Opinion of Advocate General Jääskinen delivered on 23 April 2015.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2015:269
Docket NumberC-69/14
Celex Number62014CC0069
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date23 April 2015
62014CC0069

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 23 avril 2015 ( 1 )

Affaire C‑69/14

Dragoș Constantin Târșia

contre

Statul român

et

Serviciul public comunitar regim permise de conducere şi înmatriculare a autovehiculelor

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunalul Sibiu (Roumanie)]

«Législation nationale permettant la révision de jugements définitifs rendus en matière administrative en violation du droit de l’Union, mais ne prévoyant pas cette possibilité en matière civile — Demande en révision d’une décision définitive rendue dans le cadre d’une procédure civile au sujet d’une taxe sur la pollution frappant des véhicules automobiles — Autorité de la chose jugée — Principes d’effectivité et d’équivalence — Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne»

I – Introduction

1.

En 2007, le requérant a introduit devant une juridiction civile roumaine une demande tendant à obtenir la restitution d’une taxe spéciale frappant les véhicules automobiles qu’il avait acquittée pour l’importation d’une voiture à partir d’un autre État membre. Le paiement était dû car l’immatriculation du véhicule en Roumanie par l’autorité gouvernementale compétente était soumise à la présentation d’une preuve du paiement de la taxe spéciale sur les véhicules automobiles. Par la suite, au mois d’avril 2011, la Cour a jugé, dans l’affaire Tatu, que l’article 110 TFUE s’opposait à ce que la Roumanie instaure une taxe sur la pollution frappant les véhicules automobiles lors de leur première immatriculation dans cet État membre, si cette mesure fiscale était aménagée de telle manière qu’elle décourageait la mise en circulation, en Roumanie, de véhicules automobiles d’occasion achetés dans d’autres États membres, sans pour autant décourager l’achat de véhicules d’occasion de même ancienneté et de même usure sur le marché national ( 2 ).

2.

Avant le prononcé de l’arrêt Tatu, la demande du requérant tendant à obtenir la restitution de la partie de la taxe spéciale correspondant à la taxe sur la pollution avait été rejetée par un jugement civil devenu définitif au regard du droit roumain. Le requérant soutient donc que le droit de l’Union exige que lui soit donnée la possibilité de récupérer la taxe, notamment au motif que la législation roumaine prévoit une exception au principe de l’autorité de la chose jugée pour les jugements qui s’avèrent incompatibles avec le droit de l’Union, mais uniquement en ce qui concerne les jugements rendus en matière administrative.

3.

En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, les taxes perçues en violation du droit de l’Union, ainsi que les montants payés à l’État ou retenus par celui-ci en rapport direct avec l’impôt en cause, doivent être remboursés avec intérêts, de façon que la situation existant avant le prélèvement de ces montants soit rétablie ( 3 ). Toutefois, parallèlement, la Cour a reconnu que le principe de l’autorité de la chose jugée, qui est consacré par les ordres juridiques de tous les États membres et par le droit de l’Union lui‑même ( 4 ), s’applique aux jugements de juridictions nationales devenus définitifs, même s’ils paraissent contraires au droit de l’Union ( 5 ). Il s’ensuit que, dans certaines circonstances, la restitution de ces taxes peut être (légalement) refusée.

4.

Toutefois, en raison des limitations que le droit de l’Union impose à l’autonomie procédurale des États membres, si le droit national prévoit, dans certaines circonstances, des exceptions au principe de l’autorité de la chose jugée en permettant la révision de jugements définitifs, alors cette voie de droit exceptionnelle doit être également ouverte lorsque le jugement définitif en cause est incompatible avec le droit de l’Union ( 6 ).

5.

La présente affaire offre donc à la Cour l’occasion de développer sa jurisprudence sur l’interaction entre l’autorité de la chose jugée et la primauté du droit de l’Union. Elle doit être examinée plus particulièrement à la lumière du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, de plusieurs dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), à savoir l’article 47 consacrant le droit à un recours effectif et l’article 20 garantissant l’égalité en droit, et des fondements traditionnels utilisés pour contester la compatibilité des règles nationales relatives à l’autorité de la chose jugée avec le droit de l’Union, à savoir les principes d’effectivité et d’équivalence ( 7 ).

II – Le cadre juridique

6.

L’article 148 de la Constitution roumaine ( 8 ) reconnaît la primauté du droit de l’Union et oblige le Parlement, le président de la Roumanie, le gouvernement et le pouvoir judiciaire à la garantir.

7.

