Carmen Media Group Ltd v Land Schleswig-Holstein and Innenminister des Landes Schleswig-Holstein.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:110
Docket NumberC-46/08
Celex Number62008CC0046
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date04 March 2010

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO Mengozzi

présentées le 4 mars 2010 (1)

Affaire C‑46/08

Carmen Media Group Ltd

contre

Land Schleswig-Holstein,

Innenminister des Landes Schleswig-Holstein

[demande de décision préjudicielle introduite par le Schlesw$ig-Holsteinisches Verwaltungsgericht (Allemagne)]

«Libre prestation de services – Jeux de hasard – Reconnaissance mutuelle – Licences ‘off-shore’ – Cohérence de la politique nationale en matière de jeux – Activité d’organisation de paris sportifs soumise à autorisation – Dispositions transitoires»





I – Introduction

1. Dans un secteur non harmonisé comme celui des jeux, dans lequel chacun des États membres maintient une réglementation différente, dont le seul élément commun est l’existence de mesures destinées à contrôler le développement de l’activité, le grand défi auquel est confronté le juge communautaire est celui de trouver un terrain commun permettant un certain respect des libertés consacrées par le traité CE.

2. L’impact des nouvelles technologies rend ce problème juridique beaucoup plus complexe. Grâce aux nouveaux moyens de communication, les amateurs de jeux ne doivent plus se rendre dans un casino ou dans une maison de jeu puisqu’ils ont la possibilité de jouer depuis leur propre domicile, au moyen d’Internet, ou même de leur téléphone mobile. Qui plus est, ce type de jeux en ligne ne connaît pas de frontières. Les joueurs ne sont plus limités à l’offre de jeux de hasard disponible dans leur propre État membre puisqu’ils ont accès à des opérateurs étrangers, dont certains sont établis dans l’Union européenne et d’autres à l’extérieur de celle-ci. Le problème du jeu transfrontalier est au cœur de l’actualité et les opérateurs qui proposent leurs services au moyen d’Internet éprouvent des doutes sur la question de savoir si l’État membre de destination a le droit d’interdire ou non leurs activités.

3. Toutefois, les problèmes ne se limitent pas au domaine du jeu en ligne. L’existence d’un monopole d’État pour certains jeux de hasard ou les restrictions à l’obtention de licences sont également susceptibles de porter atteinte à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services. Par conséquent, pour la Cour, la question qui se pose à nouveau est celle de l’éventuelle justification de pareils régimes restrictifs.

4. Le Schleswig-Holsteinisches Verwaltungsgericht (tribunal administratif du Land de Schleswig-Holstein) (Allemagne) soumet à la Cour certaines de ces questions dans le droit fil de la nouvelle réglementation adoptée par les Länder pour les loteries et les paris sportifs à la suite de l’arrêt du Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) du 28 mars 2006 (2).

5. Le cas d’espèce présente un lien évident avec les affaires jointes Stoß e.a. (3), quoique celles-ci s’inscrivent dans le cadre de la législation nationale antérieure à l’arrêt visé ci-dessus. La proximité des questions soulevées dans ces affaires et le souci d’économie procédurale qui doit toujours nous guider m’incitent, dès lors, pour bon nombre des éléments de la présente affaire, à renvoyer à l’exposé davantage détaillé fait dans mes conclusions rédigées dans les affaires jointes Stoß e.a.

II – Le cadre juridique

A – La réglementation de l’Union

6. Le secteur des jeux de hasard n’a pas fait l’objet, jusqu’à présent, d’une harmonisation en droit de l’Union. La directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (4), les exclut expressément de son champ d’application. Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, sous h), de cette directive:

«La présente directive ne s’applique pas aux activités suivantes:

[...]

h) les activités de jeux d’argent impliquant des mises ayant une valeur monétaire dans les jeux de hasard, y compris les loteries, les casinos et les transactions portant sur des paris».

7. Cette absence de droit dérivé implique l’obligation de recourir au droit primaire et, notamment, pour ce qui concerne le cas d’espèce, à l’article 49 CE qui énonce, à son premier alinéa, que «les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de la Communauté sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation».

B – La réglementation allemande

8. En Allemagne, les compétences en matière de jeux sont réparties entre l’État fédéral et les Länder. Il existe, dans la plupart des Lander, un monopole régional pour l’organisation de paris sportifs et de loteries, tandis que l’exploitation de machines à sous et de casinos est confiée à des opérateurs privés dûment autorisés.

1. Le droit fédéral

9. L’article 284 du code pénal allemand (Strafgesetzbuch, ci-après le «StGB») énonce:

«(1) Quiconque organise ou tient publiquement un jeu de hasard sans autorisation administrative ou fournit les installations nécessaires à cet effet est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement au maximum ou d’une amende.

[...]

(3) Quiconque agit dans les cas visés au paragraphe 1

1. de façon professionnelle [...]

