Parfums Christian Dior SA y Parfums Christian Dior BV contra Evora BV.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1997:222
Docket NumberC-337/95
Celex Number61995CC0337
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date29 April 1997
EUR-Lex - 61995C0337 - FR 61995C0337

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 29 avril 1997. - Parfums Christian Dior SA et Parfums Christian Dior BV contre Evora BV. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas. - Droits de marque et d'auteur - Action du titulaire de ces droits visant à faire interdire à un revendeur de faire de la publicité pour la commercialisation ultérieure du produit - Parfum. - Affaire C-337/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-06013


Conclusions de l'avocat général

1 Dans la présente affaire, la question essentielle est de savoir si le titulaire d'une marque peut invoquer ses droits de marque pour s'opposer à la publicité faite pour des produits qu'il a mis dans le commerce ou qui l'ont été avec son consentement lorsque cette publicité porte atteinte à l'image de luxe et de prestige de sa marque. Peut-il en particulier s'opposer à une publicité de cette nature si le revendeur se contente de faire de la publicité sous une forme qui est courante dans son secteur? L'affaire a été déférée à titre préjudiciel par le Hoge Raad der Nederlanden.

Les faits et la procédure devant la juridiction nationale

2 La seconde demanderesse, Parfums Christian Dior (ci-après «Dior Pays-Bas») est le représentant exclusif aux Pays-Bas de la première demanderesse (ci-après «Dior France»). A l'instar des autres représentants exclusifs de Dior France en Europe, Dior Pays-Bas recourt à un système de distribution sélective pour diffuser les produits Dior dans le pays. Seuls les revendeurs agréés peuvent vendre les produits, et ce à la condition qu'ils ne fournissent que les consommateurs finals ou d'autres revendeurs agréés.

3 Dans le Benelux, Dior France a des droits exclusifs sur les marques figuratives Eau Sauvage, Poison, Fahrenheit et Dune, notamment pour les produits de la classe 3 qui comprend les parfums. Ces marques consistent en des représentations de l'emballage dans lequel sont vendus les flacons de parfum revêtus de ces dénominations. Dior France est en outre titulaire des droits d'auteur tant sur ces emballages que sur ces flacons ainsi que sur les emballages et les flacons des produits vendus sous la dénomination Svelte.

4 La défenderesse, Evora BV (ci-après «Evora»), exploite une chaîne de magasins sous le nom de sa filiale Kruidvat. Dans l'arrêt de renvoi ces magasins sont décrits comme étant des drogueries (1). Les magasins Kruidvat n'ont pas été désignés comme distributeurs agréés des produits Dior. Ils vendent néanmoins des produits Dior importés parallèlement (c'est-à-dire des produits qui ne proviennent pas directement de Dior ou de ses distributeurs mais qui ont déjà été commercialisés par Dior ou avec son consentement). La licéité de la revente des produits n'a pas été contestée dans la présente procédure.

5 Dans une promotion de Noël 1993, Kruidvat a fait de la publicité pour la vente des produits Dior Eau Sauvage, Poison, Fahrenheit, Dune et Svelte. Cette promotion a donné lieu à la reproduction des emballages et des flacons de certains de ces produits sur les dépliants publicitaires que Kruidvat a réalisés pour les ventes de Noël 1993 durant la semaine 49. Le Hoge Raad souligne que la publicité a été conçue sous une forme qui est courante chez les revendeurs du secteur (en se référant aux publicités spéciales et propres à la période de Noël).

6 Dior n'a toutefois pas admis des publicités de cette nature et a assigné Evora en référé le 8 décembre 1993 pour atteinte à ses marques. Dior a soutenu que ses marques avaient été employées pour des produits identiques ou similaires au mépris de son droit exclusif [article 13 A point 1 de la loi uniforme Benelux sur les marques dans la version en vigueur à cette époque (ci-après la «loi Benelux»)], ou dans des circonstances susceptibles de lui causer un dommage, notamment en altérant le prestige et l'image des marques. L'article 13 A point 2 de la loi Benelux permettait au titulaire de la marque de s'opposer à tout autre emploi de la marque ou d'un signe ressemblant qui, dans la vie des affaires et sans juste motif, était susceptible de causer un préjudice au titulaire de la marque. Dior a également soutenu qu'Evora avait empiété sur les droits d'auteur qu'elle a sur les flacons et sur les emballages utilisés pour ses produits.

7 Dior a demandé d'ordonner à Evora de cesser immédiatement et à l'avenir tout usage des marques figuratives de Dior et toute «divulgation ou reproduction» des produits Dior dans des catalogues, brochures, annonces ou autres. Le président de l'Arrondissementsrechtbank Haarlem a fait partiellement droit à la demande de Dior en ordonnant à Evora de cesser immédiatement et à l'avenir tout usage des marques figuratives de Dior et toute «publication ou reproduction» des produits Dior en question dans des catalogues, brochures, annonces et autres non conforme au type de publicité que Dior utilise habituellement. Le Gerechtshof a toutefois réformé l'ordonnance du président et refusé d'accorder les mesures sollicitées. Dior a saisi le Hoge Raad d'un pourvoi dirigé contre cette décision du Gerechtshof.

