Sánchez Ruiz y otros

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:874
Celex Number62018CC0103
CourtCourt of Justice (European Union)
Date17 October 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 17 octobre 2019 (1)

Affaires jointes C103/18 et C429/18

Domingo Sánchez Ruiz

contre

Comunidad de Madrid (Servicio Madrileño de Salud) (C103/18)

et

Berta Fernández Álvarez,

BMM,

TGV,

Natalia Fernández Olmos,

Maria Claudia Téllez Barragán

contre

Consejería de Sanidad de la Comunidad de Madrid (C429/18)

[demandes de décision préjudicielle formées par Juzgado Contencioso-Administrativo nº 8 de Madrid et le Juzgado Contencioso-Administrativo nº 14 de Madrid (tribunaux administratifs nos 8 et 14 de Madrid, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 1999/70/CE – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 5 – Contrats de travail à durée déterminée successifs dans le secteur de la santé publique – Utilisation abusive – Notion de besoins permanents et durables – Mesures visant à sanctionner le recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée – Transformation en une relation de travail statutaire à durée indéterminée – Pouvoirs du juge national »






I. Introduction

1. Les deux affaires jointes tirent leur origine de demandes de décision préjudicielle émanant respectivement du Juzgado Contencioso-Administrativo nº 8 de Madrid et du Juzgado Contencioso-Administrativo nº 14 de Madrid (tribunaux administratifs nos 8 et 14 de Madrid, Espagne), lesquelles font elles‑mêmes suite à la demande introduite par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo nº 4 de Madrid (tribunal administratif nº 4 de Madrid, Espagne) dans l’affaire C‑16/15 (2).

2. Le recours fréquent, de manière manifestement prolongée, au travail à durée déterminée pour couvrir les besoins en personnel de la Comunidad de Madrid (communauté autonome de Madrid) dans le secteur de la santé publique est critiqué en termes parfois vifs par les juridictions de renvoi dans les deux demandes de décision préjudicielle. Elles ont dès lors saisi la Cour de 16 questions au total, afin de clarifier leurs compétences en matière de sanction d’éventuels abus résultant de l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs, en vertu de la clause 5 de l’accord-cadre du 18 mars 1999 sur le travail à durée déterminée (ci‑après l’« accord-cadre ») (3).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. La règlementation de l’Union applicable en l’espèce est la directive 1999/70. Comme l’indique son article 1er, cette directive met en œuvre l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, figurant en annexe de celle‑ci, qui a été conclu le 18 mars 1999 entre trois organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP).

4. La clause 1 de l’accord-cadre énonce :

« Le présent accord-cadre a pour objet :

a) d’améliorer la qualité du travail à durée déterminée en assurant le respect du principe de non‑discrimination ;

b) d’établir un cadre pour prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs. »

5. La clause 5 de l’accord-cadre, intitulée « Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive », énonce :

« 1. Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas de mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins des secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a) sont considérés comme “successifs” ;

b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »

B. Le droit espagnol

6. L’article 9 de la Ley 55/2003 del Estatuto Marco del personal estatutario de los servicios de salud (loi 55/2003 relative au statut-cadre du personnel statutaire des services de santé), du 16 décembre 2003 (4), (ci‑après le « statut-cadre ») autorise les services de santé publique à nommer du personnel statutaire temporaire pour des raisons de nécessité, d’urgence ou pour le développement de programmes de nature temporaire.

7. Ces nominations peuvent intervenir afin de couvrir un poste vacant, engager du personnel auxiliaire ou engager du personnel remplaçant. Les différentes conditions de la nomination de ces trois types de personnel statutaire temporaire sont régies par l’article 9, paragraphes 2 à 4, du statut-cadre, dont les termes sont les suivants :

« 2. La nomination en tant que personnel engagé afin de couvrir un poste vacant est utilisée afin de pourvoir temporairement un poste vacant dans les établissements ou services de santé, lorsqu’il est nécessaire de faire en sorte que les fonctions correspondantes soient remplies.

Il est mis fin aux fonctions du personnel engagé afin de couvrir un poste vacant lorsque le personnel permanent est recruté, suivant la procédure établie par la loi ou le règlement, au poste que la personne engagée afin de couvrir un poste vacant occupe ainsi que lorsque ce poste est supprimé.

