Opinion of Advocate General Mengozzi delivered on 22 February 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:90
Docket NumberC-181/16
Celex Number62016CC0181(01)
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date22 February 2018
62016CC0181(01)

CONCLUSIONS COMPLÉMENTAIRES DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 22 février 2018 ( 1 )

Affaire C‑181/16

Sadikou Gnandi

contre

État belge

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Ordre de quitter le territoire – Délivrance dès le rejet de la demande d’asile par l’autorité administrative compétente – Réouverture de la procédure orale »

1.

Par arrêt du 8 mars 2016, le Conseil d’État (Belgique) a formé une demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que de l’article 5 et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ( 2 ).

2.

Cette demande a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant M. Sadikou Gnandi, ressortissant togolais, à l’État belge, au sujet de la légalité d’un ordre de quitter le territoire, adopté sur le fondement de l’article 52/3, paragraphe 1, premier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, l’établissement, le séjour et l’éloignement des étrangers (ci-après la « loi du 15 décembre 1980 ») et notifié à M. Gnandi le 3 juin 2014, suite au rejet, le 23 mai 2014, de sa demande d’asile par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après le « CGRA »).

3.

Pour rappel, l’article 52/3, paragraphe 1, premier alinéa, de la loi du 15 décembre 1980 prévoit qu’un ordre motivé de quitter le territoire doit être délivré sans délai à tout ressortissant de pays tiers séjournant de manière irrégulière sur le territoire belge, lorsque sa demande d’asile a été rejetée par le CGRA et que le statut de protection subsidiaire a été refusé. Cependant, conformément à l’article 39/70, premier alinéa, de cette même loi, un tel ordre ne peut pas être exécuté de manière forcé pendant le délai de recours contre la décision du CGRA qui a rejeté la demande d’asile en premier ressort et jusqu’à l’issue de ce recours ( 3 ). Le 23 juin 2014, M. Gnandi a introduit un recours auprès du Conseil du contentieux des étrangers contre la décision du 23 mai 2014 du CGRA de rejeter sa demande d’asile. À la même date, il a sollicité auprès de la même juridiction l’annulation ainsi que la suspension de l’exécution de l’ordre de quitter le territoire du 3 juin 2014. Le 11 juillet 2014, les autorités belges ont délivré à M. Gnandi le document spécial de séjour figurant à l’annexe 35 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 concernant l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, en application de l’article 111 de cet arrêté, au motif qu’il avait introduit un recours de pleine juridiction auprès du Conseil du contentieux des étrangers. Ce document, initialement valable jusqu’au 10 octobre 2014, a successivement été prorogé jusqu’au 10 décembre 2014. En outre, indépendamment de sa demande d’asile, M. Gnandi a, par décision du 8 février 2016, été autorisé au séjour temporaire sur le territoire belge jusqu’au 1er mars 2017.

4.

Par sa question préjudicielle, le Conseil d’État demande, en substance, à la Cour si le principe de non-refoulement et le droit à un recours effectif s’opposent à ce qu’une décision de retour au sens de la directive 2008/115, telle que l’ordre de quitter le territoire adressé à M. Gnandi, soit adoptée à l’égard d’un demandeur d’asile dès le rejet de sa demande de protection internationale par la première instance d’examen et avant épuisement des voies de recours juridictionnelles à sa disposition contre un tel rejet.

5.

Lors de la phase écrite de la procédure devant la Cour, qui s’est clôturée le 18 juillet 2016, M. Gnandi, les gouvernements belge et tchèque ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites au titre de l’article 23, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

6.

Le 10 janvier 2017, la Cour a décidé de renvoyer l’affaire à la quatrième chambre.

7.

