Nicolas Decker v Caisse de maladie des employés privés.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1997:399
Docket NumberC-158/96
Celex Number61995CC0120
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date16 September 1997
EUR-Lex - 61995C0120 - FR 61995C0120

Conclusions jointes de l'avocat général Tesauro présentées le 16 septembre 1997. - Nicolas Decker contre Caisse de maladie des employés privés. - Demande de décision préjudicielle: Conseil arbitral des assurances sociales - Grand-Duché de Luxembourg. - Affaire C-120/95. - Raymond Kohll contre Union des caisses de maladie. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - Grand-Duché de Luxembourg. - Affaire C-158/96. - Libre circulation des marchandises - Libre prestation des services - Remboursement des frais médicaux engagés dans un autre Etat membre - Autorisation préalable de la caisse compétente.

Recueil de jurisprudence 1998 page I-01831


Conclusions de l'avocat général

1 La réalisation du marché unique, c'est-à-dire de cet espace sans frontières intérieures dans lequel est assurée la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, devrait désormais avoir été achevée et constituer l'un des aspects essentiels et les plus marquants du processus d'intégration européenne. Les questions posées à la Cour par deux juridictions luxembourgeoises, à savoir le conseil arbitral des assurances sociales (affaire C-120/95) et la Cour de cassation (affaire C-158/96), autorisent cependant à nourrir quelques doutes à cet égard, dans la mesure où elles mettent en évidence que jusqu'à ce jour le citoyen communautaire, à moins qu'il ne renonce au remboursement des frais y afférents, est en principe obligé de bénéficier des prestations médicales sur le territoire de l'État membre où il est assuré.

Le remboursement de frais médicaux exposés dans un autre État membre - qu'ils aient été occasionnés par l'achat de produits médicaux ou par des traitements médicaux - est en effet subordonné à la possession d'une autorisation préalable, dont la délivrance, par l'organisme de sécurité sociale compétent, est du reste soumise à des conditions particulièrement restrictives. Cette situation ne peut que décourager la libre circulation des malades, du moins de ceux économiquement faibles, ce qui en soi constitue un désavantage, bien entendu pour les malades en question. Or, c'est précisément cette situation qui est à l'origine des litiges pendants devant le conseil arbitral des assurances sociales et la Cour de cassation. La première juridiction est appelée à statuer sur la validité du refus, opposé par la caisse de maladie, de rembourser une paire de lunettes achetée dans un autre État membre par un affilié qui n'a pas préalablement demandé et obtenu l'autorisation requise. La seconde juridiction est au contraire saisie du non-octroi d'une autorisation, demandée par un assuré en son nom personnel et pour le compte de sa fille mineure, afin d'obtenir la prise en charge d'un traitement orthodontique à effectuer dans un autre État membre.

2 Les questions posées par ces juridictions visent à ce que la Cour se prononce, en substance, sur la compatibilité avec le droit communautaire d'une réglementation nationale, en l'occurrence luxembourgeoise, qui subordonne le remboursement de frais médicaux exposés en dehors du territoire national à la condition que les traitements médicaux ou l'achat des produits et/ou accessoires médicaux en question soient dûment autorisés par l'organisme de sécurité sociale compétent. Cette réglementation est mise en cause sous deux angles différents: celui des limitations qu'elle comporterait pour la libre circulation des produits et accessoires médicaux, en l'espèce une paire de lunettes, donc par rapport aux articles 30 et 36 du traité CE (affaire C-120/95); et celui des restrictions éventuelles apportées à la libre prestation des services médicaux, en l'espèce un traitement orthodontique, du fait des limitations qui sont imposées aux destinataires de ces services, donc par rapport aux articles 59 et 60 du traité (affaire C-158/96).

Il s'agit par conséquent d'établir si l'autorisation préalable, qui est nécessaire aux fins du remboursement, est de nature à constituer un obstacle à la libre circulation des marchandises (affaire C-120/95) ou à la libre prestation des services (affaire C-158/96) et, en cas de réponse affirmative, si un tel obstacle peut néanmoins être considéré comme justifié compte tenu des exigences particulières inhérentes au service de santé national.