8 A l'époque où les questions ont été posées dans la présente affaire, la loi modifiant la loi Benelux pour transposer la directive 89/104/CEE du Conseil (2) (ci-après la «directive sur les marques» ou la «directive») n'était pas entrée en vigueur; la loi modificative (le second protocole daté du 2 décembre 1992) est entrée en vigueur le 1er janvier 1996. Toutefois, ainsi que le Hoge Raad le reconnaît, comme le délai de transposition de la directive a expiré le 31 décembre 1992 (3), bien avant que ne se produisent les faits qui ont donné lieu à la présente procédure, il convient d'interpréter dans toute la mesure du possible la loi Benelux en vigueur à cette époque-là à la lumière du texte et de la finalité de la directive (4)

9 Il a été établi que, sous l'empire de la loi Benelux, lorsque les marchandises ont été mises en circulation sous une marque par le titulaire de la marque ou par un licencié, le revendeur a la faculté d'employer cette marque pour annoncer au public la commercialisation ultérieure. Toutefois, par dérogation à cette règle, le titulaire de la marque peut s'opposer à la publicité par laquelle un revendeur chercherait à faire de la publicité pour sa propre entreprise, en suggérant une certaine qualité, et à tirer ainsi profit de la renommée et du «goodwill» de la marque (5).

10 Le Gerechtshof a estimé que Dior n'avait pas démontré à suffisance de droit que la façon dont Kruidvat avait employé les marques figuratives dans sa brochure de Noël était susceptible de suggérer dans l'esprit du public que ces marques avaient été essentiellement employées pour vanter sa propre entreprise en tant que telle.

11 Devant le Gerechtshof, Dior a également soutenu qu'elle pouvait s'opposer à l'emploi que Kruidvat faisait de ses marques au motif que cet emploi revenait à altérer l'«état des produits» au sens du troisième alinéa de l'article 13 A de la loi Benelux ou parce qu'il y avait des motifs légitimes de s'opposer, au titre de l'article 7, paragraphe 2, de la directive sur les marques, à la commercialisation ultérieure des produits. Le troisième alinéa de l'article 13 A disposait notamment que le droit exclusif conféré par la marque n'impliquait pas que le titulaire de la marque avait le droit de s'opposer à l'emploi de la marque pour des produits que lui ou son licencié avait mis en circulation sous ladite marque mais qu'il en avait le droit si l'«état des produits» avait été altéré. En effet, l'article 7, paragraphe 2, de la directive se réfère lui aussi à l'état des produits puisqu'il admet qu'il puisse y avoir des «motifs légitimes [qui] justifient que le titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce» (6).

12 Le Gerechtshof a rejeté les moyens que Dior avait tirés de ces dispositions. Il a considéré que les deux dispositions ne visaient que des atteintes à la réputation de la marque découlant d'une altération de l'état physique des produits marqués en question. Dior conteste cette approche en soutenant que, au sens de ces dispositions, l'«état des produits» couvre aussi l'«état psychique» des produits. Il considère que cette dernière notion vise l'aspect, le caractère prestigieux et l'aura de luxe qui entourent les produits et qui résultent de la manière dont le titulaire de la marque a choisi de présenter et de vanter ses produits en employant ses marques.

13 Aux termes de l'article 10 de la convention Benelux sur les marques, conclue le 19 mars 1962 entre le royaume de Belgique, le grand-duché de Luxembourg et le royaume des Pays-Bas, et de l'article 6, paragraphe 3, du traité relatif à l'institution et au statut d'une Cour de justice Benelux, signé par les mêmes parties à Bruxelles, le 31 mars 1965, le Hoge Raad est tenu, dans certaines circonstances, de saisir à titre préjudiciel la Cour Benelux de questions d'interprétation. Le régime est analogue aux renvois préjudiciels adressés à votre Cour.

14 Dans la présente affaire, le Hoge Raad a simultanément saisi votre Cour et la Cour Benelux de questions analogues «par souci d'économie de procédure». Il estime que les réponses aux questions de fond posées aux deux Cours sont nécessaires à la solution du litige tout en reconnaissant que la réponse à l'une de ces questions pourrait rendre totalement ou partiellement superflues une ou plusieurs autres questions. Il a néanmoins décidé également de demander à votre Cour si c'est la Cour suprême nationale ou bien la Cour Benelux qui doit être considérée, au regard de l'article 177 du traité CE, comme étant la juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne. Par décision du 15 octobre 1996, la Cour Benelux a suspendu la procédure pendante...

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