Nordea Bank Danmark A/S v Skatteministeriet.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2014:153
Date13 March 2014
Celex Number62013CC0048
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-48/13
62013CC0048

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 13 mars 2014 ( 1 )

Affaire C‑48/13

Nordea Bank Danmark A/S

contre

Skatteministeriet

[demande de décision préjudicielle formée par l’Østre Landsret (Danemark)]

«Législation fiscale — Liberté d’établissement — Impôt national sur les bénéfices — Imposition des groupes — Imposition de l’activité d’établissements stables étrangers de sociétés résidentes — Prévention de la double imposition par imputation de l’impôt (méthode d’imputation) — Réintégration de pertes prises en compte antérieurement en cas de cession de l’établissement stable à l’intérieur du groupe et de disparition du pouvoir d’imposition»

1.

La Cour est à nouveau appelée, dans la présente affaire, à se prononcer sur l’imposition transfrontalière des groupes par un État membre et sur la compatibilité de celle-ci avec la liberté d’établissement. La Cour devra encore une fois examiner le motif de justification constitué par la «préservation de la répartition du pouvoir d’imposition entre les États membres» qu’elle a admis pour la première fois expressément dans l’arrêt Marks & Spencer ( 2 ) et dont la portée ne semble toujours pas suffisamment claire.

2.

Il est vrai que les affaires déférées sont de plus en plus complexes. Le présent renvoi préjudiciel en provenance du Danemark concerne l’imposition d’une société de droit national conjointement avec ses établissements stables situés dans d’autres États membres. L’activité de ces établissements stables étrangers était certes intégralement imposée au Danemark. L’impôt payé à l’étranger était cependant imputé sur l’impôt danois, conformément à la méthode dite «d’imputation». Or, dans le cas d’espèce, les établissements stables étrangers avaient uniquement généré des pertes. Ces pertes prises en compte dans le cadre de l’imposition de la société nationale doivent maintenant faire l’objet d’une réintégration dans le revenu imposable en vertu d’un régime particulier parce que les établissements stables ont été cédés à d’autres sociétés du groupe qui ne sont pas soumises au pouvoir d’imposition du Danemark.

3.

Toutefois, le présent litige ne constitue pas un cas d’espèce exotique qui n’aurait pas de portée générale. Il se prête bien au contraire au développement de la jurisprudence de la Cour en matière de prise en compte transfrontalière des pertes, en général, ainsi que dans le cadre de l’application de la méthode d’imputation, en particulier.

I – Le cadre juridique

4.

Au Danemark, un impôt est prélevé sur les bénéfices des sociétés qui ont leur siège dans cet État.

5.

Si une telle société détient un établissement stable dans un autre État nordique (la Suède, la Finlande ou la Norvège), le Royaume de Danemark peut également, en vertu de l’article 7 de la convention contre la double imposition conclue entre les pays nordiques, imposer la société sur la part des bénéfices qui est imputable à cet établissement stable étranger. En vertu de l’article 25 de cette convention, l’impôt prélevé à l’étranger sur l’activité de l’établissement stable doit cependant être déduit de l’impôt danois, jusqu’à concurrence de l’impôt appliqué au Danemark aux bénéfices de l’établissement stable.

6.

Conformément à la législation applicable au litige au principal, les pertes et les profits générés par les établissements stables étrangers des sociétés danoises devaient régulièrement être pris en compte aux fins de l’imposition au Danemark.

7.

Toutefois, dans certains cas, il y avait lieu de procéder à une réintégration dans le revenu imposable des pertes prises en compte. L’article 33 D, paragraphe 5, de la loi relative à l’établissement de l’impôt d’État sur les revenus (ligningslov) prévoyait à cet égard:

«En cas de cession totale ou partielle d’un établissement stable situé dans un pays étranger […] à une société du même groupe […], les pertes déduites qui n’ont pas été compensées par des bénéfices ultérieurs sont prises en compte dans l’établissement du revenu imposable, quelle que soit la méthode de dégrèvement appliquée. […]»

8.

Selon la juridiction de renvoi, cette disposition s’appliquait uniquement lorsque la société acquéreuse du même groupe n’était pas imposée conjointement à la société cédante. Il ressort des motifs du projet de loi que cette disposition visait à empêcher que des sociétés danoises puissent, dans un premier temps, prendre en compte des pertes de leurs établissements stables étrangers et vendre ensuite ces établissements stables, dès qu’ils commencent à générer des profits, à une société étrangère du même groupe afin de ne pas devoir acquitter d’impôt sur ces bénéfices au Danemark.

II – Le litige au principal

9.

