L’Oréal SA and Others v eBay International AG and Others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:757
Date09 December 2010
Celex Number62009CC0324
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-324/09

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Niilo Jääskinen

présentées le 9 décembre 2010 (1)

Affaire C‑324/09

L’Oréal SA

Lancôme parfums et beauté & Cie

Laboratoire Garnier & Cie

L’Oréal (UK) Limited

contre

eBay International AG

eBay Europe SARL

eBay (UK) Limited

[demande de décision préjudicielle formée par la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Royaume-Uni)]

«Société de l’information – Moteur de recherche – Publicité à partir de mots clés – Exploitant d’une place de marché en ligne – Mots clés correspondant à des marques – Directive 89/104/CEE (‘directive sur les marques’) – Articles 5 et 7 – Règlement (CE) n° 40/94 (‘règlement sur la marque communautaire’) – Articles 9 et 13 – Responsabilité d’un exploitant d’une place de marché en ligne pour les informations qu’il héberge – Directive 2000/31/CE (‘directive sur le commerce électronique’) – Article 14 – Obligation des États membres de veiller à ce que les titulaires de droits puissent demander des injonctions à l’encontre de prestataires intermédiaires de services utilisés par des tiers pour porter atteinte auxdits droits – Directive 2004/48/CE (‘directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle’) – Article 11 – Liberté d’expression – Liberté du commerce – Directive 76/768/CEE (‘directive sur les produits cosmétiques’)»






I – Introduction

1. Le litige au principal oppose, d’une part, L’Oréal SA et ses filiales (ci-après «L’Oréal») et, d’autre part, trois filiales d’eBay Inc. (ci-après «eBay») ainsi que certaines personnes physiques. Il concerne des offres de vente de produits émanant de ces personnes et disponibles sur la place de marché électronique d’eBay. Les offres de vente portent prétendument atteinte aux droits de propriété intellectuelle dont L’Oréal est titulaire.

2. eBay, la partie défenderesse dans la procédure nationale, exploite une place de marché électronique populaire et élaborée sur Internet. Elle a mis en place un système facilitant grandement la vente et l’achat par Internet, par les individus, à l’aide d’un puissant moteur de recherche, d’un système sécurisé de paiement et moyennant une couverture géographique importante. Elle a également mis en place des mécanismes pour lutter contre les ventes de biens contrefaits. Pour attirer de nouveaux clients vers son site Internet, eBay a également acheté des mots clés, tels que des noms de marques très connues, auprès de services payants de référencement sur Internet (tels que le système AdWords de Google). L’utilisation d’un mot clé sélectionné dans le moteur de recherche déclenche l’affichage d’une annonce et d’un lien commercial menant directement vers la place de marché électronique d’eBay.

3. L’Oréal, la partie requérante dans la procédure nationale, est une société de taille mondiale offrant une très large gamme de produits protégés au titre de droits de marque, y compris des marques très connues jouissant d’une renommée mondiale. Son problème principal dans cette affaire consiste dans la vente de différents produits L’Oréal contrefaits sur la place de marché en ligne d’eBay. Pour L’Oréal, la situation se complique par le fait que certains des produits ne sont pas destinés à être vendus dans l’Espace économique européen (EEE), mais qu’ils s’y retrouvent à travers les ventes opérées sur eBay. Certains des produits cosmétiques sont vendus sans l’emballage d’origine. L’Oréal considère que, en achetant les mots clés, eBay attire des clients vers la place de marché électronique que celle-ci exploite pour que ceux-ci achètent des produits revêtus de marques dont L’Oréal est titulaire en violation des droits attachés à ces marques. Pour stopper efficacement l’action des vendeurs particuliers, L’Oréal souhaiterait qu’une ordonnance judiciaire soit rendue à l’encontre d’eBay afin de mieux protéger ses marques.

