European Commission v United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:2321
CourtCourt of Justice (European Union)
Docket NumberC-172/13
Date23 October 2014
Procedure TypeRecours en constatation de manquement - non fondé
Celex Number62013CC0172
62013CC0172

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 23 octobre 2014 ( 1 )

Affaire C‑172/13

Commission européenne

contre

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

«Fiscalité — Liberté d’établissement — Article 49 TFUE et article 31 de l’accord EEE — Impôt national sur les sociétés — Régime fiscal des groupes de sociétés — Déduction de pertes dans un groupe (‘group relief’) — Déduction de pertes de sociétés non-résidentes du groupe — ‘Exception Marks & Spencer’ — Moment auquel il faut se placer pour déterminer l’absence de possibilité de prise en compte ultérieure de pertes à un autre titre»

I – Introduction

1.

Dans le présent recours en manquement, l’arrêt Marks & Spencer ( 2 ) requiert à nouveau une interprétation. Dans cet arrêt, la Cour a énoncé, à partir de la législation du Royaume-Uni, les conditions auxquelles les États membres doivent permettre, dans leur impôt sur les bénéfices, la déduction de pertes d’un groupe même quand elles débordent du cadre national, au titre de l’exception dite «Marks & Spencer».

2.

Ces conditions ne sont malheureusement pas du tout claires. On le voit dans les affaires dans lesquelles la Cour a dû clarifier leur application particulière ( 3 ). De surcroît, tant l’avocat général Geelhoed que l’avocat général Mengozzi ont indiqué ne pas apercevoir clairement les conditions d’application et l’idée de l’exception Marks & Spencer ( 4 ). Nous ne sommes pas seule à partager cette analyse ( 5 ) que de nombreux auteurs rejoignent aussi en défendant différentes interprétations de l’exception Marks & Spencer en doctrine ( 6 ).

3.

Il n’est donc pas étonnant que la Commission européenne et le Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ne s’accordent pas sur la juste mise en œuvre qu’appelle l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763) bien que cet arrêt remonte à présent à près de neuf années.

II – Cadre juridique

4.

Le Royaume-Uni prélève un impôt sur les revenus des personnes morales. Les groupes ont la faculté de transférer à l’intérieur de l’Espace économique européen (EEE) une perte subie par une des sociétés du groupe au cours d’un exercice fiscal à une autre société du groupe qui peut ainsi imputer sur ses propres revenus la perte étrangère à sa société (ce qu’il est convenu d’appeler le «group relief»; ci-après le «dégrèvement de groupe»).

5.

Si la perte est subie par une société du groupe établie dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un État partie à l’Association européenne de libre-échange (AELE) appartenant à l’EEE, le dégrèvement de groupe est néanmoins soumis à des conditions particulières définies à l’époque qui nous intéresse ici aux articles 111 et suivants de la loi relative à l’impôt sur les sociétés (Corporation Tax Act), de 2010 (ci‑après le «CTA 2010»). Aux termes de l’article 119, paragraphe 2, du CTA 2010, une de ces conditions veut qu’aucune société du groupe établie à l’étranger ni aucun autre contribuable n’ait la possibilité d’imputer cette perte sur des bénéfices éventuels ultérieurs dans les impositions à intervenir à l’étranger au cours des exercices fiscaux postérieurs à l’année durant laquelle la perte a été subie. Aux termes de l’article 119, paragraphe 4, du CTA 2010, l’existence de cette faculté se vérifiera en se plaçant immédiatement après le terme de l’exercice durant lequel la perte a été subie.

III – Contexte du recours et procédure devant la Cour

6.

Le Royaume-Uni avait récemment mis en place le dégrèvement de groupe transfrontalier – en modifiant tout d’abord la loi relative aux impôts sur les revenus et les sociétés (Income and Corporation Tax Act), de 1988, avec effet au 1er avril 2006 – pour se conformer aux exigences du droit de l’Union en matière de liberté d’établissement. Le Royaume-Uni les avait tirées de l’arrêt Marks & Spencer prononcé le 13 décembre 2005. La Cour y avait dit pour droit ( 7 ):