La requérante au principal est la société Nordea Bank Danmark A/S. Elle a succédé à une banque qui a fait l’objet, en l’an 2000, d’un regroupement avec des banques suédoise, finlandaise et norvégienne pour former le groupe Nordea.

10.

De 1996/1997 à 2000, la société à laquelle la requérante a succédé détenait des établissements stables, sous la forme d’agences bancaires, en Suède, en Finlande et en Norvège. Ces succursales avaient généré des pertes pendant toutes ces années. Au total, 204402324 DKK – ce qui correspond, au cours actuel, à environ 27 millions d’euros – ont par conséquent été déduits de l’assiette de l’impôt danois.

11.

Ces agences bancaires ont été fermées à la suite de la création du groupe Nordea. La moitié, environ, du personnel a été reprise par des sociétés suédoises, finlandaises et norvégiennes du groupe Nordea, de même qu’une partie de la clientèle. Les pertes générées antérieurement par les établissements stables ne pouvaient plus être utilisées par les sociétés acquéreuses dans le cadre de l’imposition de leurs propres bénéfices.

12.

Les autorités fiscales danoises ont considéré ces opérations comme une cession partielle d’établissements stables à des sociétés du même groupe au sens de l’article 33 D, paragraphe 5, de la ligningslov. Elles ont par conséquent ajouté à l’assiette de l’impôt pour l’an 2000 la somme des pertes qui avaient été déduites au cours des années précédentes. Toutefois, de l’avis de Nordea Bank Danmark, cette disposition est contraire tant au droit de l’Union qu’à l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’«accord EEE»).

III – La procédure devant la Cour

13.

L’Østre Landsret, saisi du litige, a posé à la Cour, conformément à l’article 267 TFUE, la question préjudicielle suivante:

«Les articles 49 TFUE et 54 TFUE (anciennement articles 43 CE et 48 CE), ainsi que les articles 31 et 34 [de l’accord] EEE, s’opposent-ils à ce qu’un État membre, qui aurait permis à une société résidente de déduire régulièrement les pertes générées par un établissement stable situé dans un autre État membre, réintègre dans le revenu imposable de ladite société toutes les pertes de l’établissement stable (dans la mesure où celles-ci n’ont pas été compensées par des bénéfices les années ultérieures) lorsque l’établissement stable cesse d’exister en raison du fait qu’une partie de ses activités a été cédée à une société appartenant au même groupe et ayant sa résidence dans le même État membre que l’établissement stable, et lorsque toutes les possibilités de prise en compte desdites pertes devraient être considérées comme épuisées?»

14.

Nordea Bank Danmark, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, l’Autorité de surveillance de l’AELE et la Commission européenne ont déposé des observations écrites dans le cadre de la procédure devant la Cour.

IV – Appréciation juridique

15.

Dans la présente affaire, la Cour est appelée à clarifier le point de savoir si la réintégration décrite des pertes d’un établissement stable étranger dans le cadre de l’imposition au Danemark des bénéfices des sociétés résidentes est compatible avec la liberté d’établissement consacrée par le traité CE ou l’accord EEE, applicables au litige au principal.

16.

À cet égard, il n’est pas nécessaire d’opérer en l’espèce une distinction entre l’examen de l’existence d’une violation de la liberté d’établissement d’une société dans les États membres, qui doit être appréciée au regard des dispositions combinées des articles 43 CE et 48 CE, et cet examen en ce qui concerne la Norvège, à laquelle les dispositions combinées des articles 31 et 34 de l’accord EEE sont applicables. En effet, les deux ensembles de dispositions interdisent les restrictions à la liberté d’établissement de manière identique ( 3 ).

17.

Tout d’abord, nous partageons l’avis de toutes les parties à la procédure selon lequel il y a lieu de constater en l’espèce que nous nous trouvons en présence d’une restriction à la liberté d’établissement.

18.

La liberté d’établissement confère notamment à une société le droit d’exercer son activité dans d’autres États membres par l’intermédiaire d’une succursale ( 4 ). En principe, il est également interdit à l’État membre d’origine d’une société d’entraver l’établissement de celle-ci dans un autre État membre ( 5 ). Cet établissement dans un autre État membre est entravé s’il fait l’objet d’un traitement différent qui est désavantageux par rapport au simple établissement sur le territoire national ( 6 ).

19.

Au Danemark, les sociétés détenant des succursales étrangères et celles qui détiennent des succursales résidentes étaient traitées de manière différente par les dispositions de l’article 33 D, paragraphe 5, de la ligningslov. Lorsqu’une société danoise exploitait une succursale résidente et la cédait à...

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