3 Bien que les deux renvois préjudiciels en question émanent de deux juridictions différentes et portent, du moins à première vue, sur l'interprétation de dispositions différentes, il nous paraît utile de les analyser de manière conjointe, puisque la réglementation nationale contestée est la même dans les deux procédures et que les argumentations développées par les parties et par les gouvernements qui ont présenté des observations sont en substance identiques. Ce choix s'explique d'ailleurs par la circonstance que la réglementation communautaire en matière de sécurité sociale pourrait avoir une incidence non négligeable aux fins de l'appréciation des effets restrictifs sur les échanges, fût-ce de marchandises ou de services, tels que dénoncés par les demandeurs des litiges a quo, incidence qui en principe ne varie pas selon que s'appliquent l'article 30 ou les articles 59 et 60.

Le cadre juridique

4 L'article 20, premier alinéa, du code luxembourgeois des assurances sociales (ci-après le «code»), adopté par la loi du 27 juillet 1992 et entré en vigueur le 1er janvier 1994, prévoit que, exception faite de l'hypothèse où il s'agit d'un traitement d'urgence reçu en cas de maladie ou d'accident survenus à l'étranger, les assurés ne peuvent se faire soigner à l'étranger ou s'adresser à un centre de traitement ou un centre qui fournit des moyens accessoires à l'étranger qu'après autorisation préalable de l'organisme de sécurité sociale compétent. Les conditions et modalités d'octroi de l'autorisation sont fixées par les articles 25 à 27 des statuts de l'Union des caisses de maladie (ci-après les «statuts UCM»), dans la version entrée en vigueur le 1er janvier 1995. En particulier, ces règles prévoient que l'autorisation ne peut pas être donnée pour des prestations exclues du remboursement en vertu de la réglementation nationale (article 25); que les traitements dûment autorisés sont pris en charge suivant les tarifs applicables aux assurés sociaux de l'État où le traitement est dispensé (article 26); et que l'autorisation n'est donnée qu'à la suite d'un contrôle médical et sur présentation d'une demande écrite qui émane d'un médecin établi au Luxembourg et qui indique le médecin ou le centre hospitalier conseillé à l'assuré, en exposant aussi les faits et critères qui rendent impossible le traitement en question au Luxembourg (article 27).

Il convient en outre de préciser, étant donné que la réglementation nationale que nous venons de rappeler n'était pas encore en vigueur à l'époque des faits qui sont à l'origine de l'affaire C-120/95, que le régime prévu par le précédent code était rédigé, pour ce qui nous concerne ici, en termes largement identiques. En particulier, la question des traitements à l'étranger et de l'autorisation préalable y afférente était régie par l'article 60, troisième alinéa, une disposition en substance analogue à l'article 20, premier alinéa, du code actuellement en vigueur. Ajoutons, en outre, que les modalités de remboursement des lunettes étaient à l'époque prévues par l'article 78 des statuts des caisses de maladie des salariés, qui renvoyait à une convention spéciale en la matière. Il suffit ici de rappeler qu'à cette époque, tout comme maintenant, le remboursement se faisait sur une base forfaitaire et plafonnée, pour les montures, à un montant de 1 600 LFR (1).

5 Quant à la réglementation communautaire pertinente, outre les dispositions sur la circulation des marchandises et sur la prestation des services, l'article 22 du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (2) (ci-après le «règlement») revêt, comme nous le verrons dans les développements qui suivent, une importance considérable.

Cette disposition, pour ce qui nous occupe en l'espèce, dispose:

«1. Le travailleur salarié ou non salarié qui satisfait aux conditions requises par la législation de l'État membre pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l'article 18 et:

a) ... b) ...

c) qui est autorisé par l'institution compétente à se rendre sur le territoire d'un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état,

a droit:

i) aux prestations en nature servies, pour le compte de l'institution compétente, par l'institution du lieu de séjour ou de résidence, selon les dispositions de la législation qu'elle applique, comme s'il y était affilié, la durée de service des prestations étant toutefois régie par la législation de l'État compétent;

ii) aux prestations en espèces servies par l'institution compétente selon les dispositions de la législation qu'elle applique. Toutefois, après accord entre l'institution compétente et l'institution du lieu de séjour ou de résidence, ces prestations peuvent être servies par cette dernière institution pour le compte de la première, selon des dispositions de la législation de l'État compétent.

2. ...

L'autorisation requise au titre du paragraphe 1 point c) ne peut pas être refusée lorsque les soins dont il s'agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l'État membre sur le territoire duquel réside l'intéressé et si ces soins ne peuvent, compte tenu de son état actuel de santé et de l'évolution probable de la maladie, lui être dispensés dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il s'agit dans l'État membre de résidence.

3. Les dispositions des paragraphes 1 et 2...

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