Asociación Profesional Elite Taxi v Uber Systems Spain, SL.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:364
Docket NumberC-434/15
Celex Number62015CC0434
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date11 May 2017
62015CC0434

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 11 mai 2017 ( 1 )

Affaire C‑434/15

Asociación Profesional Elite Taxi

contre

Uber Systems Spain SL

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Mercantil no 3 de Barcelona (tribunal de commerce no 3 de Barcelone, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Services dans le marché intérieur – Transport de passagers – Utilisation d’outils informatiques et d’une application pour smartphones – Concurrence déloyale – Exigence d’une autorisation »

Introduction

1.

Si le développement de nouvelles technologies est en général à l’origine de controverses, Uber apparaît cependant comme un cas à part. Son mode de fonctionnement suscite des critiques et des interrogations, mais également des espoirs et des attentes nouvelles. Pour ne citer que les sujets juridiques, le mode de fonctionnement d’Uber a donné lieu à des interrogations au regard, notamment, du droit de la concurrence, de la protection des consommateurs et du droit de travail. Sur le plan économique et social, le terme « uberisation » a même vu le jour. C’est donc une problématique hautement politisée et médiatisée qui arrive devant la Cour avec la présente demande de décision préjudicielle.

2.

L’objet de la présente affaire est cependant beaucoup plus limité. L’interprétation qui nous est demandée doit uniquement permettre de situer Uber sur le plan du droit de l’Union, afin de pouvoir déterminer si, et à quel degré, son fonctionnement relève de ce droit. Il s’agit donc principalement de savoir si une réglementation éventuelle des conditions de fonctionnement d’Uber est soumise aux exigences du droit de l’Union, en premier lieu de la libre prestation des services, ou bien si elle relève de la compétence partagée de l’Union européenne et des États membres dans le domaine des transports locaux, laquelle n’a pas encore été exercée au niveau de l’Union.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3.

L’article 1er, point 2, de la directive 98/34/CE ( 2 ) dispose :

« Au sens de la présente directive, on entend par : […]

2)

“service” : tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

Aux fins de la présente définition, on entend par :

les termes “à distance” : un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes,

“par voie électronique” : un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques,

“à la demande individuelle d’un destinataire de services” : un service fourni par transmission de données sur demande individuelle.

Une liste indicative des services non visés par cette définition figure à l’annexe V.

[…] »

4.

L’article 2, sous a) et h), de la directive 2000/31/CE ( 3 ) dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)

“services de la société de l’information” : les services au sens de l’article 1er, [point] 2, de la [directive 98/34] ;

[…]

h)

“domaine coordonné” : les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux.

i)

Le domaine coordonné a trait à des exigences que le prestataire doit satisfaire et qui concernent :

l’accès à l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences en matière de qualification, d’autorisation ou de notification,

l’exercice de l’activité d’un service de la société de l’information, telles que les exigences portant sur le comportement du prestataire, la qualité ou le contenu du service, y compris en matière de publicité et de contrat, ou sur la responsabilité du prestataire.

ii)

Le domaine coordonné ne couvre pas les exigences telles que :

[…]

les exigences applicables aux services qui ne sont pas fournis par voie électronique. »

5.

L’article 3, paragraphes 1, 2 et 4, de la directive 2000/31 prévoit :

« 1. Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l’information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans cet État membre relevant du domaine coordonné.

2. Les État membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre.

[…]

4. Les États membres peuvent prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures qui dérogent au paragraphe 2 si les conditions suivantes sont remplies :

a)

les mesures doivent être :

i)

nécessaires pour une des raisons suivantes :

l’ordre public, en particulier la prévention, les investigations, la détection et les poursuites en matière pénale, notamment la protection des mineurs et la lutte contre l’incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine,

la protection de la santé publique,

la sécurité publique, y compris la protection de la sécurité et de la défense nationales,

la protection des consommateurs, y compris des investisseurs ;

ii)

prises à l’encontre d’un service de la société de l’information qui porte atteinte aux objectifs visés au point i) ou qui constitue un risque sérieux et grave d’atteinte à ces objectifs ;

iii)

proportionnelles à ces objectifs ;

b)

l’État membre a préalablement et sans préjudice de la procédure judiciaire, y compris la procédure préliminaire et les actes accomplis dans le cadre d’une enquête pénale :

demandé à l’État membre visé au paragraphe 1 de prendre des mesures et ce dernier n’en a pas pris ou elles n’ont pas été suffisantes,

notifié à la Commission et à l’État membre visé au paragraphe 1 son intention de prendre de telles mesures.

[…] »

6.

Selon l’article 2, paragraphe 2, sous d), de la directive 2006/123/CE ( 4 ) :

« La présente directive ne s’applique pas aux activités suivantes :

[…]

d)

les services dans le domaine des transports, y compris les services portuaires, qui entrent dans le champ d’application du titre V du traité ;

[...] ».

7.

L’article 3, paragraphe 1, première phrase, de cette directive dispose :

« Si les dispositions de la présente directive sont en conflit avec une disposition d’un autre acte communautaire régissant des aspects spécifiques de l’accès à une activité de services ou à son exercice dans des secteurs spécifiques ou pour des professions spécifiques, la disposition de l’autre acte communautaire prévaut et s’applique à ces secteurs ou professions spécifiques. […] »

Le droit espagnol

8.

Une certaine confusion existe en ce qui concerne la description, par la juridiction de renvoi, les parties au principal et le gouvernement espagnol, du cadre juridique national applicable. J’en décrirai ci-dessous les traits essentiels, tels qu’ils résultent tant de la décision de renvoi que de différentes observations écrites déposées dans le cadre de la présente procédure.

9.

Premièrement, concernant la réglementation des transports au niveau national, en application de l’article 99, paragraphe 1, de la Ley 16/1987 de Ordenación de los Transportes Terrestres (loi no 16/1987, relative à l’organisation des transports terrestres), du 30 juillet 1987, une autorisation de transport public de passagers est exigée pour réaliser aussi bien des transports de cette nature qu’une activité d’intermédiaire dans la conclusion de tels contrats. Cependant, la défenderesse au principal indique que la Ley 9/2013 por la que se modifica la Ley 16/1987 y la Ley 21/2003, de 7 de julio, de Seguridad Aérea (loi no 9/2013 modifiant la loi no 16/1987 et la loi no 21/2003, du 7 juillet 2003, sur la sécurité aérienne), du 4 juillet 2013, a supprimé l’obligation de disposer d’une licence spécifique pour fournir des services d’intermédiaire de transport de passagers. Il ne serait pourtant pas certain que cette réforme ait été mise en vigueur dans toutes les régions d’Espagne.

10.

Sur les plans régional et local, la législation nationale est complétée, concernant les services des taxis, par diverses réglementations adoptées par la communauté autonome de Catalogne ainsi que l’agglomération de Barcelone, dont le Reglamento Metropolitano del Taxi (règlement sur les services de taxi de l’agglomération de Barcelone), adopté par le Consell Metropolitá de l’Entitat Metropolitana de Transport de Barcelona (Conseil directeur de l’organisme de gestion des transports de l’agglomération de Barcelone), du 22 juillet 2004, qui impose aux plateformes telles que celle en cause au principal, pour l’exercice de leur activité, de disposer des licences et autorisations administratives nécessaires.

11.

Enfin, la Ley 3/1991 de Competencia Desleal (loi 3/1991 relative à la concurrence déloyale), du 10 janvier 1991...

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