Marie Landtová v Česká správa socialního zabezpečení.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:111
Docket NumberC-399/09
Celex Number62009CC0399
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date03 March 2011

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 3 mars 2011 (1)

Affaire C‑399/09

Marie Landtová

contre

Česká správa sociálního zabezpečení

[demande de décision préjudicielle formée par le Nejvyšší správní soud (République tchèque)]

«Libre circulation des travailleurs – Sécurité sociale – Règlement (CEE) n° 1408/71 – Convention en matière de sécurité sociale conclue entre deux États membres avant leur adhésion à l’Union européenne – Prestation de vieillesse – État membre compétent pour évaluer les périodes de cotisation accomplies – Double prise en compte d’une même période de cotisation – Article 39 CE – Non‑discrimination en raison de la nationalité et de la résidence – Réparation de la discrimination»





I – Introduction

1. À la suite de la dissolution puis de la scission de la République fédérative tchèque et slovaque, les deux nouveaux États créés sur son territoire, la République tchèque et la République slovaque, ont conclu un accord international en vue de la coordination de divers aspects relatifs aux prestations de sécurité sociale des personnes liées à ces deux États. Le critère choisi aux fins de la détermination du régime applicable et de l’autorité compétente pour accorder ces prestations est celui du pays de résidence de l’employeur au moment de la dissolution, c’est‑à‑dire le 31 décembre 1992.

2. Du fait de l’application de ce régime, les ressortissants tchèques ayant travaillé avant la scission pour des employeurs domiciliés sur le territoire de l’actuelle Slovaquie ont été soumis à la législation et à la compétence des institutions de sécurité sociale de ce pays. Cela a donné lieu à plusieurs litiges qui sont à l’origine d’une jurisprudence désormais bien établie de l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle, République tchèque), en vertu de laquelle, en résumé, les citoyens tchèques soumis au régime slovaque peuvent prétendre, sur la base du droit fondamental d’accès aux prestations sociales, à la perception d’un complément de prestation versé par les autorités tchèques et couvrant l’éventuelle différence entre la prestation slovaque et la prestation à laquelle ils auraient eu droit s’ils avaient été soumis au régime tchèque.

3. Dans les observations qu’il présente dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, le gouvernement tchèque estime que cette doctrine de l’Ústavní soud enfreint le droit de l’Union. D’une part, elle impliquerait, selon lui, la double prise en compte d’une même période de cotisation, en violation du règlement (CEE) n° 1408/71 (2). D’autre part, le complément de prestation auquel ont droit les retraités tchèques serait accordé de manière sélective, sur la base d’un critère cumulatif basé sur la nationalité et la résidence, en violation des articles 3 et 10 du règlement n° 1408/71, interprétés à la lumière de l’article 39 CE (actuel article 45 TFUE).

4. Le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême tchèque), qui partage les doutes soulevés par le gouvernement tchèque, a posé à la Cour les deux questions préjudicielles qui sont à l’origine de la présente affaire.

5. Tel est, en substance, le problème que la Cour est appelée à trancher dans le cadre de la présente affaire. La «règle nationale» mise en cause par la juridiction de renvoi découle de rien moins qu’une jurisprudence de l’Ústavní soud et, qui plus est, d’une jurisprudence qui étend certains droits des citoyens tchèques résidant en République tchèque, dans le cadre d’un processus historique de scission d’un État suivie de la création de deux États nouveaux. D’autre part, circonstance très inhabituelle, nous sommes en présence non d’un particulier demandant à être assimilé à un groupe privilégié, mais d’un membre de ce groupe que l’administration de sécurité sociale prétend priver du bénéfice du traitement privilégié. C’est donc «à l’envers», en quelque sorte, que la présente affaire de discrimination nous est soumise, dans un contexte institutionnel aussi conflictuel que délicat.

6. La présente affaire nous offre donc l’occasion d’examiner la question, toujours épineuse, de la réparation des effets des situations discriminatoires et, plus particulièrement, vu les circonstances particulières de l’espèce, celle de la marge de manœuvre du juge dans ce contexte.

II – Cadre réglementaire de l’Union

7. L’article 12 CE (actuel article 18 TFUE) dispose que, «[d]ans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité».

8. L’interdiction de la discrimination est spécifiquement prévue pour les travailleurs à l’article 39 CE, aux termes duquel:

«1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union.

2. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

[…]»

9. Aux termes de l’article 42 CE (actuel article 48 TFUE), le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne adoptent, dans le domaine de la sécurité sociale, les mesures nécessaires «pour l’établissement de la libre circulation des travailleurs, en instituant notamment un système permettant d’assurer aux travailleurs migrants salariés et non salariés et à leurs ayants droit:

a) la totalisation, pour l’ouverture et le maintien du droit aux prestations, ainsi que pour le calcul de celles-ci, de toutes périodes prises en considération par les différentes législations nationales;

b) le paiement des prestations aux personnes résidant sur les territoires des États membres».

10. Les mesures auxquelles se réfère l’article 42 CE trouvent leur expression dans le règlement n° 1408/71 qui, à son article 3, prévoit une clause de non‑discrimination ainsi libellée:

«1. Les personnes auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement.

[…]

3. Le bénéfice des dispositions de conventions de sécurité sociale qui restent applicables en vertu de l’article 7 paragraphe 2 point c) est étendu à toutes les personnes auxquelles s’applique le présent règlement, à moins qu’il n’en soit disposé autrement à l’annexe III.»

11. Après avoir précisé, à l’article 4, paragraphe 1, que ses dispositions s’appliquaient aux prestations d’invalidité et de vieillesse, le règlement ajoute à l’article 6 qu’il se substitue à toute convention de sécurité sociale liant exclusivement deux ou plusieurs États membres. La seule exception à cette règle est contenue à l’article 7, paragraphe 2, qui garantit l’application de «certaines dispositions des conventions de sécurité sociale que les États membres ont conclues avant la date d’application du présent règlement, pour autant qu’elles soient plus favorables aux bénéficiaires ou si elles découlent de circonstances historiques spécifiques et ont un effet limité dans le temps, et si elles figurent à l’annexe III».

12. L’annexe III, partie A, intitulée «Dispositions de conventions de sécurité sociale qui restent applicables nonobstant l’article 6 du règlement», ajoute ceci à son point 9:

«9. République tchèque – Slovaquie

Les articles 12, 20 et 33 de la Convention sur la sécurité sociale du 29 octobre 1992».

III – Cadre juridique national

13. L’article 30 de la charte des droits et des libertés fondamentales de la République tchèque dispose que «les citoyens ont droit à une sécurité matérielle adéquate dans la vieillesse et en cas d’incapacité de travail ainsi qu’en cas de perte du soutien de famille».

14. L’article 28 de la loi n° 155/1995 Coll., relative aux prestations de vieillesse, dispose que «l’assuré a droit à une pension de retraite s’il a accompli la période d’assurance requise et s’il a atteint l’âge de départ à la retraite, le cas échéant, s’il remplit d’autres conditions énoncées par la présente loi».

15. La convention bilatérale entre la République tchèque et la République slovaque, conclue le 29 octobre 1992, prévoit, à l’article 20, que «les périodes d’assurance accomplies avant la date de la scission de la République fédérative tchèque et slovaque sont considérées comme périodes d’assurance accomplies dans l’État membre sur le territoire duquel l’employeur de l’intéressé a son siège soit à la date de la scission, soit le dernier jour avant cette date».

16. Par conséquent, en application de cette convention, les travailleurs tchèques et slovaques qui résidaient sur le territoire tchèque, mais dont l’employeur était domicilié sur le territoire slovaque, étaient soumis au régime et relevaient de la compétence des autorités slovaques. En revanche, les travailleurs tchèques et les travailleurs slovaques qui résidaient sur le territoire tchèque, mais travaillaient pour un employeur domicilié sur le territoire tchèque, étaient soumis aux dispositions et relevaient de la compétence des autorités tchèques.

17. Par décision du 25 janvier 2005 (3), l’Ústavní soud a confirmé une jurisprudence antérieure même à l’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne (4), selon laquelle les ressortissants tchèques relevant du régime et de la compétence des autorités slovaques peuvent, en vertu des dispositions de l’article 30 de la charte des droits et des libertés fondamentales de la République tchèque (5), demander le bénéfice d’une prestation complémentaire à la pension de retraite à laquelle ils ont droit, en application de la convention du 29 octobre 1992. Selon l’Ústavní soud, «lorsqu’un ressortissant tchèque remplit les conditions légales d’ouverture du droit à pension dont le montant fixé par le droit national (tchèque) excède celui prévu par la convention [bilatérale], il appartient [à l’institution tchèque de...

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