Opinion of Advocate General Bobek delivered on 13 July 2017.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:554
Date13 July 2017
Celex Number62016CC0194
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-194/16
62016CC0194

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 13 juillet 2017 ( 1 )

Affaire C‑194/16

Bolagsupplysningen OÜ

Ingrid Ilsjan

contre

Svensk Handel AB

[demande de décision préjudicielle formée par la Riigikohus (Cour suprême, Estonie)]

« Règlement (UE) no 1215/2012 – Compétence en matière délictuelle ou quasi délictuelle – Publication d’informations sur Internet – Droits de la personnalité des personnes morales – Centre des intérêts – Injonction de supprimer et rectifier une information dans un autre État membre – Demande de dommages et intérêts »

Table des matières

I. Introduction

II. Le droit applicable

III. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

IV. Appréciation

A. Applicabilité aux personnes morales du chef de compétence lié au centre des intérêts

1. Introduction : l’évolution de la jurisprudence (comment l’exception est devenue la règle)

2. Les droits de la personnalité des personnes morales

a) La réponse de principe

b) La réponse pragmatique

c) Le règlement no 1215/2012 conduit-il à traiter les personnes morales différemment ?

B. La compétence internationale pour les demandes portant sur une atteinte aux droits de la personnalité causée par des informations publiées en ligne

1. Les difficultés à maintenir l’approche « mosaïque » pour les demandes d’indemnisation en matière délictuelle liées à Internet

2. L’alternative plus étroite

a) La redéfinition des critères

b) Situer le centre des intérêts

c) Conclusion intermédiaire

C. Compétence pour ordonner la rectification et la suppression des informations prétendument dommageables

V. Conclusions

I. Introduction

1.

Une société estonienne exerçant son activité en Suède a été inscrite sur une liste noire sur le site Internet d’une fédération patronale suédoise pour ses pratiques commerciales prétendument douteuses. Comme c’est inévitablement le cas en matière de courage anonyme sur Internet, universellement réputé pour son style raffiné, sa compréhension des subtilités et son sens de la mesure, le site Internet a été le réceptacle de nombreux commentaires hostiles des lecteurs.

2.

La société estonienne a introduit un recours devant les juridictions estoniennes à l’encontre de la fédération suédoise. Elle s’est plainte du fait que l’information publiée avait affecté négativement son honneur, sa réputation et son renom. Elle a demandé aux juridictions estoniennes d’ordonner à la fédération suédoise de rectifier les informations et de supprimer les commentaires publiés sur son site Internet. Elle a également demandé l’attribution de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui aurait été subi du fait de l’information et des commentaires publiés en ligne.

3.

La Riigikohus (Cour suprême, Estonie) nourrit des doutes quant à la compétence des juridictions estoniennes en l’espèce. Elle a donc saisi la Cour, en substance, de trois questions : premièrement, les juridictions estoniennes peuvent‑elles s’estimer compétentes pour statuer dans cette affaire sur le fondement du « centre des intérêts » de la requérante qui est un critère spécial de compétence que la Cour a antérieurement appliqué aux personnes physiques mais qui n’a pas été, jusqu’à présent, appliqué aux personnes morales ? Si l’on répond par l’affirmative à cette première question, alors la deuxième question se pose de savoir comment déterminer le centre des intérêts d’une personne morale. Troisièmement, si la compétence des juridictions estoniennes devait se limiter aux situations dans lesquelles le préjudice est survenu en Estonie, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si elle peut ordonner à la fédération suédoise de rectifier et supprimer les informations en cause.

4.

Deux nouveaux éléments invitent la Cour à porter un regard neuf, et peut‑être plus critique, sur sa jurisprudence antérieure : une personne morale (pas une personne physique) demande à titre principal une rectification et une suppression d’informations publiées sur Internet (et demande seulement de façon secondaire des dommages et intérêts pour le dommage prétendument causé à sa réputation). Ce contexte factuel conduit à s’interroger sur la mesure dans laquelle les règles relativement généreuses en apparence en matière de compétence internationale, antérieurement établies dans l’arrêt Shevill e.a. ( 2 ) concernant une diffamation par un média imprimé et ensuite élargies par l’arrêt eDate Advertising e.a. ( 3 ) au dommage causé à la réputation d’une personne physique par une information publiée sur Internet, peuvent nécessiter d’être mises à jour.