4. Pour la Cour, cette demande de décision préjudicielle a trait à une question juridique d’actualité relative à l’application de la protection associée à la marque dans le nouvel environnement du commerce électronique et des services de la société de l’information sur Internet. La Cour est appelée à déterminer, d’une part, le juste équilibre entre la protection, d’une part, des intérêts légitimes du titulaire de la marque et, d’autre part, de ceux des sociétés et des particuliers qui utilisent les nouvelles opportunités de commerce offertes par Internet et le commerce électronique. Certaines des questions peuvent être résolues sur le fondement de la jurisprudence existante, alors que d’autres exigent davantage d’interprétation de plusieurs actes législatifs de l’UE.

5. La difficulté principale réside pour la Cour dans la double pondération qu’elle est appelée à opérer. Non seulement la Cour est appelée par la juridiction nationale à dégager une interprétation des dispositions du droit de l’Union européenne dans ce contexte difficile, mais elle devrait, dans le même temps, garantir que l’interprétation des actes en question restera applicable dans des situations présentant des paramètres différents. S’il est un fait que les marques en cause sont renommées et que les produits sont des produits de luxe, il n’en demeure pas moins que les dispositions applicables du droit de l’Union valent pour l’ensemble des marques et pour tous les types de produits. Une place de marché électronique est globale et présente de nombreuses caractéristiques spécifiques. Tandis que les réponses données devraient tenir compte des spécificités de l’affaire en instance devant la juridiction nationale, elles devraient, dans le même temps, être basées sur une vue d’ensemble de la manière dont ce système devrait fonctionner en général. J’estime que cette affaire est, à de nombreux égards, plus complexe que l’affaire Google France et Google (2).

6. Dans cette affaire, la Cour est appelée à fournir une interprétation en ce qui concerne i) la situation juridique au regard du droit des marques de l’Union européenne tel qu’il résulte de la directive 89/104/CEE («directive sur les marques») (3) d’un exploitant d’une place de marché électronique qui a) achète des mots clés identiques à des marques auprès d’un service payant de référencement sur Internet, de sorte que les résultats du moteur de recherche afficheront un lien menant au site Internet de l’exploitant de la place de marché, et b) qui stocke, pour le compte de ses clients, des offres de vente de produits de marque contrefaits, sans emballages ou ne provenant pas de l’EEE sur son site Internet; ii) la définition de l’étendue de la dérogation en matière de responsabilité du prestataire de service informatique, telle qu’elle est énoncée à l’article 14 de la directive 2000/31/CE («directive sur le commerce électronique») (4); iii) la définition de l’étendue du droit d’obtenir une injonction à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers mentionné à l’article 11 de la directive 2004/48/CE («directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle») (5) et iv) certaines dispositions de la directive 76/768/CEE («directive sur les produits cosmétiques») (6).

II – Cadre juridique

A – Droit de l’Union (7)


La directive 76/768

7. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 76/768 sur les produits cosmétiques exige que les États membres prennent toute disposition utile pour que les produits cosmétiques ne puissent être mis sur le marché que si le récipient et l’emballage portent en caractères indélébiles, facilement lisibles et visibles, les mentions spécifiées dans cette disposition. Celles-ci comprennent notamment a) le nom et l’adresse ou le siège social du fabricant ou du responsable de la mise sur le marché du produit cosmétique, établi à l’intérieur de la Communauté; b) le contenu nominal au moment du conditionnement; c) la date de durabilité minimale; d) les précautions particulières d’emploi; e) le numéro de lot de fabrication ou la référence permettant l’identification de la fabrication; f) la fonction du produit, sauf si cela ressort de la présentation du produit; et g) la liste des ingrédients.

La directive 89/104 (8)

8. L’article 5 de la directive 89/104 sur les marques, intitulé «Droits conférés par la marque», est libellé comme suit:

«1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a) d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

[…]

3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

[…]

b) d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;

d) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.

[…]»

9. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 89/104, intitulé «Limitation des effets de la marque», est libellé comme suit:

«Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires,

[…]

b) d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci;

c) de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.»

10. L’article 7 de la directive 89/104, intitulé «Épuisement du droit conféré par la marque», énonce ce qui suit:

«1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce...

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