Klaus Bourquain.

JurisdictionEuropean Union
Date08 April 2008
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Dámaso Ruiz-Jarabo Colomer

présentées le 8 avril 2008 (1)

Affaire C‑297/07

Staatsanwaltschaft Regensburg

contre

Klaus Bourquain

[demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Regensburg (Allemagne)]

«Demande préjudicielle au titre de l’article 35 UE – Acquis de Schengen – Convention d’application de l’accord de Schengen – Interprétation de l’article 54 – Principe ne bis in idem – Condamnation par contumace – Force de chose jugée – Condition de non-exécution de la peine»





I – Introduction

1. Au cours des cinq dernières années, la Cour a précisé les contours un peu flous du principe ne bis in idem dans une jurisprudence (2) à laquelle j’ai eu l’honneur de contribuer (3) et dont la vocation à avoir une portée générale n’est en rien obscurcie par les spécificités de chaque cas d’espèce.

2. Tout comme pour la contemplation d’un tableau, une appréciation d’ensemble exige de prendre ses distances par rapport à l’objet pour ne pas courir le risque que la rétine ne capte que les traits, la texture et la masse de couleurs, sans réussir à appréhender la signification globale de l’œuvre.

3. Cela peut quelquefois être particulièrement difficile, comme dans la présente affaire, qui a été ouverte en partie à la suite du comportement paradoxal d’une personne qui prétend assurer son bien-être personnel en invoquant sa propre condamnation à mort, (4) prononcée 47 ans auparavant, pour faire jouer le principe ne bis in idem. C’est là la grandeur et la servitude du droit.

II – Cadre juridique

A – L’acquis de Schengen

4. Ce corpus juridique comprend:

a) l’accord signé le 14 juin 1985 dans la localité luxembourgeoise qui lui donne son nom, par les États formant l’Union économique Benelux, la République fédérale d’Allemagne et la République française, relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (5);

b) la convention d’application de cet accord, conclue le 19 juin 1990 (6), (ci-après la Convention) qui établit des mesures de coopération pour compenser la disparition de ces contrôles;

c) les protocoles et les instruments d’adhésion d’autres États membres, les déclarations et les actes adoptés par le comité exécutif institué par la Convention, ainsi que ceux pris par les instances auxquelles ce comité exécutif attribue des pouvoirs de décision (7).

5. Le protocole (nº 2) annexé au traité sur l’Union européenne et au traité instituant la Communauté européenne (ci-après, le «protocole») intègre ce corpus de normes dans le cadre de l’Union; en vertu de son article 2, paragraphe 1, premier alinéa, il s’applique aux treize États énumérés à l’article 1er (8) depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam (le 1er mai 1999).

6. La décision 2007/801/CE du Conseil, du 6 décembre 2007 (9), a notablement élargi le champ d’application territoriale de l’acquis de Schengen, en déclarant que les dispositions de ce dernier s’appliquent désormais pleinement à la République tchèque, à la République d’Estonie, à la République de Lettonie, à la République de Lituanie, à la République de Hongrie, à la République de Malte, à la République de Pologne, à la République de Slovénie et à la République slovaque.

7. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne (10) et d’Irlande du Nord ainsi que l’Irlande (11) ne se sont pas associés pleinement à ce projet commun et ont opté pour une participation ponctuelle.

8. Depuis leur adhésion à l’Union européenne, la République de Chypre, (12)la République de Bulgarie et la Roumanie (13)sont certes liées par le corpus de normes précité, mais il faudra l’intervention du Conseil pour vérifier si les conditions nécessaires à l’application de celles-ci sont remplies.

9. Concernant les pays non membres de l’Union européenne, l’article 6 du protocole impose à la République d’Islande et au Royaume de Norvège de mettre en œuvre et de développer l’acquis de Schengen, qui s’applique dans ces États depuis le 25 mars 2001 (14). En outre, un accord d’association avec la Confédération suisse prévoit la mise en œuvre, l’application et le développement de cet acquis (15) et il est probable que la Principauté de Liechtenstein adhère à cet accord en vertu d’un projet de décision élaboré par le Conseil (16).

10. D’après le préambule du protocole, l’objectif est de renforcer l’intégration européenne pour permettre à l’Union de devenir plus rapidement un espace de liberté, de sécurité et de justice.

11. Se fondant sur l’article 2, paragraphe 1, deuxième alinéa, du protocole, le Conseil a adopté, le 20 mai 1999, les décisions 1999/435/CE et 1999/436/CE, relatives à la définition de l’accord de Schengen en vue de déterminer, conformément aux dispositions pertinentes du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, la base juridique des normes qui constituent l’acquis (17).