«Les articles 43 CE et 48 CE ne s’opposent pas, en l’état actuel du droit communautaire, à une législation d’un État membre qui exclut de manière générale la possibilité pour une société mère résidente de déduire de son bénéfice imposable des pertes subies dans un autre État membre par une filiale établie sur le territoire de celui-ci, alors qu’elle accorde une telle possibilité pour des pertes subies par une filiale résidente. Cependant, il est contraire aux articles 43 CE et 48 CE d’exclure une telle possibilité pour la société mère résidente dans une situation où, d’une part, la filiale non-résidente a épuisé les possibilités de prise en compte des pertes qui existent dans son État de résidence au titre de l’exercice fiscal concerné par la demande de dégrèvement ainsi que des exercices fiscaux antérieurs et où, d’autre part, il n’existe pas de possibilités pour que ces pertes puissent être prises en compte dans son État de résidence au titre des exercices futurs soit par elle‑même, soit par un tiers, notamment en cas de cession de la filiale à celui-ci.»

7.

La Commission doutant que les nouvelles règles britanniques soient conformes à l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), elle a, par lettre du 19 juillet 2007, donné au Royaume-Uni l’occasion de présenter sa position. Dans son avis motivé du 23 septembre 2008, elle a fait grief au Royaume-Uni d’enfreindre la liberté d’établissement. L’infraction consiste à ses yeux en particulier dans le fait qu’il faille se placer à l’issue même de chaque exercice fiscal pour apprécier si les pertes sont susceptibles ou non d’être prises en compte dans son État de résidence au titre des exercices ultérieurs et dans le fait que les nouvelles dispositions ne doivent pas s’appliquer avant le 1er avril 2006. Un avis motivé complémentaire a suivi le 25 novembre 2010 au regard du nouveau CTA 2010 adopté qui avait repris en substance telles quelles les dispositions de la loi relative aux impôts sur les revenus et les sociétés de 1988 en cause jusque-là.

8.

Le Royaume-Uni ne s’étant pas conformé dans le délai imparti de deux mois à la mise en demeure de la Commission lui enjoignant de modifier sa législation, la Commission a saisi la Cour le 5 avril 2013 au titre de l’article 258, deuxième alinéa, TFUE, en concluant à ce qu’il plaise à la Cour:

constater qu’en imposant, à l’égard de la compensation transfrontalière pour les groupes, des conditions telles qu’elles rendent quasiment impossible, dans la pratique, le bénéfice de ce type de dégrèvement et en limitant ce dégrèvement aux périodes postérieures au 1er avril 2006, le Royaume-Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE et de l’article 31 de l’accord EEE;

condamner le Royaume-Uni aux dépens.

9.

Le Royaume-Uni conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

rejeter le recours et

condamner la Commission aux dépens.

10.

La République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, le Royaume des Pays-Bas et la République de Finlande ont été autorisés à intervenir. Ils concluent à l’appui des conclusions du défendeur.

11.

Les parties et les parties intervenantes ont présenté des mémoires et participé à l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 15 juillet 2014.

IV – Appréciation

12.

La Commission fait grief au Royaume-Uni d’une infraction à la liberté d’établissement tant du TFUE que de l’accord EEE. Elle développe deux moyens à ce titre.

13.

Les dispositions combinées des articles 49 TFUE et 54 TFUE ainsi que des articles 31 et 34 de l’accord EEE interdisent en substance à l’identique toute restriction à la liberté d’établissement ( 8 ). Dans l’examen des moyens, nous ne ferons dès lors pas de distinction entre ces dispositions.

A – Sur le premier moyen: impossibilité pratique de déduire des pertes entre sociétés d’un groupe établies dans des États membres différents

14.

Dans son premier moyen, la Commission considère une infraction à la liberté d’établissement en ce que la législation du Royaume-Uni interdit en pratique de déduire des pertes entre sociétés d’un groupe établies dans des États membres différents.

15.

Aux termes de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), la déduction de pertes entre sociétés d’un groupe établies dans des États membres différents n’est certes pas dictée en principe par le droit de l’Union. Y font toutefois exception, toujours selon la Commission, les pertes d’une filiale étrangère qui ne sont pas susceptibles d’être prises en compte par la fiscalité étrangère dans des exercices antérieurs ou ultérieurs. Elle rappelle que l’article 119, paragraphe 4, du CTA 2010 impose néanmoins de se placer à l’issue même de l’exercice fiscal durant lequel la perte a été subie pour déterminer s’il est possible de faire jouer la perte ultérieurement à un autre titre. A ce stade, l’on ne peut toutefois parvenir à le déterminer que si l’État du siège de la filiale ne permet aucun report de perte ou si la filiale a été mise en liquidation au cours de l’exercice durant lequel la perte a été encourue. Aux yeux de la Commission, il sera de ce fait impossible de déduire la perte en particulier lorsque la filiale cesse ses activités après l’exercice durant lequel la perte a été subie. Elle ajoute que, du fait même du régime, l’on peut aussi uniquement transférer la perte propre à un seul exercice fiscal. Aux termes de l’arrêt Marks & Spencer (EU:C:2005:763), indique la Commission, c’est en se plaçant uniquement au moment où le dégrèvement de groupe est sollicité qu’il faut examiner s’il est possible ou non de faire jouer une perte à un autre titre dans des exercices fiscaux ultérieurs.

