conclusiones de la Abogado General Sharpston presentadas en el asunto Grafe y Pohle

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:593
Celex Number62018CC0298
CourtCourt of Justice (European Union)
Date11 July 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 11 juillet 2019 (1)

Affaire C298/18

Reiner Grafe,

Jürgen Pohle

contre

Südbrandenburger Nahverkehrs GmbH,

OSL Bus GmbH

[Demande de décision préjudicielle introduite par l’Arbeitsgericht Cottbus (tribunal du travail de Cottbus, Allemagne)]

(Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2001/23/CE – Transferts d’entreprises ou d’établissements – Maintien des droits des travailleurs – Exploitation de services de transport public par autobus – Reprise par une nouvelle entreprise d’activités assurées par une autre entreprise à la suite d’une procédure de passation des marchés publics)






1. La directive 2001/23/CE (2) codifie la directive 77/187/CEE concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements (3). La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie de la présente demande de décision préjudicielle par l’Arbeitsgericht Cottbus (tribunal du travail de Cottbus) dans le cadre d’une procédure engagée par MM. Grafe et Pohle contre l’ancien exploitant d’un service de transport public urbain et interurbain par autobus, Südbrandenburger Nahverkehrs GmbH (ci‑après « SBN »), et le nouvel opérateur de ce service, OSL Bus GmbH (ci‑après « OSL Bus »).

2. La juridiction de renvoi cherche à savoir s’il y a eu transfert d’une entreprise au sens de la directive 2001/23 alors qu’aucun transfert notable d’actifs corporels n’est intervenu, mais que la majorité des effectifs employés par l’ancien exploitant a été reprise par le nouvel opérateur. En outre, elle cherche à savoir si la solution retenue par la Cour dans l’arrêt Liikenne (4), concernant l’application du droit de l’Union relatif aux droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises portant sur l’exploitation d’un service de transport public par autobus, est applicable en l’espèce.

La directive 2001/23

3. Dans les considérants de la directive 2001/23 le législateur affirme, premièrement, qu’en cas de changement de chef d’entreprise, des dispositions sont nécessaires pour protéger les travailleurs et en particulier pour assurer le maintien de leurs droits (5). Il cite, deuxièmement, la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, (6) qui énonce que « la réalisation du marché intérieur doit conduire à une amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs dans [ce qui était à l’époque] la Communauté européenne. Cette amélioration doit entraîner, là où cela est nécessaire, le développement de certains aspects de la réglementation du travail, tels que les procédures de licenciement collectif ou celles concernant les faillites. [...] » (7). Il rappelle, troisièmement, que la directive 77/187 a été adoptée en 1977 pour encourager, notamment, l’harmonisation des législations nationales garantissant le maintien des droits des travailleurs (8).

4. Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2001/23, celle‑ci est applicable à tout transfert d’entreprise, d’établissement ou de partie d’entreprise ou d’établissement à un autre employeur résultant d’une cession conventionnelle ou d’une fusion. Selon l’article 1er, paragraphe 1, sous b) de cette même directive, « est considéré comme transfert, au sens de la [directive 2001/23], celui d’une entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d’une activité économique, que celle‑ci soit essentielle ou accessoire ». L’article 1er, paragraphe 1, sous c), de la directive précise que celle‑ci est applicable aux entreprises publiques et privées exerçant une activité économique, qu’elles poursuivent ou non un but lucratif. Conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive, elle est applicable si et dans la mesure où l’entreprise, l’établissement ou la partie d’entreprise ou d’établissement à transférer se trouve dans le champ d’application territorial du traité.

5. L’article 2 de la directive 2001/23 contient les définitions suivantes : on entend par « cédant » « toute personne physique ou morale qui, du fait d’un transfert au sens de l’article 1er, paragraphe 1, perd la qualité d’employeur à l’égard de l’entreprise, de l’établissement ou de la partie d’entreprise ou d’établissement » ; par « cessionnaire », « toute personne physique ou morale qui, du fait d’un transfert au sens de l’article 1er, paragraphe 1, acquiert la qualité d’employeur à l’égard de l’entreprise, de l’établissement ou de la partie d’entreprise ou d’établissement » ; et par « travailleur », « toute personne qui, dans l’État membre concerné, est protégée en tant que travailleur dans le cadre de la législation nationale sur l’emploi » (9).

6. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/23, « [l]es droits et les obligations qui résultent pour le cédant d’un contrat de travail ou d’une relation de travail existant à la date du transfert sont, du fait de ce transfert, transférés au cessionnaire ». Selon l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, de cette même directive, « [a]près le transfert, le cessionnaire maintient les conditions de travail convenues par une convention collective dans la même mesure que celle‑ci les a prévues pour le cédant, jusqu’à la date de la résiliation ou de l’expiration de la convention collective ou de l’entrée en vigueur ou de l’application d’une autre convention collective ».

