Société Pipeline Méditerranée et Rhône (SPMR) v Administration des douanes et droits indirects and Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:457
Date18 July 2007
Celex Number62006CC0314
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-314/06

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE KOKOTT

présentées le 18 juillet 2007 (1)

Affaire C‑314/06

Société Pipeline Méditerranée et Rhône (SPMR)

contre

Administration des douanes et droits indirects

et

Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

«Droits d’accises – Directive 92/12/CEE – Transport en régime suspensif – Franchise de droits – Pertes dues à un cas fortuit ou de force majeure – Fuites d’hydrocarbures provenant d’un oléoduc»





I – Introduction

1. Dans le litige au principal devant la Cour de cassation (France), la société Pipeline Méditerranée et Rhône (ci-après la «SPMR») et les douanes françaises (2) s’opposent au sujet de la franchise des droits d’accises sur des hydrocarbures qui ont fui d’un oléoduc en raison de pannes techniques.

2. La franchise prévue à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (3), suppose à cet égard que la perte soit intervenue en régime suspensif et qu’elle soit due à un cas fortuit ou de force majeure ou qu’il s’agisse de pertes «inhérentes à la nature des produits». La Cour de cassation demande à la Cour d’interpréter ces notions.

II – Le cadre juridique

A – La directive 92/12

3. Aux termes de son article 3, la directive 92/12 s’applique notamment aux huiles minérales telles que définies dans les directives y afférentes.

4. La naissance de la dette fiscale est fixée comme suit dans l’article 5, paragraphe 1, de cette directive:

«Les produits visés à l’article 3 paragraphe 1 sont soumis à accise lors de leur production sur le territoire de la Communauté tel que défini à l’article 2 ou lors de leur importation sur ce territoire.

Est considérée comme ‘importation d’un produit soumis à accise’, l’entrée de ce produit à l’intérieur de la Communauté […]

[…]»

5. L’article 6, paragraphe 1, précise, quant à lui, le moment à partir duquel l’accise devient exigible, c’est-à-dire le fait générateur de la taxe au sens strict:

«1. L’accise devient exigible lors de la mise à la consommation ou lors de la constatation des manquants qui devront être soumis à accise conformément à l’article 14 paragraphe 3.

Est considérée comme mise à la consommation de produits soumis à accise:

a) toute sortie, y compris irrégulière, d’un régime suspensif;

b) toute fabrication, y compris irrégulière, de ces produits hors d’un régime suspensif;

c) toute importation, y compris irrégulière, de ces produits lorsque ces produits ne sont pas mis sous un régime suspensif.»

6. L’article 14 de la directive définit les conditions sous lesquelles les pertes font l’objet d’une franchise:

«1. L’entrepositaire agréé bénéficie d’une franchise pour les pertes intervenues en régime suspensif, dues à des cas fortuits ou à des cas de force majeure et établies par les autorités de chaque État membre. Il bénéficie également, en régime suspensif, d’une franchise pour les pertes inhérentes à la nature des produits durant le processus de production et de transformation, le stockage et le transport. Chaque État membre fixe les conditions dans lesquelles ces franchises sont accordées. Ces franchises s’appliquent également aux opérateurs visés à l’article 16 lors du transport des produits en régime suspensif de droits d’accises.

2. Les pertes visées au paragraphe 1 intervenues en cours de transport intracommunautaire des produits en régime suspensif de droits d’accises doivent être établies suivant les règles de l’État membre de destination.

3. Sans préjudice de l’article 20, en cas de manquants autres que les pertes visées au paragraphe 1 et en cas de pertes pour lesquelles les franchises visées au paragraphe 1 ne sont pas accordées, les droits sont perçus en fonction des taux en vigueur dans l’État membre concerné au moment où les pertes, dûment établies par les autorités compétentes, se sont produites ou, le cas échéant, au moment de la constatation des manquants.»

B – Le droit national

7. Aux termes de l’article 158 C du code des douanes qui, selon les indications de la juridiction de renvoi, met en œuvre la directive 92/12:

«Les pertes de produits placés en entrepôt fiscal de stockage de produits pétroliers ne sont pas soumises à l’impôt s’il est justifié auprès de l’administration:

1º qu’elles résultent d’un cas fortuit ou d’un cas de force majeure;

2º ou qu’elles sont inhérentes à la nature des produits. Des arrêtés du ministre du Budget peuvent fixer à ce titre une limite forfaitaire aux pertes admissibles en franchise pour chacun des produits et pour chaque mode de transport.»