L’article 322 du code de procédure civile roumain ( 9 ) se lit comme suit:

«La révision d’une décision définitive rendue en appel ou qui n’a pas fait l’objet d’un appel, ainsi que d’une décision rendue par une juridiction de pourvoi alors que le fond de l’affaire a été évoqué, peut être demandée dans les cas suivants:

[…]

9

lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a constaté qu’une décision de justice violait des droits ou des libertés fondamentales et que cette violation continue de produire des conséquences graves auxquelles il ne peut être remédié que par la révision de la décision prononcée;

10

lorsque, après que la décision est devenue définitive, la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle) s’est prononcée sur l’exception [d’inconstitutionnalité] soulevée dans cette affaire et a déclaré la loi, l’ordonnance ou la disposition d’une loi ou d’une ordonnance ayant fait l’objet de ladite exception ou toute autre disposition de l’acte attaqué qui, nécessairement et actuellement, ne peut être dissociée des dispositions mentionnées dans l’acte introductif d’instance, inconstitutionnelle.»

8.

L’article 21, paragraphe 1, de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif ( 10 ) dispose que «[l]es voies de recours prévues par le code de procédure civile peuvent être exercées contre les décisions irrévocables et définitives rendues par les juridictions en matière administrative».

9.

Aux termes de l’article 21, paragraphe 2, de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif ( 11 ), «[c]onstitue un motif de révision, qui s’ajoute à ceux prévus par le code de procédure civile, le prononcé d’un jugement définitif et irrévocable, en violation du principe de primauté du droit communautaire prévu à l’article 148, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 20, paragraphe 2, de la constitution roumaine, telle que republiée».

10.

Conformément à l’article 175, paragraphe 1, du code de procédure fiscale roumain ( 12 ), une réclamation peut être formée contre un titre de créance ainsi que contre tout autre acte administratif fiscal. La réclamation étant la voie de recours gracieuse, elle ne prive pas la personne qui s’estime lésée par un acte administratif fiscal, ou par l’absence d’un tel acte, du droit à un recours contentieux dans les conditions prévues par la loi. La décision adoptée par l’autorité compétente à l’égard d’une réclamation formée contre un titre de créance peut, conformément à l’article 188, paragraphe 2, du code de procédure fiscale, être contestée devant la juridiction compétente en matière administrative.

11.

L’ordonnance d’urgence du gouvernement no 50/2008 établissant la taxe sur la pollution des véhicules automobiles (ordonanţă de urgenţă a guvernului nr. 50/2008 pentru instituirea taxei pe poluare pentru autovehicule), du 21 avril 2008 (ci‑après l’«OUG no 50/2008»), a instauré une taxe (appelée «taxe sur la pollution») pour les véhicules des catégories M1 à M3 et N1 à N3 ( 13 ).

III – Les faits, la procédure au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

12.

Le 3 mai 2007, M. Târșia, le requérant au principal, a fait l’acquisition d’une automobile qui avait été précédemment immatriculée en France. Comme il est indiqué ci-dessus, l’immatriculation en Roumanie était soumise, à l’époque, à la présentation d’une preuve de paiement de la taxe spéciale sur les véhicules automobiles. Le véhicule a été immatriculé le 6 juin 2007, après que le requérant a payé, le 5 juin 2007, la somme de 6899,51 lei roumains (RON) au titre de la taxe spéciale sur les véhicules automobiles.

13.

Le requérant a demandé la restitution de cette taxe devant une juridiction civile en arguant que la taxe prélevée était contraire à l’article 90 CE (devenu article 110 TFUE) en ce qu’elle instituait une mesure fiscale discriminatoire de taxation interne des produits provenant d’autres États membres qui dépassait largement les taxes grevant les produits similaires vendus sur le marché national. Par jugement civil no 6553/2007 du 13 décembre 2007, la Judecătoria Sibiu (tribunal de première instance de Sibiu, Roumanie) a fait droit à la demande et a ordonné à l’État roumain de restituer la taxe.

14.

Toutefois, l’État roumain s’est pourvu contre ce jugement devant le Tribunalul Sibiu (tribunal de grande instance de Sibiu) qui, par le jugement civil no 401/2008, a accueilli le pourvoi et condamné l’État roumain à restituer une partie seulement de la taxe acquittée, à savoir la différence entre la taxe versée le 5 juin 2007, au titre de la taxe spéciale sur les véhicules automobiles, et le montant résultant de l’application de l’OUG no 50/2008 et de la taxe sur la pollution des véhicules automobiles qu’elle instaure ( 14 ).

15.

Le 29 septembre 2011, M. Târșia a formé une demande en révision du jugement civil no 401/2008 devant le...

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