[...] est passible d’une peine de trois mois à cinq ans d’emprisonnement.

[...]»

10. La compétence de déterminer les conditions auxquelles peuvent être délivrées les autorisations visées à l’article 284 du StGB appartient aux Länder, exception faite des paris relatifs aux concours hippiques officiels et des machines à sous. L’organisation des premiers peut être autorisée au titre de la loi relative aux paris sur les courses et aux loteries (Rennwett- und Lotteriegesetz, ci-après le «RWLG»), et l’installation et l’exploitation des secondes en vertu du code relatif à l’exercice des professions artisanales, commerciales et industrielles (Gewerbeordnung, ci-après la «GewO»).

11. S’agissant de l’autorisation des paris sur les courses de chevaux, l’article 1er du RWLG dispose:

«1. L’association qui veut exploiter une entreprise de paris mutuels à l’occasion de courses publiques de chevaux ou d’autres concours publics de performances hippiques doit en avoir obtenu l’autorisation des autorités compétentes selon le droit du Land.

[…]

3. L’autorisation ne peut être délivrée qu’aux associations qui garantissent destiner exclusivement leurs revenus au développement de l’élevage chevalin dans le Land.»

12. L’article 2, paragraphe 1, du RWLG prescrit:

«Celui qui, à titre commercial, veut conclure des paris sur des concours publics de performances hippiques ou servir d’intermédiaire pour de tels paris (bookmakers) doit en avoir obtenu l’autorisation des autorités compétentes selon le droit du Land.»

2. L’arrêt du Bundesverfassungsgericht du 28 mars 2006

13. Le 28 mars 2006, le Bundesverfassungsgericht a rendu un arrêt (5), par lequel il a déclaré incompatible avec le droit fondamental à la liberté d’entreprise consacré à l’article 12 de la Loi fondamentale le monopole sur les paris sportifs existant dans le Land de Bavière, dans la mesure où la structure juridique, les modalités de commercialisation et la présentation de ce monopole n’auraient pas pour but de contribuer de manière conséquente et active à l’objectif de réduction de la passion pour le jeu et de lutte contre la dépendance.

14. Ledit arrêt, qui concernait le Land de Bavière, peut néanmoins être également étendu aux monopoles sur les paris sportifs qui, dotés des mêmes caractéristiques, existaient dans d’autres Länder. La juridiction constitutionnelle a accordé, aux législateurs compétents, une période transitoire, expirant le 31 décembre 2007, pour procéder à une restructuration du monopole en cause, afin d’introduire un minimum de cohérence avec l’objectif consistant à combattre l’addiction (6).

3. Le droit des Länder

a) Le GlüStV

15. Le traité d’État sur les jeux de hasard en Allemagne (Staatsvertrag zum Glücksspielwesen in Deutschland, ci-après le «GlüStV»), applicable à compter du 1er janvier 2008, constitue le nouveau cadre uniforme créé par les Länder pour réguler le secteur à la suite de l’arrêt du Bundesverfassungsgericht, précité (7).

16. L’article 1er du GlüStV énonce les objectifs de cet accord conclu par les Länder:

«1. prévenir la dépendance aux jeux de hasard et aux paris et créer les conditions pour lutter efficacement contre la dépendance,

2. limiter l’offre de jeux de hasard et canaliser de manière organisée et contrôlée l’instinct de jeu de la population, en prévenant notamment une dérive vers des jeux de hasard non autorisés,

3. garantir la protection des mineurs et des joueurs,

4. assurer le bon déroulement des jeux de hasard, la protection des joueurs contre les manœuvres frauduleuses et prévenir la criminalité liée aux et découlant des jeux de hasard.»

17. Conformément à l’article 10 du GlüStV, afin d’atteindre ces objectifs, «les Länder ont l’obligation réglementaire de garantir une offre de jeux de hasard suffisante» (paragraphe 1) et ils peuvent assumer cette tâche «soit eux-mêmes, soit par l’intermédiaire de personnes morales de droit public ou de sociétés de droit privé dans lesquelles des personnes morales de droit public ont une participation directe ou indirecte déterminante» (paragraphe 2).

18. L’article 4 du GlüStV prescrit que l’organisation ou la médiation des jeux de hasard publics ne peut se faire qu’avec l’autorisation de l’autorité compétente du Land respectif (paragraphe 1). L’autorisation est refusée si l’organisation ou la médiation est contraire aux objectifs du paragraphe 1 et, en tout état de cause, il n’y a pas de droit à l’obtention de l’autorisation (paragraphe 2).

19. Ce même article interdit toute organisation ou médiation de jeux de hasard publics sur Internet (paragraphe 4). Cependant, l’article 25 du GlüStV, qui renferme une série de dispositions transitoires, prévoit que les Länder peuvent autoriser, pendant une période maximale d’un an à compter de l’entrée en vigueur du GlüStV, l’organisation ou la...

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