Wall AG v La ville de Francfort-sur-le-Main and Frankfurter Entsorgungs- und Service (FES) GmbH.

JurisdictionEuropean Union
Date27 October 2009
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 27 octobre 2009 (1)

Affaire C‑91/08

Wall AG

contre

Stadt Frankfurt am Main,

Frankfurter Entsorgungs- und Service GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Frankfurt am Main (Allemagne)]

«Principes généraux du droit communautaire – Concession de services – Principe d’égalité de traitement des soumissionnaires – Obligation de transparence – Attribution à une entité à capital mixte – Notion de ‘pouvoir adjudicateur’ – Organisme de droit public – Modification subséquente d’un terme du contrat de concession – Changement de sous‑traitant – Protection juridictionnelle effective – Modalités procédurales nationales – Reconnaissance d’un pouvoir d’injonction – Résiliation du contrat»





1. Par le présent renvoi préjudiciel, le Landgericht Frankfurt am Main (Allemagne) s’interroge, en substance, sur la portée de l’obligation de transparence et sur les conséquences qu’il convient de tirer de sa violation dans le cadre d’une procédure de passation d’une concession de services.

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’entreprise Wall AG (2) à la Stadt Frankfurt am Main (ville de Francfort‑sur‑le‑Main) et à l’entreprise Frankfurter Entsorgungs- und Service GmbH (3) au sujet de l’exécution d’une concession pour l’exploitation, la maintenance et l’entretien de toilettes publiques sur le territoire de cette ville.

3. Cette affaire va permettre à la Cour de préciser les conditions dans lesquelles le pouvoir adjudicateur peut consentir à une modification du contrat de concession, au cours de son exécution, sans méconnaître la portée de l’obligation de transparence.

4. Elle va également offrir à la Cour l’opportunité de préciser les conditions dans lesquelles le respect de cette obligation s’impose à une entité à capital mixte constituée dans le cadre d’un partenariat public‑privé.

5. Enfin, les questions posées par le Landgericht Frankfurt am Main permettront à la Cour de préciser les modalités du contrôle juridictionnel des décisions qui ont été adoptées dans le cadre des concessions de services. En particulier, la Cour devra examiner si, lorsque la juridiction nationale compétente constate la violation de l’obligation de transparence dans le cadre d’une procédure de passation d’une concession de services, le droit communautaire requiert des États membres qu’ils reconnaissent, dans le chef de leur juridiction nationale, un pouvoir d’injonction à l’égard des parties au contrat.

I – Le cadre juridique communautaire

A – Le droit primaire

6. Le traité CE ne restreint pas la liberté des États membres de conclure des contrats de concession de services pour autant que les modalités d’octroi de ceux‑ci soient compatibles avec les dispositions qui instaurent et garantissent le bon fonctionnement du marché unique.

7. Ainsi, comme tout acte étatique fixant les conditions auxquelles une prestation d’activités économiques est subordonnée, l’octroi d’une concession doit respecter les principes consacrés par le traité en matière de droit d’établissement (article 43 CE) et de libre prestation des services (article 49 CE) et doit se soumettre aux règles interdisant toute discrimination en raison de la nationalité (article 12, premier alinéa, CE).

8. L’octroi d’une concession doit, en outre, respecter les principes que la Cour a dégagés sur la base de ces dispositions, et en particulier les principes d’égalité de traitement et de transparence dont nous expliquerons la portée ci‑après. Si cette jurisprudence porte notamment sur le contentieux des contrats de marchés publics, il n’en demeure pas moins que les principes qui s’en dégagent ont une portée qui dépasse le simple cadre desdits contrats. Nous partons de la prémisse que ces principes sont également applicables à d’autres situations, et en particulier aux concessions.

B – Le droit dérivé

9. Au stade actuel du droit communautaire, les contrats de concession de services ne font l’objet d’aucune réglementation dérivée (4). Néanmoins, les dispositions adoptées dans le cadre des directives en matière de passation des marchés publics permettent d’apprécier certaines modalités de passation de ce type de contrats.