III – Les faits et les questions préjudicielles

8. Sur le territoire de la commune de Saint-Just-Chaleyssin (Isère) des fuites d’hydrocarbures provenant d’un oléoduc ont eu lieu pendant plusieurs jours. La SPMR transportait dans cet oléoduc des hydrocarbures en suspension de droits d’accises à destination de la Suisse. Le 1er janvier 1997, l’oléoduc a éclaté. Cela a entraîné des fuites d’hydrocarbures dont seulement une partie a pu être récupérée dans le sol.

9. La SPMR a alors demandé à bénéficier d’une franchise des droits sur les 795 201 l d’hydrocarbures qui auraient été perdus. Après avoir rejeté cette demande, l’administration des douanes et droits indirects a formé une demande en paiement, rejetée en première instance. La cour d’appel de Versailles (France) a ensuite partiellement accueilli la demande et conclu à l’absence de cas fortuit ou de force majeure au sens de l’article 158 C du code des douanes. En droit français, seuls seraient constitutifs de cas de force majeure les événements résultant de circonstances imprévisibles, irrésistibles et provenant d’une cause extérieure à l’intéressé.

10. C’est contre cette appréciation qu’a été formé le pourvoi en cassation de la SPMR. À titre subsidiaire, cette dernière fait valoir que la perte des produits pétroliers transportés par l’oléoduc était en tout cas inhérente à leur nature. Par arrêt du 11 juillet 2006, la Cour de cassation a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1) La notion de ‘cas de force majeure’ à l’origine des pertes intervenues en régime suspensif, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 92/12 […], doit-elle être entendue dans le sens de circonstances imprévisibles, irrésistibles et provenant d’une cause extérieure à l’entrepositaire agréé qui se prévaut de ces circonstances à l’appui de sa demande de franchise ou suffit-il que ces circonstances aient été irrésistibles à l’égard de l’entrepositaire agréé?

2) Les pertes d’une partie des produits échappés d’un oléoduc dues à leur caractère fluide et aux caractéristiques du sol sur lequel ils se sont répandus, qui ont fait obstacle à leur récupération et entraîné leur taxation, peuvent-elles être considérées comme inhérentes à la nature des produits, au sens de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 92/12 […]?»

11. La SPMR, les gouvernements français, italien et polonais ainsi que la Commission des Communautés européennes ont déposé des observations devant la Cour.

IV – Appréciation

A – Observations liminaires

12. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 92/12 dispose que l’accise sur les produits assujettis tels que l’huile minérale devient exigible non seulement par leur mise à la consommation, mais aussi par la constatation des manquants qui devront être soumis à accise conformément à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 92/12. Cependant, en vertu dudit article 14, paragraphe 1, les manquants donnent lieu à l’octroi d’une franchise pour les pertes intervenues en régime suspensif et qui sont dues:

– à des cas fortuits ou

– à des cas de force majeure ou

– à la nature des produits (freinte).

13. La juridiction de renvoi souhaite à présent, par sa première question préjudicielle, obtenir des éclaircissements sur le point de savoir si les pertes de produits pétroliers constatées peuvent être considérées comme dues à un cas de force majeure et, par sa deuxième question préjudicielle, si ces pertes relèvent de la troisième catégorie de pertes ouvrant droit à franchise (freinte) mentionnée ci‑dessus.

14. Deux remarques préalables s’imposent à cet égard. D’une part, il convient de souligner que les notions mentionnées dans l’article 14, paragraphe 1, de la directive 92/12 doivent être considérées comme des notions autonomes du droit communautaire.

15. Certes, l’article 14, paragraphe 1, troisième phrase, de la directive 92/12 prévoit que chaque État membre fixe les conditions dans lesquelles ces franchises sont accordées. Comme la Commission le souligne à juste titre, cette disposition ne saurait cependant être interprétée en ce sens que les États membres sont habilités à définir de manière autonome les notions de «force majeure» et de «pertes inhérentes à la nature des produits» (freintes) de ladite directive en les ramenant à la définition qu’en donne leur droit national.

16. Aux termes du quatrième considérant de la directive 92/12, l’exigibilité des accises doit être identique dans tous les États membres pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Cet objectif de la directive 92/12 serait compromis si les conditions matérielles de la franchise dépendaient uniquement de la définition des conditions d’application en droit national. Le pouvoir des États membres de fixer les conditions d’octroi des franchises porte au contraire uniquement sur les circonstances particulières de l’octroi des franchises telles que, par exemple, les modalités précises des procédures administratives qui ne sont pas...

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