Amedee

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:846
Celex Number62010CC0572
CourtCourt of Justice (European Union)
Date15 December 2011

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 15 décembre 2011 (1)

Affaire C‑572/10

Clément Amédée

contre

Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés,

et

Ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal administratif de Saint‑Denis de la Réunion (France)]

«Politique sociale – Applicabilité dans le temps (protocole Barber) – Travailleurs masculins et féminins – Égalité de rémunération – Pensions de retraite – Bonification pour éducation d’enfants octroyée aux fonctionnaires, sans distinction de sexe, sous condition d’interruption de l’activité professionnelle – Absence de cadre légal permettant aux fonctionnaires masculins de bénéficier d’un congé rémunéré équivalent au congé de maternité accordé aux fonctionnaires féminins – Discrimination indirecte»





I – Introduction

1. Les questions préjudicielles soumises à la Cour en l’espèce ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant M. Amédée au ministre de la Justice et des Libertés (ci-après le «ministre de la Justice») ainsi qu’au ministre du Budget, des Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État (ci-après le «ministre du Budget») de la République française, au sujet de la légalité de l’arrêté lui ayant concédé une pension de retraite en tant qu’ancien fonctionnaire.

2. M. Amédée a fait grief aux autorités françaises de lui avoir porté préjudice en le privant, en tant que fonctionnaire masculin, d’une bonification accordée aux parents s’étant investis dans l’éducation de leurs enfants à laquelle les fonctionnaires féminins auraient plus facilement accès, selon lui, grâce au congé de maternité de deux mois dont elles seules bénéficient de façon automatique et en étant rémunérées. Il estime incompatible avec le droit communautaire la condition légale d’octroi de ladite bonification tenant à une interruption d’activité d’au moins deux mois consécutifs, au motif que cette exigence aurait de facto pour résultat d’opérer une discrimination indirecte à l’encontre des travailleurs masculins.

3. La demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion (France), qui a fait l’objet d’un recours par voie d’appel, porte sur l’interprétation tant de l’article 157 TFUE (2) que de l’article 6, paragraphe 3, de l’accord sur la politique sociale (3) et de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (4).

4. Toutefois, je relève d’emblée que, compte tenu du fait que M. Amédée a été admis à la retraite le 22 décembre 2003, les dispositions sur la base desquelles les questions posées dans la présente affaire devraient être examinées en réalité sont celles qui étaient applicables en la matière à cette date, à savoir l’article 141 CE (5) et la directive 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (6), telle que modifiée par la directive 96/97/CE (7).

5. Je précise que la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer, dans l’arrêt Griesmar (8), sur le régime français de retraite des fonctionnaires, et en particulier sur un dispositif de bonification équivalent à celui qui fait l’objet du litige au principal, mais ce, dans une formulation de ce dispositif antérieure à la modification qui a été introduite par le législateur français en 2003, précisément aux fins de remédier à la méconnaissance du droit communautaire qui avait été relevée par ledit arrêt (9). La nouvelle réglementation diffère donc de celle qui avait donné lieu à ce précédent arrêt en ce qu’à l’époque, le simple fait d’être une mère biologique suffisait pour qu’un fonctionnaire féminin bénéficie de cette bonification, tandis qu’il n’était nullement permis à un fonctionnaire masculin ayant assumé l’éducation de ses enfants de prétendre à la bonification litigieuse.

6. En outre, j’observe que ce renvoi préjudiciel apparaît revêtir une importance particulière, car il ressort des observations présentées à la Cour par M. Amédée que la juridiction a quo est saisie de près d’une cinquantaine de recours comparables à la présente affaire et qu’elle a choisi cette dernière pour traiter sous forme de «série» l’ensemble des affaires qui sont pendantes devant elle.

II – Le cadre juridique

7. Les dispositions de droit national qui sont pertinentes en l’espèce sont celles du code français des pensions civiles et militaires de retraite (ci-après le «code des pensions»), telles que modifiées par la loi n° 2003‑775, du 21 août 2003, portant réforme des retraites (10) (ci-après la «loi n° 2003‑775»).

