Marks & Spencer plc v Commissioners of Customs & Excise.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2007:785
Docket NumberC-309/06
Celex Number62006CC0309
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date13 December 2007

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE Kokott

présentées le 13 décembre 2007 (1)

Affaire C‑309/06

Marks & Spencer plc

contre

Her Majesty’s Commissioners of Customs and Excise

[demande de décision préjudicielle de la House of Lords (Royaume‑Uni)]

«TVA – Dérogation au titre de l’article 28 de la directive 77/388/CEE – Principe de neutralité – Principe de l’égalité de traitement – Droit au remboursement de la taxe en cas d’interprétation incorrecte des dispositions de droit national par les autorités fiscales – Enrichissement sans cause»





I – Introduction

1. L’article 28, paragraphe 2, de la sixième directive TVA (2) (ci‑après la «sixième directive») autorise les États membres à maintenir, sous certaines conditions et à titre temporaire, des dérogations. Conformément à cette disposition, le Royaume-Uni applique le taux zéro à la livraison de produits alimentaires, avec droit à déduction («zero‑rating»).

2. Toutefois, cette réglementation ne s’applique pas pour certains produits de confiserie («confectionery»). Initialement, les autorités fiscales ont considéré que les petits gâteaux (ci-après les «teacakes») de Marks & Spencer plc (ci‑après «Marks & Spencer»)relevaient de cette catégorie et les ont taxés au taux normal. En 1994, elles ont revu leur jugement et ont classé les «teacakes» en tant que produits alimentaires soumis à ce régime fiscal préférentiel. À la suite de cela, Marks & Spencer a demandé le remboursement des taxes.

3. La particularité de cette affaire réside dans le fait que la règle fiscale applicable est une règle de droit interne qui déroge aux dispositions générales de la sixième directive, mais qui toutefois peut à titre exceptionnel être maintenue. C’est la raison pour laquelle la House of Lords se demande dans quelle mesure les principes du système commun de taxes sur la valeur ajoutée s’appliquent dans ce cadre et, le cas échéant, si les règles nationales de remboursement, et en particulier l’exception d’enrichissement sans cause que ces règles prévoient pour des cas déterminés, sont conformes aux dispositions de droit communautaire.

II – Cadre juridique

A – Droit communautaire

4. L’article 12 de la sixième directive arrête des dispositions relatives au taux de la taxe. À cet égard, l’article 12, paragraphe 1, prévoit que «[l]e taux applicable aux opérations imposables est celui en vigueur au moment où a eu lieu le fait générateur de la taxe». Selon l’article 12, paragraphe 3, le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est applicable (3); des taux réduits peuvent être fixés pour certaines prestations (4).

5. L’article 28, paragraphe 2, de la sixième directive permet temporairement aux États membres de prévoir des dérogations. Dans sa rédaction initiale, il disposait:

«Les taux réduits et les exonérations avec remboursement des taxes payées au stade antérieur existant au 31 décembre 1975 et répondant aux critères mentionnés au dernier tiret de l’article 17 de la deuxième directive du Conseil, du 11 avril 1967 peuvent être maintenus jusqu’à une date qui sera arrêtée par le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, mais qui ne pourra être postérieure à la suppression des taxations à l’importation et des détaxations à l’exportation pour les échanges entre les États membres. Les États membres prennent les dispositions permettant d’assurer la déclaration par les assujettis des données nécessaires à la détermination des ressources propres afférentes à ces opérations.

Tous les cinq ans, le Conseil procède, sur la base d’un rapport de la Commission, à un réexamen des taux réduits et des exonérations visés ci-dessus et arrête, le cas échéant, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, les mesures nécessaires pour en assurer la suppression progressive.»

6. À la suite de sa modification par la directive 92/77/CEE (5), cet article a revêtu la formulation suivante:

«Nonobstant l’article 12 paragraphe 3, les dispositions ci-après sont d’application au cours de la période transitoire visée à l’article 28 terdecies [(6)]

a) Les exonérations avec remboursement de la taxe payée au stade antérieur et les taux réduits inférieurs au taux minimal fixé à l’article 12 paragraphe 3 en matière de taux réduits, qui étaient applicables au 1er janvier 1991 et qui sont en conformité avec la législation communautaire et qui répondent aux critères visés à l’article 17 dernier tiret de la deuxième directive du 11 avril 1967 [(7)], peuvent être maintenues […]»

B – Droit interne

7. Au Royaume-Uni, la loi relative à la TVA de 1994 (Value Added Tax Act 1994) pose le principe de l’application d’un taux zéro en ce qui concerne la livraison de produits alimentaires en général (article 30 de la loi et annexe 8 de cette dernière). Les produits de confiserie («confectionery») sont exclus de cet avantage fiscal et sont pleinement taxés. Une exception est prévue pour les gâteaux et les biscuits, qui sont taxés au taux zéro applicable aux produits alimentaires. Toutefois, les «teacakes» recouverts, en tout ou en partie, de chocolat sont considérés comme des produits de confiserie et sont taxés au taux normal.