1. La réglementation relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de services

10. La notion de «pouvoirs adjudicateurs» a tout d’abord été définie à l’article 1er, sous b), de la directive 92/50/CEE (5). Conformément à son huitième considérant, celle‑ci s’applique aux «marchés publics de services» (6) et, de ce fait, exclut de son champ d’application les concessions de services. La directive 92/50 vise à supprimer les entraves à la libre circulation des services et des marchandises et tend à protéger les intérêts des opérateurs économiques qui souhaitent offrir des biens ou des services aux pouvoirs adjudicateurs établis dans un autre État membre (7).

11. L’article 1er, sous b), de cette directive définit la notion de «pouvoirs adjudicateurs» comme suit:

«sont considérés comme ‘pouvoirs adjudicateurs’, l’État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public.

Par ‘organisme de droit public’, on entend tout organisme:

– créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial

et

– ayant la personnalité juridique

et

– dont soit l’activité est financée majoritairement par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié est désignée par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public.

[…]»

12. La notion de «concession de services» a ensuite été définie à l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2004/18/CE (8), qui refond l’ensemble des dispositions relatives à la passation des marchés publics de services, de fournitures et de travaux (9).

13. Aux termes de cette disposition, une concession de services est un «contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché public de services, à l’exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter le service, soit dans ce droit assorti d’un prix».

14. En outre, cette directive reprend en des termes identiques, à son article 1er, paragraphe 9, la définition de la notion d’«organisme de droit public», visée à l’article 1er, sous b), deuxième alinéa, de la directive 92/50.

2. La directive 89/665/CEE

15. La directive 89/665/CEE (10) permet un accroissement substantiel des garanties de transparence et de non‑discrimination dans le cadre de l’ouverture des marchés publics à la concurrence en obligeant les États membres à mettre en place des procédures de recours efficaces et rapides en cas de violation des dispositions des directives «marchés publics» (11). Conformément à l’article 1er de cette directive, ces procédures doivent être accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.

16. Compte tenu de la brièveté des procédures de passation des marchés publics, lesdites procédures doivent, conformément à l’article 2 de la directive 89/665, permettre non seulement un traitement urgent des violations alléguées et l’adoption de mesures provisoires, mais également l’annulation des décisions illégales et l’indemnisation des personnes lésées. Cette disposition est rédigée comme suit:

«1. Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant:

a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher d’autres dommages d’être causés aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou de l’exécution de toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs;

b) d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales […]

c) d’accorder des dommages‑intérêts aux personnes lésées par une violation.

[…]

6. Les effets de l’exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 sur le contrat qui suit l’attribution d’un marché sont déterminés par le droit national.

[…]»

17. Ainsi que nous l’avons indiqué, la directive 89/665 a été modifiée par la directive 2007/66. Celle‑ci tend à renforcer l’efficacité des procédures de recours nationales et précise les cas dans lesquels un contrat conclu en violation des règles de procédure de passation des marchés publics doit être dépourvu d’effets.

3. La directive 80/723/CEE

18. L’article 2 de la directive 80/723/CEE (12) est rédigé dans les termes suivants:

«1. Aux fins de la présente directive, on entend par:

[…]

b) ‘entreprise publique’, toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent;

[…]

2. L’influence dominante des pouvoirs publics sur l’entreprise est présumée lorsque, directement ou indirectement, ceux‑ci:

a) détiennent la majorité du capital souscrit de l’entreprise ou

b) disposent de la majorité des voix attachées aux parts émises par l’entreprise ou

c) peuvent désigner plus de la moitié des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de l’entreprise.»

II – Les faits et la procédure au principal

19. Nous résumerons de la manière suivante les faits qui semblent pertinents aux fins de notre raisonnement.

20. Le...

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