II. Le droit applicable

5.

Aux termes du considérant 15 du règlement (UE) no 1215/2012 ( 4 ), les règles de compétence devraient présenter « un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur ».

6.

Le considérant 16 dudit règlement indique ensuite : « Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, notamment la diffamation. »

7.

La règle générale régissant la compétence internationale se trouve à l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement qui dispose que « les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».

8.

Conformément à l’article 5, paragraphe 1, du même règlement, il est possible de déroger à cette dernière règle uniquement en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du chapitre II.

9.

La disposition de l’article 7, paragraphe 2, (contenue à la section 2 du chapitre II du règlement no 1215/2012) est pertinente en l’espèce. En matière délictuelle ou quasi délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre « devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».

III. Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

10.

Bolagsupplysningen OÜ (ci-après la « requérante ») est une société établie à Tallinn, en Estonie, qui réalise, semble-t-il, la plus grande part de son activité économique en Suède. Mme Ingrid Ilsjan est une salariée de la requérante.

11.

Svensk Handel AB est une association d’employeurs suédois du secteur commercial (ci-après la « défenderesse »).

12.

La défenderesse a inscrit la requérante sur une liste noire publiée sur son site Internet affirmant que cette dernière « commet des actes de fraude et de tromperie ». Le forum de discussion de ce site Internet a recueilli environ 1000 commentaires en réponse à cette inscription sur la liste noire, parmi lesquels des appels directs à la violence contre la requérante et ses salariés.

13.

Le 29 septembre 2015, la requérante et Mme Ilsjan ont introduit un recours à l’encontre de la défenderesse devant le Harju Maakohus (tribunal de première instance de Harju, Estonie) (ci-après le « tribunal de première instance »). La requérante et Mme Ilsjan ont demandé au tribunal de première instance d’ordonner à la défenderesse de rectifier les informations publiées concernant la requérante et de supprimer les commentaires de son site Internet. La requérante a également demandé que la défenderesse soit condamnée à réparer le préjudice matériel subi, notamment le manque à gagner, s’élevant à 56634 euros et 99 centimes. Mme Ilsjan a demandé la réparation du préjudice moral dont le montant devra être apprécié par le juge. La requérante et Mme Ilsjan soutiennent qu’elles ont subi un préjudice en raison des agissements de la défenderesse. Elles affirment que la publication d’informations erronées a paralysé les activités de la requérante en Suède.

14.

Par décision du 1er octobre 2015, le tribunal de première instance a rejeté le recours. Il a estimé qu’il n’avait pas été prouvé que le préjudice avait été subi en Estonie. Par conséquent, il n’a pas pu établir sa compétence sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012. Les informations et les commentaires étaient écrits en suédois, une langue incompréhensible sans traduction pour les locuteurs estoniens. En outre, la chute du chiffre d’affaires a eu lieu en couronnes suédoises, ce qui laissait entendre que le préjudice avait en réalité été subi en Suède. Le simple fait que le site Internet soit accessible en Estonie ne fonde pas automatiquement la compétence des juridictions estoniennes.

15.

La requérante et Mme Ilsjan ont intenté un recours contre cette décision devant la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn, Estonie). Par décision du 9 novembre 2015, cette juridiction a rejeté le recours et confirmé l’absence de compétence internationale des juridictions estoniennes.

16.

Un nouveau recours a été introduit à l’encontre de la décision de la Tallinna Ringkonnakohus (cour d’appel de Tallinn) devant la juridiction de renvoi, c’est‑à‑dire la Riigikohus (Cour suprême).

17.

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