3. La nomination en tant que personnel auxiliaire est utilisée dans les cas suivants :

a) pour la prestation de services déterminés de nature temporaire, conjoncturelle ou extraordinaire ;

b) lorsqu’elle est nécessaire pour garantir le fonctionnement permanent et continu des établissements de santé ;

c) pour la prestation de services complémentaires pour compenser la réduction du temps de travail ordinaire.

Il est mis fin aux fonctions du personnel statutaire auxiliaire si la cause de fin de nomination intervient ou à l’échéance du délai expressément prévu dans la nomination ainsi qu’en cas de suppression des fonctions qui ont motivé ladite nomination à l’époque.

Si plus de deux nominations surviennent pour la prestation des mêmes services pour une durée cumulée de 12 mois ou plus sur une période de deux ans, il y a lieu d’en examiner les causes afin de déterminer s’il convient, le cas échéant, de créer un poste structurel dans la liste des postes de l’établissement.

4. La nomination en tant que personnel remplaçant est utilisée lorsqu’il est nécessaire de faire en sorte que les fonctions de personnel permanent ou temporaire soient remplies pendant les périodes de vacances, de congé et autres absences de caractère temporaire qui impliquent la conservation du poste.

Il est mis fin aux fonctions du personnel statutaire remplaçant lorsque la personne remplacée est réintégrée ainsi que lorsque cette dernière perd son droit à la réintégration au même poste ou à la même fonction. »

8. L’article 10 de la Ley del Estatuto Básico del Empleado Público (loi sur le statut de base des agents publics), dont la refonte a été approuvée par le Real Decreto Legislativo 5/2015, de 30 de octubre (décret royal législatif 5/2015 du 30 octobre 2015) (5) (ci‑après le « statut de base ») prévoit ce qui suit en ce qui concerne le pourvoi de postes vacants par des agents dits non titulaires :

« (1) Sont agents non titulaires les personnes qui, pour des motifs de nécessité et d’urgence expressément justifiés, sont nommées en cette qualité pour exercer des fonctions propres aux fonctionnaires, en cas de survenance de l’un des cas de figure suivants :

a) [l]’existence de postes vacants non susceptibles d’être occupés par des fonctionnaires, […] »

Aux termes de l’article 10, paragraphe 4, du statut de base, les postes vacants pourvus conformément à la disposition précitée sont en principe inclus dans l’offre d’emploi correspondant à l’exercice au cours duquel leur nomination intervient ou à l’exercice suivant. Des procédures de sélection doivent être organisées pour mettre en œuvre l’offre d’emploi public ou des instruments similaires relatifs à la couverture des besoins en personnel. À cet égard, l’article 70, paragraphe 1, du statut de base prévoit un délai non prorogeable de trois ans pour la publication de l’avis relatif à la procédure de sélection éventuellement nécessaire.

9. La quatrième disposition transitoire relative au statut de base prévoit des concours généraux en vue de nommer des fonctionnaires à des postes occupés par des agents non titulaires ou d’autres agents statutaires temporaires. Dans ce cadre, l’ancienneté et l’expérience au poste de travail en cause peuvent être prises en compte, entre autres mérites.

III. Les faits des litiges au principal et les questions préjudicielles

A. Affaire C103/18

10. M. Sánchez Ruiz a été embauché le 2 novembre 1999 en tant qu’agent non titulaire (personnel statutaire temporaire engagé afin de couvrir un poste vacant) par le Servicio Madrileño de la Salud de la Comunidad de Madrid (service de santé de la communauté de Madrid), où il a travaillé en qualité d’informaticien relevant de la catégorie « groupe technique fonction administrative ».

11. Du fait de la disparition de cette catégorie de personnel en vertu d’une réforme législative, il a été mis fin à cette relation de travail le 28 décembre 2011 ; elle s’est poursuivie par une nomination au même poste, le même jour, en qualité d’agent non titulaire. Dans le cadre de cette nouvelle nomination, M. Sánchez Ruiz a été rattaché à la nouvelle catégorie « personnel statutaire dans le domaine des technologies de l’information et des communications ».

12. Selon la juridiction de renvoi, M. Sánchez Ruiz n’a ni participé au concours publié le 27 mai 2015 (concours sur titres et...

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