Association de médiation sociale v Union locale des syndicats CGT and Others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2013:491
Docket NumberC-176/12
Celex Number62012CC0176
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date18 July 2013
62012CC0176

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO CRUZ VILLALÓN

présentées le 18 juillet 2013 ( 1 )

Affaire C‑176/12

Association de médiation sociale

contre

Union locale des syndicats CGT,

Hichem Laboubi,

Union départementale CGT des Bouches-du-Rhône,

Confédération générale du travail (CGT)

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

«Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Article 27 — Droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise — Directive 2002/14/CE — Disposition nationale excluant certaines catégories de travailleurs du droit de représentation dans l’entreprise — Effet des droits fondamentaux dans les relations entre particuliers — Droit fondamental de la Charte en tant que ‘principe’ — Article 51, paragraphe 1, de la Charte — Article 52, paragraphe 5, de la Charte — Possibilité d’invoquer un ‘principe’ dans un litige entre particuliers — Actes de l’Union qui concrétisent de manière essentielle et immédiate un ‘principe’ — Concrétisation par une directive — Effet utile — Devoir du juge national de ne pas appliquer les dispositions nationales contraires aux actes qui concrétisent de manière essentielle et immédiate le contenu d’un ‘principe’ — Interprétation conforme du droit national — Limites»

1.

Si elle est présentée le plus simplement possible, la question de principe que pose la Cour de cassation (France) est celle de savoir si la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte») peut être invoquée dans les relations entre particuliers lorsque son contenu a été concrétisé par une directive. En cas de réponse positive, la juridiction de renvoi pose une question beaucoup plus spécifique, au sujet de laquelle la Cour dispose d’une jurisprudence qui facilitera considérablement sa tâche. Cependant, revenons, d’abord, à la question de principe.

2.

À l’origine de l’affaire au principal se trouvent les doutes de la Cour de cassation quant à la compatibilité d’une disposition législative nationale avec le droit à l’information et à la consultation des travailleurs, tel qu’il est concrétisé par la directive 2002/14/CE ( 2 ). Cette directive a en effet mis en application de manière détaillée le droit aujourd’hui consacré à l’article 27 de la Charte, au sujet duquel il conviendra de déterminer s’il présente le caractère de «droit» ou plutôt celui de «principe», au sens des dispositions générales de la Charte (articles 51, paragraphe 1, et 52, paragraphe 5). Il convient en outre de noter que les doutes que nourrit la Cour de cassation s’inscrivent dans le contexte d’un litige entre un syndicat et un employeur, ce qui la conduit à interroger la Cour sur l’effet du droit en question et de sa concrétisation par la directive 2002/14 dans le domaine des relations entre particuliers.

3.

Il ressort de manière manifeste de cet exposé succinct des termes de la présente affaire que la Cour est appelée à se prononcer sur plusieurs questions dont l’importance constitutionnelle est indéniable.

4.

Dans un ordre logique, la première d’entre elles est la question extrêmement générale, que la Charte n’aborde pas expressément, de l’effet des droits fondamentaux dans le domaine des relations entre particuliers (effet «horizontal») et de leur éventuelle portée dans le cas du droit spécifiquement en cause.

5.

Il pourrait également s’agir de la première occasion d’aborder de manière générale et particulière la question, à peine évoquée dans la Charte et dans ses explications, de la distinction entre les «droits» et les «principes», avec la différence de traitement qui en résulte, qui est annoncée à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte et formulée à son article 52, paragraphe 5.

6.

Il s’agirait également de l’occasion d’examiner pour la première fois le très complexe paragraphe 5 de l’article 52 de la Charte. Ainsi, c’est tout particulièrement la question de l’«application» des «principes», en tant que prémisse à leur caractère opérationnel, qui se pose. Toutefois, la question de la portée de la garantie juridictionnelle de ces «principes», telle qu’elle est définie par la deuxième phrase de ce paragraphe, se pose également.

7.

Finalement, si la Cour suit le raisonnement que je proposerai ci-dessous, elle devra aborder ce qui constitue peut-être le point le plus sensible de la question posée par la Cour de cassation: au cas où l’acte de l’Union qui met en œuvre et concrétise de manière immédiate le «principe» est une directive, quelles sont les conséquences qui découlent du fait que le litige oppose deux particuliers? Cette dernière question met de nouveau en relief les limites de l’effet direct horizontal des directives et, en fin de compte, place inévitablement la présente affaire dans le sillage des affaires Mangold et Kücükdeveci, entre autres.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

8.

Comme l’indique son titre, l’article 27 de la Charte proclame le droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise. Il dispose ce qui suit:

«Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales.»

9.

À ses articles 51, paragraphe 1, et 52, paragraphe 5, la Charte développe la distinction entre les «droits» et les «principes» dans les termes suivants:

«Article 51

Champ d’application

1. Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.

[…]

Article 52

Portée et interprétation des droits et des principes

[…]

5. Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l’Union, et par des actes des États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, dans l’exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes.»

10.

La directive 2002/14 prévoit, à son article 2, une série de définitions parmi lesquelles figure celle de la notion de «travailleur». Ledit article 2, sous d), dispose:

«[…] on entend par:

[…]

d)

‘travailleur’, toute personne qui, dans l’État membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi et conformément aux pratiques nationales».

11.

Le champ d’application de la directive 2002/14 est défini comme suit, à son article 3:

«Champ d’application

1. La présente directive s’applique, selon le choix fait par les États membres:

a)

aux entreprises employant dans un État membre au moins 50 travailleurs, ou

b)

aux établissements employant dans un État membre au moins 20 travailleurs.

Les États membres déterminent le mode de calcul des seuils de travailleurs employés.

2. Dans le respect des principes et objectifs visés dans la présente directive, les États membres peuvent prévoir des dispositions spécifiques applicables aux entreprises ou aux établissements qui poursuivent directement et essentiellement des fins politiques, d’organisation professionnelle, confessionnelles, charitables, éducatives, scientifiques ou artistiques, ainsi que des fins d’information ou d’expression d’opinions, à condition que, à la date d’entrée en vigueur de la présente directive, des dispositions de ce type existent déjà en droit national.

3. Les États membres peuvent déroger à la présente directive en prévoyant des dispositions particulières applicables aux équipages des navires de haute mer.»

12.

La directive 2002/14 est entrée en vigueur le 23 mars 2002. Son délai de transposition a expiré le 23 mars 2005.

B – Le droit français

13.

L’article L. 1111‑3 du code du travail prévoit l’exception suivante au régime général de calcul des effectifs de l’entreprise:

«Ne sont pas pris en compte dans le calcul des effectifs de l’entreprise:

1o

Les apprentis;

2o

Les titulaires d’un contrat initiative-emploi, pendant la durée de la convention prévue à l’article L. 5134‑66;

3o

(Abrogé);

4o

Les titulaires d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi pendant la durée de la convention mentionnée à l’article L. 5134‑19‑1;

5o

(Abrogé);

6o

Les titulaires d’un contrat de professionnalisation jusqu’au terme prévu par le contrat lorsque celui-ci est à durée déterminée ou jusqu’à la fin de l’action de professionnalisation lorsque le contrat est à durée indéterminée.

Toutefois, ces salariés sont pris en compte pour l’application des dispositions légales relatives à la tarification des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles.»

II – Les faits et la procédure nationale

14.

L’Association de médiation sociale (ci-après l’«AMS») est une association privée sans but lucratif régie par la loi française sur les associations de 1901, dont l’objectif fondamental est la prévention de la délinquance dans l’agglomération urbaine de Marseille. À cette...

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