8. L’article 80 de la loi relative à la TVA dispose:

«1) Lorsqu’un assujetti (que ce soit avant ou après l’entrée en vigueur de la présente loi) a versé aux Commissioners, au titre de la TVA, un montant qui ne leur était pas dû, ces derniers doivent rembourser ledit montant à l’assujetti.

[…]

3) Les Commissioners pourront opposer, à l’encontre d’une demande formulée au titre du présent article, le fait que le remboursement d’une somme donnée constituerait pour l’auteur de la demande une source d’enrichissement sans cause.»

9. Pour la période pertinente pour le litige au principal, cette réglementation ne concernait que les contributeurs nets, à savoir les assujettis qui, au cours d’un exercice fiscal, doivent payer au fisc un montant de TVA supérieur à celui qu’ils peuvent déduire en amont. À ceux-ci, on oppose ce qu’il est convenu d’appeler les «repayment traders» qui, en raison de l’existence d’excédents de déduction supérieurs dans un exercice fiscal, ont droit à un remboursement de taxe. Pour ces derniers, il n’existait pas de règle comparable à l’article 80, paragraphe 3, de la loi relative à la TVA (8).

III – Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

10. Depuis 1973, les Commissioners of Customs and Excise percevaient la TVA au taux normal sur les «teacakes» vendus par Marks & Spencer, car ils considéraient ceux‑ci comme des «teacakes» recouverts de chocolat. Toutefois, en septembre 1994, les Commissioners ont reconnu qu’ils auraient dû les classer en tant que gâteaux et les taxer au taux zéro. À la suite de cela, Marks & Spencer a réclamé le remboursement total de la TVA d’un montant de 3,5 millions de livres sterling (GBP) qu’elle avait déclarés au cours des années en l’absence de toute base juridique.

11. Les Commissioners ont refusé, arguant que, sur la base de l’article 80, paragraphe 3, de la loi relative à la TVA, Marks & Spencer aurait répercuté 90 % de la TVA payée par elle sur ses clients. Le VAT Tribunal a fait droit à ces prétentions et a jugé que Marks & Spencer n’avait droit qu’à 10 % des sommes demandées. En outre, il a appliqué avec effet rétroactif une règle de prescription.

12. Marks & Spencer a poursuivi les procédures jusqu’à la Court of Appeal. Outre la question du remboursement des taxes relatives aux «teacakes», la procédure portait également sur une autre demande de remboursement liée au traitement fiscal des bons d’achat. La Court of Appeal a invité la Cour à statuer à titre préjudiciel sur la compatibilité des règles de prescription avec le droit communautaire. À cet égard, selon elle, seule la question du traitement fiscal des bons d’achat se posait encore. S’agissant des «teacakes», elle a manifestement considéré que le droit communautaire ne contenait aucune disposition à ce sujet compte tenu de l’absence d’harmonisation du taux de la TVA dans la sixième directive.

13. Dans son arrêt du 11 juillet 2002 (9) (ci‑après l’«arrêt Marks & Spencer I»), la Cour n’a pas examiné la question du remboursement des taxes pour les «teacakes», conformément aux questions préjudicielles posées. Toutefois, dans les conclusions rendues dans le cadre de cette affaire, l’avocat général Geelhoed est revenu sur la question des «teacakes» dans le cadre d’une remarque incidente et a estimé que l’exclusion du remboursement de la TVA constituait une violation claire du droit communautaire (10). La Court of Appeal a néanmoins rejeté le recours relatif à la TVA sur les «teacakes».

14. La House of Lords chargée du présent litige a jugé qu’elle était tenue, à la suite de la prise de position adoptée par la Commission et des conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Marks & Spencer I, de poser les questions préjudicielles suivantes à la Cour:

«1) Lorsque, au titre de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive […] (tant avant qu’après les modifications apportées en 1992 par la directive 92/77), un État membre a maintenu dans sa législation TVA nationale une exonération avec remboursement des taxes payées au stade antérieur eu égard à certaines livraisons ou prestations déterminées, un opérateur économique effectuant pareilles livraisons ou prestations peut-il se prévaloir d’un droit, tiré du droit communautaire et qui peut être invoqué directement, à être taxé au taux zéro?

2) Si la réponse à la première question est négative, lorsque, au titre de l’article 28, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive […] (tant avant qu’après les modifications apportées en 1992 par la directive 92/77), un État membre a maintenu dans sa législation TVA nationale une exonération avec remboursement des taxes payées au stade antérieur eu égard à certaines livraisons ou prestations déterminées, mais qu’il a interprété sa législation nationale de façon erronée, avec pour...

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