B – En particulier, le principe ne bis in idem

12. Le titre III de la convention, intitulé «Police et sécurité», débute par un chapitre consacré à la «coopération policière» (articles 39 à 47), suivi d’un autre qui traite de l’«entraide judiciaire en matière pénale» (articles 48 à 53).

13. Le chapitre 3, intitulé «Application du principe ne bis in idem», se compose des articles 54 à 58, qui sont fondés sur les articles 34 UE et 31 UE, selon l’article 2 et l’annexe A de la décision 1999/436.

14. L’article 54 se lit comme suit:

«Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation.»

C – Le droit français

15. Je partage les réflexions de certains des intervenants dans le débat préjudiciel (18) sur la paucité des informations contenues dans l’ordonnance de renvoi au sujet de la teneur exacte des dispositions françaises applicables (19).

16. Toutefois, l’article 120 du code français de justice militaire (20) permettait au contumax de faire opposition dans les cinq jours de la notification du jugement et, dans le cas, au demeurant habituel dans les procédures par contumace, où la notification n’était pas certaine, il permettait au condamné de faire opposition tant que l’exécution de la peine n’était pas prescrite.

17. Pour sa part, le code de procédure pénale (21) prévoyait, en ce qui concerne les crimes, un délai de prescription de la peine de vingt ans à compter de son prononcé (22).

18. Il résulte de l’exégèse conjointe de ces normes que le jugement par contumace dont la notification n’est pas établie (23) devient irrévocable (24) vingt ans après son prononcé, sans oublier qu’en l’espèce le délai de prescription coïncide avec celui accordé pour demander la révision (25).

III – Faits, litige au principal et question préjudicielle

19. Le 26 janvier 1961, M. Klaus Bourquain, un ressortissant allemand engagé dans la légion étrangère française (26), a été jugé, déclaré coupable d’homicide et condamné à mort par contumace par le Tribunal permanent des forces armées de la zone est-constantinoise, à Bône (27).

20. Appliquant le code pénal français alors en vigueur, ce tribunal militaire a considéré comme établi que le 4 mai 1960, alors qu’il avait entrepris de déserter à la frontière entre l’Algérie et la Tunisie, dans la province d’El Tarf (28), M. Bourquain avait abattu d’un coup de feu un autre soldat de la légion étrangère, également de nationalité allemande, qui voulait l’empêcher de fuir.

21. S’étant réfugié en République démocratique allemande, le condamné n’a jamais comparu devant le tribunal et la peine n’a pas été exécutée, même si les biens de l’intéressé ont été mis sous séquestre pour garantir le recouvrement des dépens.

22. Il n’y a pas eu d’autre procédure pénale contre M. Bourquain en France et en Algérie; en revanche, les autorités de la République fédérale d’Allemagne ont, en 1962, délivré un mandat d’arrêt à l’adresse de la République démocratique allemande, qui l’a rejeté.

23. En 2002, la Staatsanwaltschaft Regensburg (le parquet de Ratisbonne) a entrepris des démarches en vue de faire juger M. Bourquain en Allemagne, pour les mêmes faits.

24. Mais, à cette date, la peine imposée par le jugement du 26 janvier 1961 ne pouvait être exécutée en France: (1) en effet, ce pays avait, en 1968, amnistié (29) les infractions commises par ses militaires pendant les événements en Algérie; (2) la prescription est intervenue en 1981 et (3) la peine de mort a été abolie (30) la même année.

25. Dans ces circonstances, le Landgericht Regensburg a demandé un avis consultatif au Max-Planck-Institut für ausländisches und internationales Strafrecht (Institut Max-Planck de droit pénal international et étranger, ci-après, l’«institut Max-Planck»), qui a estimé que, même si son exécution immédiate était exclue en raison des particularités du droit français, le jugement par contumace était formellement et matériellement passé en force de chose jugée, ce qui interdisait l’ouverture d’un nouveau procès pénal.

26. En outre, la même juridiction a demandé au ministère de la Justice français de lui dire, au titre de l’article 57 de la convention, si les autorités françaises étaient d’avis que le jugement du 26 janvier 1961 s’opposait à l’ouverture d’un nouveau procès en Allemagne, en raison de l’article 54 de la convention.

27. Tout en estimant que le principe ne bis in idem n’était pas applicable, le procureur du Tribunal aux armées de Paris a confirmé que le jugement était passé en force de chose jugée, qu’il était irrévocable depuis 1981 et qu’il ne pouvait plus être exécuté en France, la peine étant prescrite (31).

28. Ce tissu d’opinions divergentes renforce les doutes conçus par le Landgericht Regensburg, dont l’ordonnance de renvoi vise à déterminer si l’article 54 de la convention exige que la peine ait été...

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