Une audience a eu lieu devant cette formation de jugement le 1er mars 2017. Au cours de cette audience, M. Gnandi, le gouvernement belge et la Commission ont été entendus en leurs plaidoiries orales. La phase orale de la procédure a été clôturée le 15 juin 2017, date à laquelle j’ai présenté mes premières conclusions dans la présente affaire ( 4 ) (ci-après « mes conclusions du 15 juin 2017 »). Dans celles-ci, j’ai suggéré à la Cour de répondre au Conseil d’État en affirmant que la directive 2008/115, et, notamment, son article 2, paragraphe 1, et son article 5, ainsi que les principes de non-refoulement et de protection juridictionnelle effective, inscrits respectivement à l’article 19, paragraphe 2, et à l’article 47, premier alinéa, de la Charte, s’opposent à l’adoption d’une décision de retour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive à l’égard d’un ressortissant de pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale, au sens de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ( 5 ), et qui, en application du droit de l’Union et/ou du droit national, est autorisé à rester dans l’État membre dans lequel il a introduit sa demande de protection internationale, pendant le délai du recours prévu à l’article 39, paragraphe 1, de la directive 2005/85 contre le rejet de cette demande et, lorsque ce recours a été introduit dans les délais, pendant l’examen de celui-ci. J’ai également suggéré à la Cour de préciser que la directive 2008/115 ainsi que les principes de non-refoulement et de protection juridictionnelle effective ne s’opposent pas, en revanche, à ce qu’une telle décision de retour soit adoptée à l’égard d’un tel ressortissant après le rejet dudit recours, à moins que, en vertu du droit national, ce ressortissant ne soit autorisé à rester dans l’État membre concerné dans l’attente de l’issue définitive de la procédure d’asile.

8.

Estimant que l’affaire soulevait une question relative à l’articulation entre l’arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343) et l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115, la quatrième chambre a décidé, le 5 octobre 2017, de renvoyer l’affaire devant la Cour aux fins de sa réattribution à une formation de jugement plus importante, en application de l’article 60, paragraphe 3, de son règlement de procédure. Par la suite, l’affaire a été attribuée à la grande chambre.

9.

Par ordonnance du 25 octobre 2017, Gnandi (C‑181/16, non publiée, EU:C:2017:830), la Cour a rouvert la procédure orale et a invité les intéressés visés à l’article 23 de son statut à prendre position, par écrit, sur trois questions qui figuraient en annexe de cette ordonnance. La première question portait sur la nature juridique et la finalité de l’autorisation de rester sur le territoire de l’État membre concerné, visée à l’article 7, paragraphe 1, et à l’article 39, paragraphe 3, de la directive 2005/85. La deuxième question concernait, d’une part, la portée de l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115 et, d’autre part, la capacité de cette disposition à être appréhendée par la « logique binaire » de l’arrêt du 30 mai 2013, Arslan (C‑534/11, EU:C:2013:343), selon laquelle un ressortissant d’un pays tiers est, aux fins de l’application de ladite directive, soit en séjour régulier, soit en séjour irrégulier. La troisième question visait, quant à elle, l’incidence éventuelle sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115 de l’entrée en vigueur de la directive 2013/32/UE ( 6 ) et, notamment, de son article 46, qui, au paragraphe 5, impose aux États membres de permettre aux demandeurs de protection internationale dont la demande a été rejetée de rester sur le territoire de l’État membre concerné pendant le délai pour l’introduction d’un recours contre cette décision et, si le recours est introduit, jusqu’à l’issue de celui-ci. M. Gnandi, les gouvernements belge, tchèque, français, néerlandais ainsi que la Commission ont répondu auxdites questions. Ces intéressés ainsi que le gouvernement allemand ont été entendus dans leurs plaidoiries orales lors de l’audience qui s’est déroulée devant la grande chambre de la Cour le 11 décembre 2017.

10.

Dans les présentes conclusions, j’aborderai uniquement la problématique soulevée par les questions formulées par la Cour en annexe à l’ordonnance du 25 octobre 2017, Gnandi (C‑181/16, non publiée, EU:C:2017:830), qui concerne, comme on le verra par la suite, essentiellement la portée de l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2008/115. Les présentes conclusions doivent, dès lors, s’entendre comme complémentaires par rapport à celles que j’ai présentées le 15 juin 2017, auxquelles je renvoie tant pour un plus ample exposé des faits du litige au principal que pour tout aspect non directement traité dans les présentes conclusions.

I. Le cadre juridique

11.

L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/115 précise que celle-ci s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.

12.

Aux termes de l’article 3, point 2, de cette directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[…]

2) “séjour irrégulier” : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées...

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