Opinion of Advocate General Bot delivered on 4 July 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:528
Date04 July 2018
Celex Number62017CC0308
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-308/17
62017CC0308

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 4 juillet 2018 ( 1 )

Affaire C‑308/17

Hellenische Republik

contre

Leo Kuhn

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 1 – Notion de “matière civile et commerciale” – Obligations émises par un État membre – Participation à la restructuration de la dette publique – Modification unilatérale et rétroactive des conditions de l’emprunt – Clauses d’action collective – Recours exercé contre l’État par des créanciers privés détenteurs de ces obligations en tant que personnes physiques – Responsabilité de l’État pour les acta jure imperii – Compétences spéciales – Article 7, point 1, sous a) – Compétence en matière contractuelle – Notion de “matière contractuelle” – Notion d’“engagement librement assumé d’une partie envers une autre”– Notion de “lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande” – Conditions de souscription de l’emprunt obligataire d’État – Transferts successifs de la créance – Lieu effectif d’exécution de l’“obligation principale” – Paiement d’intérêts »

I. Introduction

1.

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, point 1, sous a), du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ( 2 ).

2.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Hellenische Republik (République hellénique) à M. Leo Kuhn au sujet d’une demande tendant à obtenir l’exécution des conditions d’emprunt relatives à des obligations émises par cet État membre dont il avait été porteur ou une indemnité en raison de l’inexécution de celles-ci.

3.

Afin de mesurer pleinement le sens et la portée de cette demande, celle-ci doit être replacée dans un contexte plus large.

4.

D’une part, cette procédure, qui porte sur la restructuration de la dette publique grecque, opérée au mois de mars 2012, avec la participation du secteur privé ( 3 ), n’est pas isolée.

5.

D’autre part, l’importance des questions posées par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), la juridiction de renvoi, relative à la compétence, dépasse très largement ses aspects techniques, traditionnellement réputés difficiles s’agissant de la disposition à interpréter. Elle tient fondamentalement à l’évolution des techniques d’emprunt des États ainsi qu’aux enjeux économiques et politiques qui conduisent à considérer le traitement contentieux de la dette souveraine comme un sujet hautement sensible.

6.

En effet, le choix du financement sur les marchés au moyen d’emprunts obligataires ( 4 ) a eu pour conséquence de complexifier la gestion de la dette souveraine en raison de l’inadaptation des mécanismes contractuels à la diversité des créanciers, qui peuvent être publics, privés, institutionnels, ou des personnes physiques, et, surtout, à l’absence de coordination entre eux.

7.

Aussi, lorsqu’une crise de la dette souveraine survient, l’absence de procédure de traitement général et organisé de l’insolvabilité des États conduit à remettre entre les mains du juge le sort de la procédure de restructuration ( 5 ).

8.

Ainsi, les problèmes juridiques complexes posés par la multiplication et l’internationalisation des procédures ne peuvent être détachés du contexte économique dans lequel ils doivent être résolus ( 6 ).

9.

Dans le cas de la restructuration de la dette grecque en 2012, d’un montant historique ( 7 ), les difficultés traditionnellement identifiées se sont présentées sous un jour nouveau en raison de l’émission des titres en euros et du risque d’une crise systémique qui en découlait ( 8 ). Elles ont justifié le recours à des solutions financières et juridiques dont le caractère exceptionnel explique l’acuité des problèmes à résoudre.

10.

La Cour de justice de l’Union européenne a déjà eu l’occasion d’appréhender la délicate question des effets de cette restructuration sur les droits des porteurs d’obligations grecques, par le prisme de la notification des actes judiciaires, soit au poste avancé du contentieux, avant tout examen au fond, dans l’arrêt du 11 juin 2015, Fahnenbrock e.a. (C‑226/13, C‑245/13 et C‑247/13, ci-après « l’arrêt Fahnenbrock e.a. , EU:C:2015:383).

11.

