Conclusiones del Abogado General Sr. G. Pitruzzella, presentadas el 29 de septiembre de 2020.

JurisdictionEuropean Union
Date29 September 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 29 septembre 2020 (1)

Affaires jointes C422/19 et C423/19

Johannes Dietrich (C422/19)

Norbert Häring (C423/19)

contre

Hessischer Rundfunk

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Union économique et monétaire – Articles 2, paragraphe 1, et 3, paragraphe 1, sous c), TFUE – Compétence exclusive de l’Union – Politique monétaire – Monnaie unique – Article 128, paragraphe 1, TFUERèglement no 974/98 – Notion de “cours légal” – Obligation d’accepter les billets de banque libellés en euros – Limitations des paiements en espèces décidées par les États membres – Règlementation nationale imposant l’acceptation des billets de banque pour le règlement d’obligations de paiement imposées par les pouvoirs publics – Règlementation régionale qui exclut le paiement en espèces de la redevance audiovisuelle »






1. Quelle est l’étendue de la compétence exclusive attribuée à l’Union européenne dans le domaine de la politique monétaire ? Plus particulièrement, cette compétence exclusive comprend-elle le droit monétaire et la détermination du cours légal de la monnaie unique ? Quelles sont la signification et la portée de la notion de cours légal des billets de banque en euro ? Dans ce contexte, les États membres dont la monnaie est l’euro peuvent-ils adopter des règlementations nationales qui limitent l’utilisation des billets de banque libellés en euro et, si c’est le cas, dans quelle mesure ?

2. Ce sont là, pour résumer, les questions soulevées par la présente demande de décision préjudicielle dont la Cour a été saisie par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne).

3. La présente affaire revêt une importance considérable, tout d’abord, en raison de ses implications de nature constitutionnelle. En effet, cette affaire implique la détermination de l’étendue de la compétence exclusive de l’Union dans le domaine de la politique monétaire et soulève, dès lors, des questions relatives à la répartition des compétences entre l’Union et les États membres et aux modalités d’exercice des compétences respectives. Elle suppose, en particulier, la définition de critères permettant de délimiter l’action des États membres lorsque, dans l’exercice de compétences qui leurs sont propres, cette action, bien qu’elle n’empiète pas sur un domaine relevant de la compétence exclusive de l’Union, entre néanmoins en contact avec des notions relevant d’un tel domaine.

4. En outre, la présente affaire soulève des questions inédites et d’une importance pratique considérable, actuelle et future, concernant la monnaie unique, l’euro. La Cour est appelée à interpréter des notions de droit monétaire sur lesquelles elle n’a pas encore eu l’occasion de se pencher, et, plus particulièrement, celle de cours légal. Tout cela se produit dans un contexte complexe, où l’avènement de la monnaie scripturale et de celle électronique, ainsi que le progrès technologique, doté d’effets retentissants également sur l’utilisation de la monnaie, vont de pair avec l’existence d’un nombre encore non négligeable de personnes vulnérables qui n’ont pas accès aux services financiers de base.

I. Le contexte juridique

A. Le droit de l’Union

5. L’article 128, paragraphe 1, TFUE, dont le libellé est repris, presque littéralement, par l’article 16, premier alinéa, du protocole nº 4 sur les statuts du Système européen de banques centrales (ci‑après les « statuts du SEBC ») dispose :

« La Banque centrale européenne est seule habilitée à autoriser l’émission de billets de banque en euros dans l’Union. La Banque centrale européenne et les banques centrales nationales peuvent émettre de tels billets. Les billets de banque émis par la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales sont les seuls à avoir cours légal dans l’Union ».

6. Le considérant 19 du règlement (CE) nº 974/98 du Conseil, du 3 mai 1998, concernant l’introduction de l’euro (2) est ainsi formulé :

« [C]onsidérant que les billets et les pièces libellés dans les unités monétaires nationales perdent leur cours légal au plus tard six mois après l’expiration de la période transitoire ; que les restrictions aux paiements au moyen de billets et de pièces, définies par les États membres en considération de motifs d’intérêt public, ne sont pas incompatibles avec le cours légal des billets et pièces libellés en euros, pour autant que d’autres moyens légaux soient disponibles pour le règlement des créances de sommes d’argent ».

7. L’article 10 de ce même règlement dispose que :

« La BCE et les banques centrales des États membres participants mettent en circulation les billets libellés en euros dans les États membres participants à compter de leur date respective de basculement fiduciaire. Sans préjudice de l’article 15, ces billets libellés en euros sont les seuls billets à avoir cours légal dans les États membres participants ».