16.

Le Royaume-Uni rétorque...

To continue reading

Request your trial
4 practice notes
  • Opinion of Advocate General Kokott delivered on 10 January 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 January 2019
    ...EU:C:2018:424); of 17 December 2015, Timac Agro Deutschland (C‑388/14, EU:C:2015:829); of 3 February 2015, Commission v United Kingdom (C‑172/13, EU:C:2015:50); of 7 November 2013, K (C‑322/11, EU:C:2013:716); of 21 February 2013, A (C‑123/11, EU:C:2013:84); and of 15 May 2008, Lidl Belgium......
  • Opinion of Advocate General Kokott delivered on 10 January 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 January 2019
    ...General Mengozzi in K (C‑322/11, EU:C:2013:183, points 66 et seq. and 87), and my Opinions in Commission v United Kingdom (C‑172/13, EU:C:2014:2321, point 41 et seq.) and in A (C‑123/11, EU:C:2012:488, point 50 et 6 Council Directive of 19 October 2009 on the common system of taxation appli......
  • Opinion of Advocate General Campos Sánchez-Bordona delivered on 17 January 2018.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 17 January 2018
    ...in particular where the subsidiary has been sold to that third party’. 18 In her Opinion in Case C‑172/13, Commission v United Kingdom (EU:C:2014:2321) [judgment of 3 February 2015], Advocate General Kokott noted that, at that time, there had been ‘registered 142 academic publications which......
  • Opinion of Advocate General Kokott delivered on 17 October 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 17 October 2019
    ...General Mengozzi in K (C‑322/11, EU:C:2013:183, points 66 et seq. and 87) and in my Opinions in Commission v United Kingdom (C‑172/13, EU:C:2014:2321, point 41 et seq.) and A (C‑123/11, EU:C:2012:488, point 50 et 4 Zákon č. 586/1992 Sb., o daních z příjmů — Law No 586/1992 on income tax, La......
4 cases
  • Opinion of Advocate General Kokott delivered on 10 January 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 January 2019
    ...EU:C:2018:424); of 17 December 2015, Timac Agro Deutschland (C‑388/14, EU:C:2015:829); of 3 February 2015, Commission v United Kingdom (C‑172/13, EU:C:2015:50); of 7 November 2013, K (C‑322/11, EU:C:2013:716); of 21 February 2013, A (C‑123/11, EU:C:2013:84); and of 15 May 2008, Lidl Belgium......
  • Opinion of Advocate General Kokott delivered on 10 January 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 10 January 2019
    ...General Mengozzi in K (C‑322/11, EU:C:2013:183, points 66 et seq. and 87), and my Opinions in Commission v United Kingdom (C‑172/13, EU:C:2014:2321, point 41 et seq.) and in A (C‑123/11, EU:C:2012:488, point 50 et 6 Council Directive of 19 October 2009 on the common system of taxation appli......
  • Opinion of Advocate General Campos Sánchez-Bordona delivered on 17 January 2018.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 17 January 2018
    ...in particular where the subsidiary has been sold to that third party’. 18 In her Opinion in Case C‑172/13, Commission v United Kingdom (EU:C:2014:2321) [judgment of 3 February 2015], Advocate General Kokott noted that, at that time, there had been ‘registered 142 academic publications which......
  • Opinion of Advocate General Kokott delivered on 17 October 2019.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 17 October 2019
    ...General Mengozzi in K (C‑322/11, EU:C:2013:183, points 66 et seq. and 87) and in my Opinions in Commission v United Kingdom (C‑172/13, EU:C:2014:2321, point 41 et seq.) and A (C‑123/11, EU:C:2012:488, point 50 et 4 Zákon č. 586/1992 Sb., o daních z příjmů — Law No 586/1992 on income tax, La......

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT