Conclusiones del Abogado General Sr. G. Pitruzzella, presentadas el 11 de julio de 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:609
Date11 July 2019
CourtCourt of Justice (European Union)
Celex Number62018CC0380

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 11 juillet 2019 (1)

Affaire C380/18

Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid

contre

E.P.

[demande de décision préjudicielle formée par le Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières – Franchissement des frontières extérieures et conditions d’entrée – Décision constatant la fin de la régularité du séjour en raison d’une menace pour l’ordre public – Décision de retour d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier – Notion de “menace pour l’ordre public” – Marge d’appréciation des États membres »






1. Lorsqu’elles adoptent une décision par laquelle elles constatent que la condition d’entrée sur le territoire de l’Union, telle que définie à l’article 6, paragraphe 1, sous e), du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (ci‑après le « CFS ») (2), n’est pas ou n’est plus remplie, les autorités nationales sont-elles tenues d’apprécier le comportement personnel du ressortissant d’État tiers concerné et de conclure à l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société ou peuvent-elles se fonder sur le seul soupçon que ce ressortissant a commis une infraction pénale grave ? Tel est, en substance, l’enjeu du présent renvoi préjudiciel.

I. Le cadre juridique

A. La convention d’application de l’accord de Schengen

2. La convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 (ci-après la « CAAS ») (3), telle que modifiée par le règlement (UE) n° 610/2013, du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (4), prévoit, en vertu de son article 20, paragraphe 1, que « [l]es étrangers non soumis à l’obligation de visa peuvent circuler librement sur les territoires des Parties Contractantes pendant une durée maximale de 90 jours sur toute période de 180 jours à compter de la date de première entrée, pour autant qu’ils remplissent les conditions d’entrée visées à l’article 5, paragraphe 1, points a), c), d), et e) [de la CAAS] ».

B. Le code frontières Schengen

3. Aux termes du considérant 6 du CFS, « [l]e contrôle aux frontières n’existe pas seulement dans l’intérêt de l’État membre aux frontières extérieures duquel il s’exerce, mais dans l’intérêt de l’ensemble des États membres ayant aboli le contrôle aux frontières à leurs frontières intérieures. Le contrôle aux frontières devrait contribuer à la lutte contre l’immigration illégale et la traite des êtres humains, ainsi qu’à la prévention de toute menace sur la sécurité intérieure, l’ordre public, la santé publique et les relations internationales des États membres ».

4. Le considérant 27 du CFS prévoit que, « [c]onformément à la jurisprudence de la [Cour], toute dérogation au principe fondamental de la libre circulation des personnes doit être interprétée de manière restrictive et la notion d’ordre public suppose l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant l’un des intérêts fondamentaux de la société ».

5. L’article 6, paragraphe 1, du CFS dispose :

« Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d’une durée n’excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours, ce qui implique d’examiner la période de 180 jours précédant chaque jour de séjour, les conditions d’entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes :

[...]

d) ne pas être signalé aux fins de non-admission dans le [système d’information Schengen (SIS)] ;

e) ne pas être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure, la santé publique ou les relations internationales de l’un des États membres et, en particulier, ne pas avoir fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans les bases de données nationales des États membres pour ces mêmes motifs. »

II. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

6. E.P. est un ressortissant albanais qui serait entré sur le territoire des Pays‑Bas en tant que touriste, après être passé par le Danemark et la Suède selon ses dires, le 22 avril 2016. Le 18 mai 2016, il a été pris sur le fait dans une habitation hébergeant une plantation de cannabis puis placé en garde à vue dans l’attente d’une procédure pénale avant d’être pris en charge par les autorités de police des étrangers. Dans la mesure où de grandes quantités de drogue ont été trouvées sur place, E. P. était soupçonné d’avoir commis une infraction qualifiée de grave par le droit pénal néerlandais.

7. Le 19 mai 2016, le staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas, ci-après le « secrétaire d’État »), considérant que E.P. ne remplissait plus les conditions de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du CFS et qu’il constituait une menace pour l’ordre public, a adopté une décision lui ordonnant de quitter le territoire de l’Union dans les 28 jours. E.P. a introduit un recours contre cette décision devant le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégant à Amsterdam, Pays-Bas), lequel a, par jugement du 13 septembre 2016, annulé la décision de retour et ordonné au secrétaire d’État d’adopter une nouvelle décision. Le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam) a en particulier jugé que le secrétaire d’État n’avait pas dûment motivé sa position selon laquelle le séjour régulier de E.P. aux Pays-Bas, sur la base d’une exemption de visa (5), avait pris fin en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du CFS en raison du fait que E.P. était désormais considéré comme une menace pour l’ordre public néerlandais parce qu’il était soupçonné d’une infraction à la législation sur les stupéfiants. Selon ce tribunal qui se fonde sur les arrêts Zh. et O. (6) et N. (7), le secrétaire d’État aurait dû baser sa décision sur une appréciation au cas par cas afin de vérifier que le comportement personnel d’E.P. était constitutif d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société, et non pas sur la seule existence d’un soupçon.

8. Le secrétaire d’État a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi. Il conteste, en particulier, que l’exigence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société soit transposable aux décisions fondées sur l’article 6, paragraphe 1, sous e), du CFS, constatant qu’un individu a cessé de remplir les conditions d’entrée sur le territoire de l’Union.

9. C’est dans ces conditions que le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et, par décision de renvoi parvenue au greffe de la Cour le 11 juin 2018, d’adresser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 6, paragraphe 1, sous e), du [CFS] doit-il être interprété en ce sens que la décision selon laquelle le séjour régulier d’une durée n’excédant pas 90 jours sur une période de 180 jours a pris fin parce que l’étranger est considéré comme constituant une menace pour l’ordre public doit être motivée par le fait que le comportement personnel de l’étranger concerné constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant l’un des intérêts fondamentaux de la société ?

2) S’il convient de répondre à la première question par la négative, quelles sont les conditions de motivation qui s’appliquent, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, sous e), du [CFS], à la décision qu’un étranger est considéré comme constituant une menace pour l’ordre public ? L’article 6, paragraphe 1, sous e), du [CFS] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle un étranger est considéré comme constituant une menace pour l’ordre public pour la seule raison qu’il est constant que cet étranger est soupçonné d’avoir perpétré une infraction ? »

10. E.P., les gouvernements néerlandais, belge, allemand, la Commission européenne ainsi que la Confédération suisse ont participé à la procédure écrite devant la Cour.

11. Lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour le 2 mai 2019, E.P., les gouvernements néerlandais, belge et allemand ainsi que la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries.

III. Analyse

12. D’emblée, je précise que je traiterai conjointement les deux questions préjudicielles dont la Cour est aujourd’hui saisie dans la mesure où il résulte de ma lecture de la seconde question que celle-ci ne porte pas sur l’obligation de motivation en tant que telle, mais invite plutôt la Cour à déterminer les critères devant guider l’appréciation des autorités nationales au moment d’adopter une décision par laquelle elles constatent que les conditions d’entrée et de séjour réguliers sur le territoire de l’Union ne sont plus remplies en raison du fait que l’individu concerné est considéré comme une menace pour l’ordre public.

13. Répondre aux questions adressées à la Cour ainsi envisagées nécessitera de clarifier, dans un premier temps, l’articulation entre le CFS, la CAAS et la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (8). Il faudra, dans un deuxième temps, interpréter l’article 6, paragraphe 1, sous e), du CFS en fonction de son texte, de son contexte et des objectifs que le CFS poursuit. La conclusion...

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