Stefan Fahnenbrock and Others v Hellenische Republik.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2424
Date09 December 2014
Celex Number62013CC0226
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-226/13
62013CC0226

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 9 décembre 2014 ( 1 )

Affaires jointes C‑226/13, C‑245/13, C‑247/13 et C‑578/13

Stefan Fahnenbrock (C‑226/13),

Holger Priestoph e.a. (C‑245/13),

Rudolf Reznicek (C‑247/13),

Hans‑Jürgen Kickler e.a. (C‑578/13)

contre

Hellenische Republik

[demandes de décision préjudicielle

formées par le Landgericht Wiesbaden et le Landgericht Kiel]

«Règlement (CE) no 1393/2007 — Signification ou notification des actes — Notion de ‘matière civile et commerciale’ — Actions en exécution contractuelle et en indemnité introduites à l’encontre de l’État grec par des détenteurs d’obligations grecques à la suite de la décote, sans leur accord, de la valeur de ces obligations»

1.

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 1er du règlement (CE) no 1393/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale («signification ou notification des actes»), et abrogeant le règlement (CE) no 1348/2000 du Conseil ( 2 ).

2.

Présentées dans le cadre de litiges opposant à l’État grec, dans l’affaire C‑226/13, M. Fahnenbrock, dans l’affaire C‑245/13, MM. et Mme Priestoph, dans l’affaire C‑247/13, M. Reznicek et, dans l’affaire C‑578/13, MM. Kickler et Wöhlk ainsi que la Zahnärztekammer Schleswig‑Holstein, Versorgungswerk, au sujet d’actions en indemnité ainsi qu’en exécution contractuelle, ces demandes donnent l’occasion à la Cour de définir la notion de «matière civile et commerciale» dans le cadre du règlement no 1393/2007, dont elle détermine le champ d’application matériel.

3.

Dans les présentes conclusions, nous soutiendrons que la notion de «matière civile et commerciale», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1393/2007 ( 3 ), doit être interprétée en ce sens qu’elle ne comprend pas une action par laquelle un particulier détenteur d’obligations émises par un État membre agit à l’encontre de cet État en responsabilité en raison de l’échange de ces obligations contre des obligations d’une valeur moindre, imposé à ce particulier à la suite de l’adoption, par le législateur national, d’une loi ayant unilatéralement et rétroactivement modifié les conditions applicables aux obligations en y insérant une clause d’action collective permettant à une majorité des détenteurs de celles‑ci d’imposer un tel échange à la minorité.

4.

Nous ferons valoir, en ce sens, que l’usage, par un État membre émetteur d’emprunts obligataires, de son pouvoir souverain au moyen d’une intervention législative ayant spécifiquement pour objet de porter une atteinte directe à l’économie des obligations émises en imposant aux détenteurs minoritaires de titres l’obligation de se soumettre à la volonté de la majorité correspond à l’exercice de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers.

5.

Nous en déduirons que l’action exercée par les détenteurs minoritaires contre l’État membre à la suite de l’échange des titres met nécessairement en cause la responsabilité de l’État pour un acte commis dans l’exercice de la puissance publique, quand bien même cet échange, destiné à réduire la valeur nominale de ces titres, a supposé un vote à la majorité.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

6.

Les considérants 2, 6 et 9 du règlement no 1393/2007 énoncent:

«(2)

Le bon fonctionnement du marché intérieur exige d’améliorer et d’accélérer la transmission entre les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale aux fins de signification ou de notification.

[...]

(6)

L’efficacité et la rapidité des procédures judiciaires en matière civile impliquent que la transmission des actes judiciaires et extrajudiciaires soit effectuée directement et par des moyens rapides entre les entités locales désignées par les États membres [...]

[...]

(9)

La signification ou la notification d’un acte devraient être effectuées dans les meilleurs délais, et, en tout état de cause, dans un délai d’un mois à compter de la réception par l’entité requise.»

7.

L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement en définit le champ d’application comme suit:

«Le présent règlement est applicable en matière civile et commerciale, lorsqu’un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis d’un État membre à un autre pour y être signifié ou notifié. Il ne couvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives, ni la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (‘acta jure imperii’).»

8.

