 36 de l’acte d’adhésion».

8. L’article 1er, paragraphe 2, premier alinéa, du protocole n° 3 précise que, «[p]our les produits agricoles et pour les produits issus de leur transformation qui font l’objet d’un régime d’échange spécial, sont appliqués à l’égard des pays tiers les prélèvements et autres mesures à l’importation prévus par la réglementation communautaire, applicables par le Royaume-Uni». L’alinéa suivant ajoute que «[s]ont également applicables celles des dispositions de la réglementation communautaire, et notamment celles de l’acte d’adhésion, qui sont nécessaires en vue de permettre la libre circulation et le respect de conditions normales de concurrence dans les échanges de ces produits».

9. L’article 1er, paragraphe 2, dernier alinéa, dudit protocole prévoit que «[l]e Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, détermine les conditions d’application à ces territoires [ceux des îles Anglo-Normandes et de l’île de Man] des dispositions visées aux alinéas précédents». C’est sur ce fondement et à cette fin qu’a été adopté le règlement (CEE) n° 706/73 du Conseil, du 12 mars 1973, relatif à la réglementation communautaire applicable aux îles anglo-normandes et à l’île de Man en ce qui concerne les échanges de produits agricoles (6).

10. Ainsi, l’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement prévoit que «[l]a réglementation communautaire applicable au Royaume-Uni en ce qui concerne les échanges de produits agricoles relevant de l’annexe II du traité instituant la Communauté économique européenne [(7)], ainsi que les échanges de marchandises relevant du règlement n° 170/67/CEE [(8)] et du règlement (CEE) n° 1059/69 [(9)], s’applique aux îles, à l’exception des dispositions relatives aux restitutions et aux montants compensatoires octroyés à l’exportation par le Royaume-Uni».

11. L’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 706/73 précise que, «[p]our l’application de la réglementation visée au paragraphe 1, le Royaume-Uni et les îles sont considérés comme un seul État membre».

12. L’article 3 de ce même règlement, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 1174/86 (10), ajoute que «la réglementation communautaire applicable dans les secteurs suivants […] législation phytosanitaire, commercialisation des semences et plants, législation des denrées alimentaires […], normes de qualité et de commercialisation, est applicable dans les mêmes conditions qu’au Royaume-Uni aux produits visés à l’article 1er importés dans les îles ou exportés des îles vers la Communauté».

B – La réglementation locale, propre à l’île de Jersey

13. Le 18 décembre 2001, a été adoptée, par le States of Jersey (organe législatif de l’île de Jersey) (11), la loi portant adoption du régime de commercialisation pour les exportations de pommes de terre de Jersey (Jersey Potato Export Marketing Scheme Act 2001) (12).

14. La réglementation litigieuse aurait été adoptée afin de répondre aux doléances des agriculteurs face aux faibles marges bénéficiaires qu’ils retireraient de la culture d’une variété de pommes de terre, dénommée «Jersey Royal», qui constitue la principale culture en plein champ de l’île (13). La responsabilité de cette situation incomberait aux organismes chargés de la commercialisation des pommes de terre de Jersey, dans la mesure où leur politique commerciale serait arrêtée de manière peu transparente et selon des considérations essentiellement dictées par les rapports de concurrence qu’ils entretiendraient entre eux, c’est-à-dire dans des conditions échappant largement aux agriculteurs (14). C’est dans ce contexte que la réglementation litigieuse a été adoptée en vue de favoriser la transparence et la loyauté des transactions commerciales.

15. Son objet est d’instituer un régime particulier pour l’«exportation» de pommes de terre de Jersey vers d’autres îles voisines ainsi qu’au Royaume-Uni où, comme nous venons de l’indiquer, la quasi-totalité de la production est écoulée. Selon l’article 2 de la réglementation litigieuse, qui en définit le champ d’application géographique, le terme «exportation» vise «l’expédition de pommes de terre en dehors de l’île en vue de leur vente, soit directement, soit via un autre lieu, vers une destination située au Royaume-Uni, au bailliage de Guernesey ou dans l’île de Man, pour y être consommées».

16. La réglementation litigieuse s’articule autour d’une double obligation, dont la méconnaissance est pénalement punissable.

17. Plus précisément, elle impose aux producteurs de pommes de terre de Jersey, qui souhaitent «exporter» leurs produits, l’obligation d’être enregistrés auprès du Jersey Potato Export Marketing Board (organisme institué par la loi de 2001 dans le but de gérer le régime en question) (15) et de conclure avec ce dernier un accord de commercialisation (16).

18. L’obligation tenant à la conclusion d’un accord de commercialisation avec l’Office s’impose également aux organismes de commercialisation qui souhaitent «exporter» des pommes de terre de Jersey qu’ils ont reçues des producteurs (17).

19. La méconnaissance de telles obligations est pénalement punissable. En effet, toute personne qui vend, propose de vendre ou demande à acheter des pommes de terre de Jersey en violation de la réglementation litigieuse encourt une peine d’amende d’un montant maximal de 200 livres sterling et/ou une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de six mois.

20. Par ailleurs, il ressort de la règlementation litigieuse que, lorsqu’un producteur de pommes de terre de Jersey méconnaît les termes de l’accord de commercialisation qu’il a conclu avec l’Office, ce dernier peut le sanctionner et, en cas de récidive, en informer les autorités compétentes du States, afin de voir procéder à sa radiation du registre tenu par ledit Office, ce qui empêche le producteur ainsi radié de conclure un nouvel accord de commercialisation.

21. Outre ces pouvoirs de sanction, l’Office peut, en vertu de la réglementation litigieuse, exiger que chaque producteur enregistré auprès de lui contribue à un fonds destiné à couvrir ses coûts principaux (18), même lorsque ce dernier n’est pas partie à un accord de...

To continue reading

Request your trial
1 cases

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT