Kingdom of Belgium v European Commission.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:959
CourtCourt of Justice (European Union)
Docket NumberC-16/16
Date12 December 2017
Celex Number62016CC0016
Procedure TypeRecurso de anulación
62016CC0016

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 12 décembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑16/16 P

Royaume de Belgique

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Protection des consommateurs – Services de jeux d’argent et de hasard en ligne – Protection des consommateurs et des joueurs de jeux d’argent et de hasard en ligne et prévention de ces jeux chez les mineurs – Recommandation de la Commission – Article 263 TFUE – Acte attaquable – Contrôle juridictionnel des instruments de droit souple – Actes non contraignants produisant des effets juridiques – Actes pouvant raisonnablement être perçus comme incitant à la conformité »

Table des matières

I. Introduction

II. Le cadre juridique

A. Le droit primaire

B. La recommandation de la Commission

III. Faits et procédure

IV. L’ordonnance attaquée

V. La procédure devant la Cour

VI. Appréciation

A. La prééminence du fond sur la forme

1. L’arrêt AETR

2. Le critère AETR tel qu’appliqué par le Tribunal dans la présente affaire

3. Les éléments problématiques du critère issu de l’arrêt AETR

a) Les problématiques d’ordre interne

1) Effets de droit, effet obligatoire ou effets de droit obligatoires ?

2) Quel rôle joue l’intention de l’auteur ?

b) Les problématiques d’ordre externe

1) L’essor du droit souple

2) Les recommandations : elles ne lient pas mais produisent des effets juridiques

i) Au niveau de l’Union

ii) Au niveau des États membres

4. Retour aux sources : l’arrêt AETR et les effets de droit

5. L’application du critère à l’espèce en cause

B. La forme détermine le fond

1. Une exclusion (entière) : une recommandation est une recommandation

2. Le fond ou la forme ?

3. Les éclaircissements (éventuellement) nécessaires

VII. Conclusion

I. Introduction

1.

Les discussions entre Hart et Dworkin sur la nature du droit et la structure d’un système juridique font partie des grands débats qui ont marqué la philosophie juridique (anglo-américaine) des dernières décennies. À la fin des années soixante et soixante-dix, les critiques que Dworkin a formulées contre l’ouvrage de Hart, The Concept of Law ( 2 ) se sont focalisées sur plusieurs thèmes. L’une des propositions principales de Dworkin était que Hart concevait le système juridique de manière trop restrictive et qu’il accordait trop d’importance aux règles juridiques, omettant ainsi un autre élément essentiel à tout système juridique : les principes ( 3 ).

2.

Il est peut-être raisonnable de penser que, en dépit de son titre, lorsque la Commission européenne a adopté la « Recommandation relative à des principes pour la protection des consommateurs et des joueurs dans le cadre des services de jeux d’argent et de hasard en ligne et pour la prévention des jeux d’argent et de hasard en ligne chez les mineurs » (ci-après la « recommandation en cause ») ( 4 ), elle n’avait pas l’intention de prendre parti dans ce débat théorique. Toutefois, un recours en annulation introduit devant le Tribunal par le Royaume de Belgique contre la recommandation en cause a donné lieu à un débat formellement similaire, mais quelque peu différent quant au fond : en droit de l’Union, aux fins du contrôle juridictionnel, comment ces principes diffèrent-ils des règles (contraignantes, juridiques) ? De plus, une recommandation de la Commission, à savoir un instrument de l’Union européenne explicitement exclu du contrôle juridictionnel à l’article 263, premier alinéa, TFUE, peut-elle malgré tout faire l’objet d’un recours en annulation au titre de cette disposition ?

3.

Le Tribunal a déclaré le recours du Royaume de Belgique irrecevable ( 5 ), considérant que la recommandation en cause n’était pas destinée à produire des effets de droit obligatoires. Le Royaume de Belgique a formé un pourvoi devant la Cour contre l’ordonnance du Tribunal.

4.

Dans les présentes conclusions, la solution que je suggère à la Cour comporte essentiellement deux volets : premièrement, du point de vue général, compte tenu du paysage législatif changeant du droit de l’Union (mais pas seulement), qui est caractérisé par la multiplication de divers instruments de droit souple, il conviendrait d’adapter l’accès aux juridictions de l’Union afin de répondre à ces développements. À cet égard, et dans la mesure où le jeu de mots théorique le permet, il conviendrait effectivement d’adopter une approche plus fidèle à la pensée de Dworkin et admettre qu’il existe des normes qui produisent des effets juridiques importants, mais qui se situent au-delà de la logique dichotomique opposant les règles de droit contraignantes aux règles de droit non contraignantes. Deuxièmement, du point de vue concret de la recommandation en cause dans la présente affaire, un instrument normatif qui, compte tenu de sa logique, de son contexte, de sa finalité et, en partie également, de son langage, peut raisonnablement être considéré comme établissant des règles de comportement, devrait faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, indépendamment du fait que cet instrument est en quelque sorte dissimulé dans une recommandation sous la forme de simples « principes ».

II. Le cadre juridique

A. Le droit primaire

5.

Conformément à l’article 4, paragraphe 3, TUE, « [l]es États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union. Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union ».

6.

L’article 263, premier alinéa, TFUE, dispose : « La Cour de justice de l’Union européenne contrôle la légalité des actes législatifs, des actes du Conseil, de la Commission et de la Banque centrale européenne, autres que les recommandations et les avis, et des actes du Parlement européen et du Conseil européen destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. Elle contrôle aussi la légalité des actes des organes ou organismes de l’Union destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers. »

7.

Selon l’article 288 TFUE :

« Pour exercer les compétences de l’Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis.

Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre.

La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.

La décision est obligatoire dans tous ses éléments. Lorsqu’elle désigne des destinataires, elle n’est obligatoire que pour ceux-ci.

Les recommandations et les avis ne lient pas. »

8.

L’article 292 TFUE est libellé comme suit : « Le Conseil adopte des recommandations. Il statue sur proposition de la Commission dans tous les cas où les traités prévoient qu’il adopte des actes sur proposition de la Commission. Il statue à l’unanimité dans les domaines pour lesquels l’unanimité est requise pour l’adoption d’un acte de l’Union. La Commission, ainsi que la Banque centrale européenne dans les cas spécifiques prévus par les traités, adoptent des recommandations. »

9.

L’article 296 TFUE énonce :

« Lorsque les traités ne prévoient pas le type d’acte à adopter, les institutions le choisissent au cas par cas, dans le respect des procédures applicables et du principe de proportionnalité.

Les actes juridiques sont motivés et visent les propositions, initiatives, recommandations, demandes ou avis prévus par les traités.

Lorsqu’ils sont saisis d’un projet d’acte législatif, le Parlement européen et le Conseil s’abstiennent d’adopter des actes non prévus par la procédure législative applicable au domaine concerné. »

B. La recommandation de la Commission

10.

Conformément au considérant 5 de la recommandation de la Commission en cause, « [e]n l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union, les États membres peuvent, en principe, définir librement les objectifs de leur politique en matière de jeux de hasard, ainsi que le niveau de protection recherché pour la protection de la santé des consommateurs […] »

11.

Le considérant 8 énonce que « [l]es règles et politiques que les États membres ont mises en place en vue de réaliser leurs objectifs d’intérêt général varient considérablement d’un État à l’autre. L’action au niveau de l’Union encourage les États membres à garantir un niveau élevé de protection sur l’ensemble de son territoire ».

12.

Ainsi qu’il résulte de son considérant 9, la recommandation de la Commission a pour objectif de « protéger la santé des consommateurs et des joueurs et donc également de réduire autant que possible le préjudice économique que pourrait entraîner un comportement de jeu compulsif ou excessif. À cette fin, elle met en avant des principes pour garantir une protection élevée des consommateurs, des joueurs et des mineurs dans l’environnement des jeux d’argent et de hasard en ligne. Pour préparer cette recommandation, la Commission s’est appuyée sur les bonnes pratiques des États membres ».

13.

Il est indiqué au considérant 15 qu’« [i]l convient d’inviter les États membres à proposer les règles pour l’information des consommateurs sur les jeux d’argent et de hasard en ligne […] »

14.

Il est mentionné au considérant 16 que, «...

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