Criminal proceedings against M.A.S. and M.B.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:564
Docket NumberC-42/17
Celex Number62017CC0042
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date18 July 2017
62017CC0042

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 18 juillet 2017 ( 1 )

Affaire C‑42/17

Procédure pénale

contre

M.A.S.,

M.B.

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Article 325 TFUE – Procédure pénale concernant des délits en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Atteinte potentielle aux intérêts financiers de l’Union – Législation nationale prévoyant des délais de prescription absolus pouvant entraîner l’impunité des délits – Arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. (C‑105/14, EU:C:2015:555) – Principes d’équivalence et d’effectivité – Non-admissibilité de la législation en cause – Obligation du juge national d’écarter cette législation dans l’hypothèse où celle-ci empêcherait l’infliction de sanctions effectives et dissuasives “dans un nombre considérables de cas de fraude grave” portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, ou prévoirait des délais de prescription plus longs pour les cas de fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’État membre concerné que pour ceux portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union – Application immédiate aux procédures en cours de cette obligation conformément au principe tempus regit actum – Compatibilité avec le principe de légalité des délits et des peines – Portée et rang de ce principe dans l’ordre juridique de l’État membre concerné – Inclusion des règles de prescription dans le champ dudit principe – Nature substantielle desdites règles – Article 4, paragraphe 2, TUE – Respect de l’identité nationale de l’État membre concerné – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 49 et 53 »

I. Introduction

1.

Dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) interroge la Cour sur la mesure dans laquelle les juridictions nationales sont tenues de se conformer à l’obligation dégagée par la Cour dans l’arrêt du 8 septembre 2015, Taricco e.a. ( 2 ), consistant à écarter, dans le cadre de procédures pénales en cours, les règles contenues à l’article 160, dernier alinéa, et à l’article 161, second alinéa, du codice penale (code pénal).

2.

Dans cet arrêt, et dans la lignée de l’arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson ( 3 ), la Cour a affirmé que les fraudes à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sont susceptibles de constituer des fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

3.

La Cour a relevé que les dispositions prévues par le code pénal, en introduisant notamment, en cas d’interruption de la prescription, la règle selon laquelle le délai de prescription ne peut en aucun cas être prolongé de plus d’un quart de sa durée initiale, ont pour conséquence d’aboutir, étant donné la complexité et la longueur des procédures pénales engagées contre les fraudes graves à la TVA, à l’impunité de fait de ces dernières, ces infractions étant généralement prescrites avant que la sanction pénale prévue par la loi ne puisse être infligée par une décision judiciaire devenue définitive. La Cour a jugé qu’une telle situation porte ainsi atteinte aux obligations mises à la charge des États membres par l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE.

4.

Afin d’assurer l’effectivité de la lutte contre les fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, la Cour a alors demandé aux juridictions nationales d’écarter, au besoin, ces dispositions.

5.

Dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) soutient qu’une telle obligation est de nature à violer un principe suprême de son ordre constitutionnel, le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), inscrit à l’article 25, paragraphe 2, de la Costituzione (Constitution, ci-après la « Constitution italienne »), et, ainsi, à affecter l’identité constitutionnelle de la République italienne.

6.

La Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) souligne que le principe de légalité des délits et des peines, tel qu’il est interprété dans l’ordre juridique italien, garantit un niveau de protection plus élevé que celui découlant de l’interprétation de l’article 49 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 4 ) dans la mesure où il s’étend à la détermination des délais de prescription applicables à l’infraction et s’oppose, par conséquent, à ce que le juge national applique à une procédure en cours un délai de prescription plus long que celui prévu au moment où cette infraction a été commise (principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère).

7.

Or, la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) souligne que l’obligation dégagée par la Cour dans l’arrêt Taricco e.a. contraint le juge pénal italien à appliquer aux infractions commises antérieurement à la publication de cet arrêt, le 8 septembre 2015, et qui ne sont pas encore prescrites, des délais de prescription plus longs que ceux qui étaient initialement prévus au jour de la commission de ces infractions. Elle relève, en outre, que cette obligation ne repose sur aucune base juridique précise et qu’elle se fonde par ailleurs sur des critères qu’elle estime vagues. Par conséquent, cette obligation aboutirait à reconnaître au juge national une marge d’appréciation qui est susceptible d’entraîner un risque d’arbitraire et qui, en outre, outrepasserait les limites de sa fonction juridictionnelle.