La directive 92/50

7. La directive 92/50/CEE du Conseil portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (10) a établi les règles auxquelles doivent se conformer les pouvoirs adjudicateurs lors de l’attribution de ces marchés. Toutefois, à la date à laquelle le pouvoir adjudicateur dans la procédure au principal a organisé la mise en concurrence pour l’attribution du marché de fourniture d’un service de transport public urbain et interurbain par autobus, cette directive avait été remplacée par la directive 2014/24/UE sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (11). En conséquence, je me référerai à la directive 2014/24 dans les présentes conclusions.

Antécédents du litige, procédure au principal et questions préjudicielles

8. SBN était titulaire d’un marché conclu avec le Landkreis Oberspreewald-Lausitz (collectivité territoriale d’Oberspreewald‑Lausitz, ci‑après le « pouvoir adjudicateur ») pour l’exploitation, à compter du 1er août 2008, d’un système de transport public urbain et interurbain par autobus sur son territoire. En septembre 2016, le pouvoir adjudicateur a lancé un nouvel appel d’offres portant sur l’exploitation de son service d’autobus. SBN n’a pas participé à cette mise en concurrence. Par la suite, elle a décidé de cesser son activité et a notifié leur licenciement à l’ensemble de ses employés.

9. Le 19 janvier 2017, SBN a convenu d’un plan social avec le comité d’entreprise de la société. Le plan social prévoyait le versement aux travailleurs d’indemnités de divers montants dans le cas où le nouvel opérateur ne leur ferait pas une offre de reprise ou qu’ils subiraient une perte financière lors de leur réembauche.

10. Kraftverkehrsgesellschaft Dreiländereck mbH, filiale à 100 % de Rhenus Veniro GmbH & Co. KG, s’est vu attribuer le marché de fourniture du service de transport public urbain et interurbain par autobus sur le territoire du pouvoir adjudicateur à compter du 1er août 2017. Cette dernière a constitué une nouvelle filiale à 100 %, OSL Bus, pour fournir ce service de transport. OSL Bus a réembauché un grand nombre de conducteurs d’autobus, ainsi qu’une partie du personnel d’encadrement, de l’ancien exploitant, SBN. Par lettre du 10 avril 2017, le nouvel opérateur a indiqué à SBN qu’il ne comptait ni acheter, ni louer, ni utiliser d’aucune autre manière les actifs corporels dont celle‑ci était propriétaire (autobus, dépôts, ateliers et installations d’exploitation).

11. M. Grafe était employé à temps plein par SBN (ou son prédécesseur en droit) depuis le 16 juillet 1978 en tant que conducteur d’autobus et contremaître. Par lettre du 27 janvier 2017, SBN l’a licencié au 31 août 2017. Depuis le 1er septembre 2017, il est employé par OSL Bus comme conducteur d’autobus. Le nouvel opérateur n’a pas pris en compte les périodes d’emploi qu’il a effectuées auparavant chez SBN. Par conséquent, M. Grafe a été classé au premier grade prévu par la convention collective conclue avec OSL Bus, à l’instar d’un nouvel employé. M. Grafe, qui a contesté son licenciement par SBN, fait valoir que le nouvel opérateur est tenu de prendre en compte son ancienneté aux fins de sa classification. M. Grafe et SBN considèrent tous deux que la relation de travail a été transférée à OSL Bus dans le cadre d’un transfert d’entreprise.

12. M. Pohle était employé à temps plein par SBN depuis le 6 novembre 1979 en tant que conducteur d’autobus et contremaître. Par lettre du 27 janvier 2017, SBN l’a licencié au 31 août 2017. Le nouvel opérateur ne lui a pas fait d’offre d’emploi. M. Pohle a contesté la décision de SBN. À titre subsidiaire, il a réclamé le paiement d’une indemnité d’un montant de 68 034,56 euros au titre du plan social convenu entre SBN et son comité d’entreprise.

13. Dans sa demande reconventionnelle, SBN fait valoir que la relation de travail conclue avec M. Pohle a été transférée au nouvel opérateur, puisqu’il s’agit d’un transfert d’entreprise au sens de la directive 2001/23 ; par conséquent, SBN n’était pas tenue de lui verser une quelconque indemnité. OSL Bus, elle, soutient qu’il n’y a pas eu de transfert d’entreprise au sens de la directive ; elle n’a repris aucun des actifs corporels de l’ancien exploitant et la reprise d’une grande partie des effectifs n’est pas d’une importance décisive pour la fourniture de services de transport par autobus.

14. Dans...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT