Boehringer Ingelheim KG and Others v Swingward Ltd and Dowelhurst Ltd.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:235
Date06 April 2006
Celex Number62004CC0348
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-348/04
62004CC0348_FR

Conclusions de l'avocat général

Conclusions de l'avocat général

1. Dans la présente affaire, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) demande des précisions à la Cour quant aux effets de l’arrêt rendu par cette dernière dans l’affaire Boehringer Ingelheim e.a. (2) (ci-après l’«arrêt Boehringer I»). Cette affaire portait sur les conditions dans lesquelles le titulaire d’une marque pouvait invoquer ses droits de marque pour empêcher un importateur parallèle, qui a reconditionné les produits portant la marque, de les commercialiser.

2. Dans l’arrêt de la Court of Appeal qui a mené à la décision de renvoi, Lord Justice Jacob indiquait: «J’ai parfois l’impression que le droit perd le sens des réalités dans ce domaine – ce que nous examinons, dans le fond, c’est une utilisation de la marque du titulaire sur ses propres produits en parfait état. Je pense que le consommateur moyen serait surpris de constater le pétrin dans lequel s’est fourré le droit».

3. Je partage ce point de vue. Il me semble que, après 30 ans de jurisprudence en matière de reconditionnement des produits pharmaceutiques, il devrait être possible d’énoncer un nombre suffisant de principes pour permettre aux juridictions nationales d’appliquer les règles de droit au litige constamment recommencé qui oppose les fabricants et les importateurs parallèles. Je tenterai, dans les présentes conclusions, de formuler ces principes. Je ne puis qu’espérer que, à la suite de l’arrêt rendu dans cette affaire, les juridictions nationales joueront adéquatement leur rôle en les appliquant aux faits dont ils sont saisis sans réclamer de nouveaux raffinements en la matière. Tout juge sait que des avocats ingénieux peuvent toujours trouver un motif d’appliquer ou non une proposition donnée à la situation de leur client. Ce n’est pourtant pas à la Cour qu’il appartient, selon moi, de se prononcer à l’infini sur ces détails (3) .

Le cadre juridique

4. Les développements de la jurisprudence de la Cour en matière de reconditionnement ont été examinés de façon relativement détaillée dans les conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Boehringer I. Je ne reviendrai pas sur cette analyse. Je me contenterai d’exposer les éléments suivants qui sont, selon moi, particulièrement pertinents pour la présente affaire.

5. Cette jurisprudence plonge bien sûr ses racines historiques dans les articles 28 CE et 30 CE. L’article 30 CE apparaît largement dans les mémoires déposés dans cette affaire. L’article 28 CE n’y est par contre que peu mentionné. Il ne faudrait pourtant pas oublier que l’article 30 CE constitue l’exception à la règle consacrée à l’article 28 CE, qui prévoit que les marchandises doivent pouvoir circuler librement entre les États membres. En tant que dérogation à cette règle fondamentale, l’article 30 CE est d’interprétation stricte (4) .

6. Lorsqu’elle a ainsi interprété l’article 30 CE dans le contexte des droits de propriété intellectuelle et industrielle, la Cour a, très tôt, développé le concept de l’objet spécifique du droit, en indiquant que cet article 30 CE «n’admet de dérogations à [la liberté de circulation des marchandises] que dans la mesure où elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l’objet spécifique de cette propriété» (5) . Ce principe permet de déterminer, par rapport à chaque type de propriété intellectuelle, les conditions dans lesquelles l’exercice du droit sera compatible avec le droit communautaire, même si, dans un contexte transfrontalier, cet exercice entrave par définition la liberté de circulation (6) .

7. C’est très tôt également que la Cour a défini l’objet spécifique du droit de marque comme étant «d’assurer au titulaire le droit exclusif d’utiliser la marque, pour la première mise en circulation d’un produit» (7) . C’est de cette définition qu’a tout naturellement découlé la doctrine de l’épuisement des droits de marque (8) . La Cour a donc conclu que «l’exercice, par le titulaire d’une marque, du droit que lui confère la législation d’un État membre d’interdire la commercialisation, dans cet État, d’un produit commercialisé dans un autre État membre sous cette marque par ce titulaire ou avec son consentement serait incompatible avec les règles du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises à l’intérieur du marché commun» (9) .

8. La Cour a encore approfondi la notion d’objet spécifique du droit de marque dans son arrêt Hoffmann-La Roche (10), dans lequel elle indique que «la fonction essentielle de la marque [...] est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit marqué, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre provenance [et d’]être certain qu’un produit marqué [...] n’a pas fait l’objet, à un stade antérieur de la commercialisation, d’une intervention [...] qui a atteint le produit dans son état originaire». Préserver l’objet spécifique de la marque implique donc le droit de s’opposer à «toute utilisation de la marque susceptible de fausser la garantie de provenance».

9. L’objet spécifique d’une marque a donc deux aspects. Le premier est le droit d’utiliser le produit aux fins de la première mise en circulation dans la Communauté du produit ainsi protégé, droit qui est épuisé après cette opération. Le second est le droit de s’opposer à toute utilisation de la marque susceptible de fausser la garantie de provenance qui comporte à la fois la garantie de l’identité d’origine et celle de l’intégrité du produit marqué.

10. Ces droits essentiels se retrouvent dans la directive sur les marques (11) . L’article 5, paragraphe 1, dispose qu’une marque confère à son titulaire «un droit exclusif» et plus précisément le droit d’interdire l’usage, dans la vie des affaires, a) d’un signe identique pour des produits ou des services identiques et b) d’un signe identique ou dont la similitude est susceptible d’entraîner un risque de confusion pour des produits ou des services identiques ou similaires (12) .

11. Sans autre restriction, l’article 5, paragraphe 1, sous a), de ladite directive donnerait au titulaire d’une marque le droit d’interdire tout usage de la marque pour les produits qu’elle couvre. Les titulaires pourraient donc s’opposer à des importations, dans un État membre, de ces produits en provenance d’un autre État membre, réduisant ainsi à néant le droit à la libre circulation des marchandises garanti par l’article 28 CE. Pareil pouvoir irait toutefois à l’encontre à la fois du traité CE et de l’objectif déclaré de la directive sur les marques, qui est «d’abolir les disparités entre les législations des États membres sur les marques qui peuvent entraver la libre circulation des produits et la libre prestation des services ainsi que fausser les conditions de concurrence dans le marché commun» (13) et ainsi de sauvegarder le fonctionnement du marché commun (14) . L’article 7, paragraphe 1, prévoit dès lors que le droit de s’opposer à l’usage de la marque «ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté (15) sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement», intégrant ainsi la doctrine de l’épuisement communautaire des droits de marque.

12. L’article 7, paragraphe 1, de la directive sur les marques a été décrit comme une exception à la règle de l’article 5, paragraphe 1 (16), mais je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une analyse tout à fait exacte de la relation entre les deux dispositions. Il me semble qu’il est plus utile de les considérer comme s’équilibrant l’un l’autre. S’il fallait parler en termes de règles et d’exceptions, on s’inscrirait davantage dans l’esprit de la relation entre les articles 28 CE et 30 CE en interprétant l’article 5, paragraphe 1, de la directive sur les marques qui est de nature à entraîner des restrictions aux importations, comme une exception à l’article 7, paragraphe 1, qui reflète le principe de base de la libre circulation des marchandises.

13. À l’inverse, l’article 7, paragraphe 2, indique que l’article 7, paragraphe 1, «n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce». L’article 7, paragraphe 2, constitue donc manifestement une exception au principe fondamental de la libre circulation des marchandises. Il ne devrait donc pas être généreusement interprété (17) . Il s’ensuit qu’il ne convient pas de donner une interprétation excessivement large ni, de façon générale, de l’expression «motifs légitimes» ni, plus particulièrement, de la notion d’«état» «modifié ou altéré» des produits.

14. Les articles 5 à 7 de la directive sur les marques (18) procèdent à une harmonisation complète des règles relatives aux droits conférés par la marque et définissent ainsi les droits dont jouissent les titulaires de marques dans la Communauté (19) . La Cour a cependant déjà indiqué que sa jurisprudence antérieure relative à l’article 30 CE devait servir de référence pour déterminer si le titulaire d’une marque pouvait, au titre de l’article 7, paragraphe 2, s’opposer à la commercialisation de produits reconditionnés sur lesquels la marque a été réapposée (20) . Les mêmes règles d’interprétation doivent s’appliquer aux autres variantes du reconditionnement auxquelles les titulaires de la marque tentent de s’opposer. La directive doit être interprétée conformément à l’économie du traité et aux droits essentiels développés par la Cour et définis ci-avant (21) .

15. Cela étant dit, je ne pense pas qu’il soit nécessairement utile ou souhaitable pour la Cour de continuer à fonder ses arrêts sur l’article 30 CE (ou au demeurant pour les parties de défendre leur thèse sur cette base). La directive sur les marques fait partie de notre arsenal...

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