Depuis cette date, d’autres décisions ont été rendues par des juridictions européennes, saisies par de très nombreux autres porteurs d’obligations grecques poursuivant le même objectif, celui de faire respecter leurs droits contractuels ou d’obtenir réparation de leurs préjudices allégués.

12.

Ainsi, par l’arrêt du 7 octobre 2015, Accorinti e.a./BCE ( 9 ), le Tribunal de l’Union européenne a rejeté le recours introduit le 11 février 2013 par plus de 200 détenteurs, pour la plupart italiens, de titres privés grecs, visant à obtenir la réparation du préjudice subi à la suite, notamment, de l’adoption par la Banque centrale européenne (BCE) de la décision, du 5 mars 2012, relative à l’éligibilité des titres de créance négociables émis ou totalement garantis par la République hellénique dans le cadre de l’offre d’échange d’obligations par la République hellénique ( 10 ), ainsi que d’autres mesures de la BCE liées à la restructuration de la dette publique grecque. Puis, par l’arrêt du 24 janvier 2017, Nausicaa Anadyomène et Banque d’escompte/BCE ( 11 ), le Tribunal a rejeté la demande d’indemnisation formée le 21 décembre 2015 par des banques commerciales en excluant toute responsabilité de la BCE, confirmant ce qu’il avait retenu à l’égard des personnes physiques détentrices de titres de créance grecs.

13.

Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné les requêtes, formées au cours des mois de septembre et d’octobre 2014 par 6320 ressortissants grecs, porteurs d’obligations de l’État grec, en tant que personnes physiques, de montants variant entre 10000 euros et 1510000 euros, relatives à leur participation forcée à la diminution de la dette publique grecque par l’échange de leurs obligations avec d’autres d’une valeur inférieure. Par l’arrêt du 21 juillet 2016 ( 12 ), cette Cour a dit, à l’unanimité, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 1er du protocole no 1 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 13 ) ni de l’article 14 de la CEDH combiné à l’article 1er de ce protocole ( 14 ).

14.

Désormais, la Cour est invitée à compléter son analyse en se prononçant sur les règles applicables à la détermination de la compétence de la juridiction saisie, dans le prolongement de l’arrêt Fahnenbrock e.a. ainsi que de l’arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, ci-après l’« arrêt Kolassa , EU:C:2015:37), s’agissant de la nature des rapports juridiques existant entre l’émetteur d’un titre souverain et l’acquéreur de celui-ci.

15.

Les questions posées par la juridiction de renvoi, ainsi que les observations des parties doivent conduire la Cour à vérifier, au préalable, si le litige au principal relève du règlement no 1215/2012, applicable, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, « en matière civile », sauf notamment à la responsabilité de l’État pour des actes commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii). Si le litige entre dans le champ d’application de ce règlement, il faudra ensuite s’assurer qu’il peut être qualifié de litige en « matière contractuelle », au sens de l’article 7, point 1, sous a), dudit règlement, tel qu’interprété par la Cour, qui prévoit une règle de compétence spéciale, dérogeant à la règle générale de compétence des juridictions de l’État membre du domicile du défendeur. Enfin, si tel est le cas, il conviendra de déterminer quel est le « lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande », au sens de cet article 7.

16.

À l’issue de notre analyse, nous proposerons, seulement à titre subsidiaire, des éléments de réponse à ces deux dernières questions portant sur les conditions d’application de la règle de compétence spéciale prévue à l’article 7, point 1, sous a), du règlement no 1215/2012.

17.

En effet, nous soutiendrons, à titre principal, que le litige ne relève pas du champ d’application de ce règlement.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

18.

Les considérants 4, 15 et 16 du règlement no 1215/2012 ( 15 ) énoncent :

« (4)

Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de garantir la reconnaissance et l’exécution rapides et simples des décisions rendues dans un État membre sont indispensables.

[...]

(15)

Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.

(16)

Le for du domicile du défendeur...

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