Alfa Vita Vassilopoulos AE (C-158/04) and Carrefour Marinopoulos AE (C-159/04) v Elliniko Dimosio and Nomarchiaki Aftodioikisi Ioanninon.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:212
Docket NumberC-159/04,C-158/04
Celex Number62004CC0158
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date30 March 2006

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 30 mars 2006 (1)

Affaires jointes C-158/04 et C-159/04

Alfa Vita Vassilopoulos AE, anciennement Trofo Super‑Markets AE

contre

Elliniko Dimosio,

Nomarchiaki Aftodioikisi Ioanninon

et

Carrefour Marinopoulos AE

contre

Elliniko Dimosio,

Nomarchiaki Aftodioikisi Ioanninon

[demandes de décision préjudicielle formées par le Dioikitiko Protodikeio Ioanninon (Grèce)]

«Libre circulation des marchandises – Mesures d’effet équivalent –Commercialisation de produits congelés de boulangerie»





1. Une réglementation nationale qui soumet la commercialisation de pain congelé de type «bake‑off» à l’obtention de l’autorisation préalable prévue par la législation relative à l’exploitation de boulangeries est‑elle compatible avec l’article 28 CE? Ainsi se pose, en substance, la question que le Dioikitiko Protodikeio Ioanninon (tribunal administratif de première instance de Ioannina) (Grèce) adresse à la Cour dans les présentes affaires jointes.

2. Ces demandes de décision préjudicielle appellent à nouveau l’attention de la Cour sur l’évolution de la jurisprudence décidée dans l’arrêt Keck et Mithouard (2), en matière de libre circulation des marchandises. Cette évolution repose, en théorie, sur des fondements solides (3). Toutefois, il est apparu qu’elle engendre, en pratique, d’importantes difficultés d’application. Les présentes affaires en sont l’illustration.

I – Le contexte juridique et factuel

3. En Grèce, l’origine de la réglementation actuelle sur les conditions d’établissement et d’exploitation d’ateliers de production de pain et, plus généralement, de boulangeries se trouve dans le décret présidentiel n° 25.8, du 13 septembre 1934 (FEK A’ 309). Celui‑ci fixe la procédure préalable à l’octroi de l’autorisation d’établissement et d’exploitation des boulangeries et définit les conditions de construction et d’équipement qui doivent être satisfaites afin d’obtenir cette autorisation. Ces conditions sont plus précisément réglées par la loi nº 726/1977 (FEK A’ 316), modifiant et complétant la législation en vigueur relative aux boulangeries et aux points de vente de pain. En son article 16, elle dispose que, «désormais, l’établissement d’une boulangerie ou d’un point de vente de pain suppose une autorisation préalable, délivrée par le préfet compétent après vérification de la satisfaction à toutes les exigences imposées par la présente loi». Par «boulangerie», il convient d’entendre, aux termes de l’article 65 de la loi nº 2065/1992 (FEK A’ 113), toute «construction fixe spécialement agencée et équipée, quelle que soit sa capacité, pour la production de pain, de produits de boulangerie en général et d’aliments à base de farine (à l’exception des pâtes), ainsi que la cuisson de plats et d’autres préparations du public». Adopté sur le fondement de cette dernière disposition, le décret présidentiel nº 369/1992 (FEK A’ 186) fixe la procédure et les justificatifs nécessaires pour l’octroi d’autorisations d’établissement et d’exploitation de boulangeries et de points de vente de pain et détaille les conditions auxquelles est soumis le conditionnement des produits de boulangerie.

4. Une note du ministère du Développement grec, adoptée en 2001 et communiquée aux services compétents, précise que le fonctionnement, au sein d’établissements de vente de pain, de fours destinés à cuire du pain ou de la pâte congelés fait partie du processus de fabrication du pain. Il en résulte que, pour utiliser de tels fours, les intéressés doivent disposer d’une autorisation d’exploitation d’une boulangerie. Prenant acte de cette note, la Nomarchiaki Aftodioikisi Ioanninon (administration préfectorale de Ioannina, ci‑après l’«administration préfectorale») a décidé d’effectuer des contrôles au sein des supermarchés d’alimentation Trofo Super‑Markets AE et Carrefour Marinopoulos AE. Ayant constaté l’existence de points de vente de pain et d’installations de cuisson de pain congelé, en l’absence d’autorisation d’exploitation prescrite par la législation sur la boulangerie, cette administration a, par deux décisions prises le 27 novembre 2001, ordonné la cessation de l’exploitation des fours à pain installés dans ces deux supermarchés.