L’article 3 du même règlement dispose:

«Chaque État membre désigne une entité centrale chargée:

a)

de fournir des informations aux entités d’origine;

b)

de rechercher des solutions aux difficultés qui peuvent se présenter à l’occasion de la transmission des actes aux fins de signification ou de notification;

c)

de faire parvenir, dans des cas exceptionnels, à la requête de l’entité d’origine, une demande de signification ou de notification à l’entité requise compétente.

[...]»

9.

Aux termes de l’article 6, paragraphe 3, dudit règlement:

«Si la demande de signification ou de notification ne rentre manifestement pas dans le champ d’application du présent règlement ou si le non‑respect des conditions de forme imposées rend impossible la signification ou la notification, la demande et les actes transmis sont retournés, dès leur réception, à l’entité d’origine, accompagnés de l’avis de retour dont le formulaire type figure à l’annexe I.»

10.

L’avis de retour dont le formulaire type figure à l’annexe I du règlement no 1393/2007 énonce, au point 9.1, comme motif de retour la circonstance que «[l]a demande ne rentre manifestement pas dans le champ d’application [de ce] règlement», notamment en raison du fait que «[l]’acte n’est de nature ni civile ni commerciale» ( 4 ).

B – Le droit grec

11.

La loi no 4050/2012, du 23 février 2012, intitulée «Règles relatives à la modification des titres, émis ou garantis par l’État grec avec l’accord des porteurs d’obligations» ( 5 ), fixe les modalités de la restructuration des obligations de cet État. Cette loi prévoit, en substance, la soumission d’une offre de restructuration aux détenteurs de certaines obligations émises ou garanties par ledit État et l’introduction d’une clause de restructuration permettant d’imposer à tous les détenteurs d’obligations les conditions de la restructuration proposée dans l’offre dès lors que celles‑ci sont acceptées par une majorité qualifiée.

12.

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 4, de la loi no 4050/2012, la modification des titres concernés nécessite le respect d’un quorum égal à la moitié du total de l’encours des obligations concernées et l’accord d’une majorité qualifiée représentant au moins les deux tiers du capital.

13.

L’article 1er, paragraphe 9, de la loi no 4050/2012 prévoit que la décision adoptée à l’issue de cette procédure s’applique erga omnes, est contraignante pour l’ensemble des créanciers obligataires concernés et abroge toute loi générale ou particulière, toute décision administrative et tout contrat qui s’y opposeraient. Selon cette disposition, en cas d’échange des titres éligibles, l’émission des nouveaux titres entraîne l’annulation des anciens titres.

II – Les litiges au principal et les questions préjudicielles

14.

Au mois de février 2012, en application de la loi no 4050/2012, l’État grec a présenté à M. Fahnenbrock, à MM. et à Mme Priestoph, à M. Reznicek, ainsi qu’à MM. Kickler et Wöhlk et à la Zahnärztekammer Schleswig‑Holstein, Versorgungswerk, tous détenteurs d’obligations émises par cet État, une offre d’échange de celles‑ci contre des nouvelles obligations d’une valeur nominale sensiblement réduite.

15.

Bien que les requérants au principal n’aient pas accepté cette offre, l’État grec a, néanmoins, procédé à l’échange des titres initialement détenus contre des titres d’une valeur sensiblement inférieure à leur valeur nominale et dont l’échéance a été reportée.

16.

Les requérants au principal ont alors introduit des actions visant à obtenir soit la restitution des titres initiaux sur le fondement des articles 858, 861, 869 ( 6 ) et 985 ( 7 ) du code civil allemand (Bürgerliches Gesetzbuch) ( 8 ), soit le paiement de dommages‑intérêts sur le fondement des articles 280, paragraphe 3, et 281 du BGB ( 9 ) ou de l’article 826 du BGB ( 10 ). Les requérants au principal dans l’affaire C‑578/13 ont également demandé l’exécution contractuelle des obligations originaires venues à échéance.

17.

Dans le cadre de la procédure de notification des actes introductifs d’instance à l’État grec, la question s’est posée de savoir si la demande des requérants au principal avait pour objet un acte ou une omission de l’État, en l’occurrence l’État grec, commis dans l’exercice de la puissance publique, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1393/2007.

18.

En particulier, dans les affaires C‑226/13, C‑245/13 et C‑247/13, le Bundesamt für Justiz (Office fédéral de la justice) a émis des doutes quant à la possibilité d’englober les recours dans la matière civile et commerciale, au sens dudit règlement, et a subordonné la poursuite de la procédure de notification à la condition que le Landgericht Wiesbaden (Allemagne) statue préalablement...

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