8.

Dans la mesure où la Constitution italienne garantirait un niveau de protection plus élevé des droits fondamentaux que celui reconnu dans le droit de l’Union, la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) soutient que l’article 4, paragraphe 2, TUE et l’article 53 de la Charte permettent alors aux juridictions nationales de s’opposer à la mise en œuvre de l’obligation dégagée par la Cour dans l’arrêt Taricco e.a.

9.

Par ses trois questions préjudicielles, la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) demande, par conséquent, à la Cour si l’article 325 TFUE, tel qu’il a été interprété par cette dernière dans l’arrêt Taricco e.a., oblige les juridictions nationales à écarter les règles de prescription en cause, même si, premièrement, ces règles relèvent, dans l’ordre juridique de l’État membre concerné, du principe de légalité des délits et des peines, et, en tant que tel, du droit pénal matériel, deuxièmement, si une telle obligation est dépourvue d’une base légale suffisamment précise et, enfin, troisièmement, si cette obligation est contraire aux principes suprêmes de l’ordre constitutionnel italien ou aux droits inaliénables de la personne tels que reconnus par la Constitution italienne.

10.

Dans sa décision de renvoi, la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) n’adresse pas seulement ces trois questions préjudicielles à la Cour, elle conseille également cette dernière sur la réponse qu’il conviendrait de formuler afin d’éviter l’enclenchement de la procédure dite des « contre-limites» ( 5 ). À cet égard, cette décision de renvoi nous rappelle la question préjudicielle formulée par le Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale, Allemagne) dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. ( 6 ). La Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) expose, en effet, de manière très claire que, dans l’hypothèse où la Cour devait maintenir son interprétation de l’article 325 TFUE, dans des termes identiques à ceux formulés dans l’arrêt Taricco e.a., elle pourrait alors déclarer la loi nationale portant ratification et exécution du traité de Lisbonne – dans la mesure où elle ratifie et exécute l’article 325 TFUE – contraire aux principes suprêmes de son ordre constitutionnel, libérant ainsi les juridictions nationales de leur obligation de se conformer à l’arrêt Taricco e.a.

11.

Dans les présentes conclusions, nous exposerons les raisons pour lesquelles il n’est pas question de remettre en cause le principe même dégagé par la Cour dans cet arrêt, selon lequel le juge national est tenu, au besoin, d’écarter les règles contenues à l’article 160, dernier alinéa, et à l’article 161, second alinéa, du code pénal afin d’assurer une sanction effective et dissuasive des fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.

12.

Premièrement, nous expliquerons que l’interprétation excessivement restrictive de la notion d’interruption de la prescription et des actes interruptifs de celle-ci qui résulte de la combinaison des dispositions en cause, en tant qu’elle prive les autorités de poursuite et de jugement d’un délai raisonnable pour mener à terme les procédures engagées contre les fraudes à la TVA, n’est manifestement pas adaptée à l’exigence de sanction des atteintes portées aux intérêts financiers de l’Union ni pourvue de l’effet dissuasif nécessaire pour prévenir la commission de nouvelles infractions, violant ainsi le volet matériel, mais également le volet – que nous pourrions qualifier de – « procédural » de l’article 325 TFUE.

13.

À cet égard, nous expliquerons que, compte tenu des termes de l’article 49 de la Charte et de la jurisprudence dégagée par la Cour européenne des droits de l’homme concernant la portée du principe de légalité des délits et des peines consacré à l’article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 ( 7 ), rien ne s’oppose à ce que le juge national, dans le cadre de la mise en œuvre des obligations qui lui incombent au titre du droit de l’Union, écarte les dispositions prévues à l’article 160, dernier alinéa, et à l’article 161, second...

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