5. La juridiction de renvoi a été saisie de recours en annulation introduits par les deux entreprises visées à l’encontre de ces décisions. Ces entreprises soutiennent notamment que la législation nationale telle que mise en œuvre par l’administration grecque équivaut à une restriction quantitative à l’importation contraire à l’interdiction énoncée à l’article 28 CE. En outre, elles attirent l’attention du juge de renvoi sur le fait qu’une plainte a été déposée par l’Union panhellénique des industries du pain, auprès de la Commission des Communautés européennes, aux fins de faire constater que, en réservant la vente de pain de type «bake‑off» aux boulangeries, la législation grecque crée des barrières injustifiées à l’importation et à la commercialisation de ce produit en Grèce. Il est à noter que la Commission a réagi à cette plainte en engageant une procédure de manquement fondée sur l’article 226 CE, au terme de laquelle elle a, le 7 juillet 2004, adressé un avis motivé à la République hellénique, l’invitant à ne plus imposer au procédé «bake‑off» les conditions visées par la législation nationale sur la boulangerie. Cette procédure a donné lieu à saisine de la Cour (4).

6. C’est en pareil contexte que le Dioikitiko Protodikeio Ioanninon a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’autorisation préalable – mentionnée dans les motifs ci‑dessus de [la décision] de renvoi – requise pour commercialiser des produits ‘bake‑off’ constitue‑t‑elle une mesure équivalant à une restriction quantitative au sens de l’article 28 CE?

2) Dans l’affirmative, l’exigence d’autorisation préalable à laquelle est subordonné l’exercice d’une activité de boulangerie poursuit‑elle un but purement qualitatif, en ce sens qu’elle établit une simple différenciation qualitative relative aux caractéristiques du pain commercialisé (son odeur, son goût, sa couleur et l’aspect de sa croûte) et à sa valeur nutritionnelle [arrêt du 5 novembre 2002, Commission/Allemagne, C‑325/00, Rec. p. I‑9977], ou bien a‑t‑elle pour but de protéger le consommateur et la santé publique contre toute altération qualitative éventuelle (arrêt 3852/2002 du Conseil d’État hellénique)?

3) Compte tenu du fait que la restriction opérée s’applique sans distinction à tous les produits ‘bake‑off’, tant domestiques que communautaires, cette question a‑t‑elle un lien avec le droit communautaire et cette restriction est‑elle de nature à affecter directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce de ces produits entre les États membres?»

II – Analyse

A – L’existence d’une restriction à l’importation

7. Par ses première et troisième questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour si l’exigence d’obtenir une autorisation préalable prévue pour l’exploitation d’une boulangerie à laquelle un État membre soumet la commercialisation du pain congelé de type «bake‑off» constitue une restriction quantitative ou une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE.

8. Il est certainement possible de trouver dans la jurisprudence de la Cour les ressources suffisantes pour répondre à cette demande. Cependant, il est difficile de nier que, en pratique, l’application de cette jurisprudence est source d’incertitudes. Les présentes affaires fournissent une bonne occasion de clarifier le cadre jurisprudentiel existant.

1. L’approche classique

9. En l’absence de règles communes ou harmonisées relatives à la fabrication et à la commercialisation du pain et autres produits de boulangerie, il est constant qu’«il appartient aux États membres d’adopter, chacun pour son territoire, toutes les règles concernant les caractéristiques de composition, la fabrication et la commercialisation de ces denrées, pour autant qu’elles ne sont pas de nature à créer des discriminations au détriment de produits importés ni à entraver l’importation de produits provenant d’autres États membres» (5). Par là, la liberté des États membres en la matière est reconnue. Dès lors, il leur est loisible de prévoir que la commercialisation du pain et autres produits de boulangerie soit soumise à une autorisation préalable, afin de vérifier le respect de normes de fabrication et de protection des consommateurs. Cependant, cette compétence ne saurait être exercée sans limites. Celles‑ci résultent notamment de l’obligation de respecter les libertés fondamentales consacrées par le traité CE, au nombre desquelles figure la liberté de circulation des marchandises. Pareille liberté garantit notamment, aux termes de l’article 28 CE, que «les restrictions quantitatives à l’importation, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, sont interdites entre les États membres».

10. Or, il est classiquement établi que constitue une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative toute mesure étatique susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (6).

11. En outre, il résulte de la jurisprudence «Cassis de Dijon» que, en l’absence d’harmonisation, des mesures indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés d’autres États membres sont susceptibles de constituer des restrictions à la libre circulation des marchandises (7). Il ressort clairement du dossier que l’exigence d’autorisation préalable mise en cause dans les espèces au principal présente le caractère d’une mesure indistinctement applicable.

12. Cependant, il y a encore lieu de se demander si une telle mesure relève de la catégorie des mesures nationales relatives aux caractéristiques des produits ou si elle relève de la...

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