8. En vertu de l’article 11 du règlement nº 974/98, « [à] compter de leur date respective de basculement fiduciaire, les États membres participants émettent des pièces libellées en euros ou en cents et conformes aux valeurs unitaires et aux spécifications techniques que le Conseil peut adopter conformément à l’article 106, paragraphe 2, seconde phrase, du traité. Sans préjudice de l’article 15 et des dispositions de tout accord au titre de l’article 111, paragraphe 3, du traité, en matière monétaire, ces pièces sont les seules à avoir cours légal dans les États membres participants. À l’exception de l’autorité émettrice et des personnes spécifiquement désignées par la législation nationale de l’État membre émetteur, nul n’est tenu d’accepter plus de 50 pièces lors d’un seul paiement ».

9. En vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 98/415 du Conseil, du 29 juin 1998, relative à la consultation de la Banque centrale européenne par les autorités nationales au sujet de projets de réglementation (3) :

« Les autorités des États membres consultent la BCE sur tout projet de réglementation relevant de son domaine de compétence en vertu du traité, et notamment en ce qui concerne :

– les questions monétaires,

– les moyens de paiement,

– les banques centrales nationales,

– la collecte, l’établissement et la diffusion de données statistiques en matière monétaire, financière, bancaire, de systèmes de paiement et de balance des paiements,

– les systèmes de paiement et de règlement,

– les règles applicables aux établissements financiers dans la mesure où elles ont une incidence sensible sur la stabilité des établissements et marchés financiers ».

10. Les considérants 3 et 4 de la recommandation (2010/191/UE) de la Commission, du 22 mars 2010, concernant la portée et les effets du cours légal des billets de banque et pièces en euros (4) énoncent, respectivement, qu’« [i]l plane actuellement une incertitude au niveau de la zone euro concernant l’étendue du cours légal et ses conséquences » et que « [l]a présente recommandation repose sur les principales conclusions d’un rapport établi par un groupe de travail constitué de représentants des ministères des finances et des banques centrales nationales de la zone euro ».

11. Les points 1 à 4 de ladite recommandation prévoient :

« 1. Définition commune du cours légal

Lorsqu’il existe une obligation de paiement, le cours légal des billets de banque et pièces en euros devrait impliquer :

a) l’acceptation obligatoire :

le bénéficiaire d’une obligation de paiement ne peut refuser les billets de banque et pièces en euros, sauf si les parties sont convenues d’un autre mode de paiement ;

b) l’acceptation à la valeur nominale :

la valeur monétaire des billets de banque et pièces en euros est égale au montant indiqué sur les billets de banque et les pièces ;

c) le pouvoir libératoire :

un débiteur peut s’acquitter d’une obligation de paiement en offrant des billets de banque et pièces en euros à son créancier.

2. Acceptation des paiements en billets de banque et pièces en euros dans les transactions de détail

L’acceptation de billets de banque et pièces en euros comme moyen de paiement devrait être la règle dans les transactions de détail. Un refus ne devrait être possible que s’il est fondé sur des raisons liées au ‘principe de bonne foi’ (si le commerçant ne dispose pas des espèces suffisantes pour rendre la monnaie, par exemple).

3. Acceptation de billets de banque de valeur élevée dans les transactions de détail

Les billets de banque de valeur élevée devraient être acceptés comme moyen de paiement dans les transactions de détail. Ils ne devraient pouvoir être refusés que pour des raisons liées au ‘principe de bonne foi’ (par exemple, si la valeur nominale du billet de banque est disproportionnée par rapport au montant dû au bénéficiaire du paiement).

4. Absence de frais supplémentaires pour l’utilisation de billets de banque et de pièces en euros

Aucun frais supplémentaire ne devrait être imposé pour les paiements effectués en billets de banque et pièces en euros. »

B. Le droit allemand

12. L’article 14, paragraphe 1, deuxième phrase, du Gesetz über die Deutsche Bundesbank (loi sur la banque centrale fédérale allemande, ci‑après le « BBankG ») (5) dispose :

« Sans préjudice de l’article 128, paragraphe 1, TFUE, la Deutsche Bundesbank [banque centrale fédérale allemande] a le droit exclusif d’émettre des billets de banque dans le champ d’application de la présente loi. Les billets de banque libellés en euros sont les seuls à avoir cours légal illimité. […] » (6).

13. Le Rundfunkbeitragsstaatsvertrag (traité entre les États fédérés sur la contribution audiovisuelle ; ci‑après, le « RBStV ») (7) prévoit, en son article 2, paragraphe 1, une redevance audiovisuelle devant être acquittée pour tout logement par le détenteur de celui‑ci.

14. L’article 9, paragraphe 2, du RBStV habilite les organismes régionaux...

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