8. L’article 48, I, de cette loi, qui figure dans le titre III, intitulé «Dispositions relatives aux régimes de la fonction publique», a modifié l’article L. 12, sous b), du code des pensions en ces termes:

«Aux services effectifs s’ajoutent, dans les conditions déterminées par un décret en Conseil d’État, les bonifications ci-après: […]

b) Pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés antérieurement au 1er janvier 2004, pour chacun de leurs enfants dont l’adoption est antérieure au 1er janvier 2004 et, sous réserve qu’ils aient été élevés pendant neuf ans au moins avant leur vingt et unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au II de l’article L. 18 dont la prise en charge a débuté antérieurement au 1er janvier 2004, les fonctionnaires et militaires bénéficient d’une bonification fixée à un an, qui s’ajoute aux services effectifs, à condition qu’ils aient interrompu leur activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État».

9. L’article 48, I, de la loi n° 2003‑775 a également ajouté au code des pensions un article L. 12, sous b) bis, qui dispose que «[l]a bonification prévue au b est acquise aux femmes fonctionnaires ou militaires ayant accouché au cours de leurs années d’études, antérieurement à leur recrutement dans la fonction publique, dès lors que ce recrutement est intervenu dans un délai de deux ans après l’obtention du diplôme nécessaire pour se présenter au concours, sans que puisse leur être opposée une condition d’interruption d’activité».

10. L’article 48, II, de la loi n° 2003‑775 prévoit que «[l]es dispositions du b de l’article L. 12 du code des pensions […] issues de la rédaction du 2° du I s’appliquent aux pensions liquidées à compter du 28 mai 2003».

11. L’article 6 du décret n° 2003‑1305, du 26 décembre 2003 (11) (ci-après le «décret n° 2003‑1305»), a introduit dans le code des pensions un nouvel article R. 13, qui définit les conditions dans lesquelles un fonctionnaire peut bénéficier de la bonification prévue au nouvel article L. 12, sous b), du même code, comme suit:

«Le bénéfice des dispositions du b de l’article L. 12 est subordonné à une interruption d’activité d’une durée continue au moins égale à deux mois dans le cadre d’un congé pour maternité, d’un congé pour adoption, d’un congé parental ou d’un congé de présence parentale […], ou d’une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans […]»

III – Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

12. M. Amédée, ancien fonctionnaire, a été admis à la retraite de façon anticipée par un arrêté du 22 décembre 2003, à savoir postérieurement au 28 mai 2003, date butoir prévue par la règle de droit transitoire contenue dans l’article 48, II, de la loi n° 2003‑775. Les dispositions du code des pensions telles que modifiées par ladite loi sont dès lors applicables à sa situation.

13. L’intéressé a demandé à pouvoir bénéficier de la bonification pour enfants prévue à l’article L. 12, sous b), du code des pensions. Cette bonification lui a été refusée au motif qu’il ne remplissait pas les conditions posées par l’article R. 13 dudit code.

14. Dans le cadre d’une première procédure, M. Amédée a introduit une requête aux fins d’annulation de la décision lui ayant refusé un tel bénéfice, devant le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion. Cette requête a été rejetée par jugement du 22 juillet 2005, qui a été confirmé par le Conseil d’État dans un arrêt du 22 août 2007.

15. Le 23 mai 2009, M. Amédée a formé un nouveau recours devant le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion, aux termes duquel il demande que l’État français soit condamné à réparer les préjudices qu’il aurait subis tant en raison de l’inconventionnalité des dispositions de la loi n° 2003‑775 susmentionnées et de celles de son décret d’application susmentionnées qu’en raison du contenu des décisions dudit tribunal et du Conseil d’État, en ce qu’elles seraient entachées d’une violation manifeste de dispositions du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

16. Selon M. Amédée, la condition d’interruption d’activité introduite par la loi n° 2003‑775 serait constitutive d’une discrimination indirecte envers les hommes qui est interdite. Il invoque que les fonctionnaires féminins rempliraient systématiquement ladite condition grâce au caractère automatique, obligatoire et rémunéré du congé de maternité dont elles bénéficient, tandis que les fonctionnaires masculins seraient en grande majorité privés de la bonification en raison de l’absence de dispositif légal leur permettant d’interrompre leur activité dans des conditions équivalentes à celles du congé de maternité.

17. Dans ce contexte, par jugement prononcé le 25 novembre 2010, le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Le dispositif mis en place par les dispositions de l’article L. 12 b) du code des pensions […], telles que modifiées par les...

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