Maximilian Schrems v Facebook Ireland Limited.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:863
Date14 November 2017
Celex Number62016CC0498
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-498/16
62016CC0498

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 14 novembre 2017 ( 1 )

Affaire C‑498/16

Maximilian Schrems

contre

Facebook Ireland Limited

[demande de décision préjudicielle de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 44/2001 – Compétence en matière de contrat conclu par un consommateur – Notion de consommateur – Médias sociaux – Comptes Facebook et pages Facebook – Cession de droits par des consommateurs ayant leur domicile dans le même État membre, dans d’autres États membres et dans des États tiers – Action collective »

I. Introduction

1.

M. Maximilian Schrems a engagé une action contre Facebook Ireland Limited devant une juridiction autrichienne. Il soutient que la société a violé son droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Sept autres utilisateurs de Facebook lui ont cédé leurs droits basés sur l’invocation des mêmes violations, en réponse à une invitation en ligne de M. Schrems à le faire. Ils ont leur domicile en Autriche, dans d’autres États membres ou dans des États tiers.

2.

La présente affaire soulève deux questions juridiques principales. Premièrement, qui est un « consommateur » ? En droit de l’Union, le consommateur est considéré comme la partie plus faible nécessitant une protection. À cette fin, une solide protection juridique des consommateurs a été mise en place au fil des ans, dont la possibilité d’un for spécial pour les contrats conclus par un consommateur prévu aux articles 15 et 16 du règlement (CE) no 44/2001 ( 2 ). Cela crée effectivement un for du domicile du requérant (forum actoris) pour les consommateurs : un consommateur peut poursuivre l’autre partie au contrat au for de son domicile. M. Schrems soutient que les juridictions de Vienne, Autriche, sont compétentes pour connaître à la fois de ses propres prétentions et des prétentions issues des droits cédés, puisqu’il est un consommateur au sens des articles 15 et 16 du règlement no 44/2001.

3.

La taxonomie est toujours quelque chose de compliqué. Même s’il est possible de se mettre d’accord sur certains éléments de définition, il y aura toujours des cas de figure singuliers qui ne rentrent dans aucune case. Un « consommateur » qui est de plus en plus impliqué dans des litiges peut-il devenir progressivement un « professionnel en matière de protection des consommateurs » et donc ne plus avoir besoin d’une protection spéciale ? C’est l’essence de la première question posée par la juridiction de renvoi, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche).

4.

La seconde question concerne la compétence internationale pour des litiges relatifs à des contrats conclus par un consommateur en cas de cession de droits. À supposer que le requérant soit encore un consommateur à titre personnel, peut-il également invoquer ce for spécial pour les droits cédés par d’autres consommateurs ayant leur domicile dans le même État membre, d’autres États membres ou dans des États tiers ? En d’autres termes, l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 peut-il établir une compétence juridictionnelle supplémentaire spécifique au domicile du cessionnaire et permettre ainsi à des consommateurs du monde entier de rassembler leurs prétentions ?

II. Le cadre juridique

A. La législation de l’Union

1. Le règlement no 44/2001

5.

L’article 15 du règlement no 44/2001 est rédigé comme suit :

« 1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, point 5 :

a)

lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;

b)

lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ;

c)

lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

[…] »

6.

L’article 16 dudit règlement prévoit que :

« 1. L’action intentée par un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être portée soit devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié.

2. L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le consommateur.

[…] »

B. Le droit autrichien

7.

Conformément à l’article 227 du Zivilprozessordnung (code de procédure civile autrichien, ci-après le « ZPO ») :

« (1) Il est possible de faire valoir plusieurs prétentions d’un requérant à l’encontre du même défendeur, même si elles ne doivent pas être additionnées (article 55 de la Juridiktionsnorm, loi relative à la compétence juridictionnelle) dans le cadre d’une même action si, pour toutes les prétentions

1.

la juridiction saisie est compétente et

2.

le même type de procédure est permis.

(2) Toutefois, les prétentions qui ne dépassent pas le montant indiqué à l’article 49, paragraphe 1, de la jurisdiktionsnorm peuvent être jointes avec des prétentions qui dépassent ce montant et les prétentions dont doit connaître un juge unique avec celles dont doit connaître une chambre. Dans le premier cas, la compétence est déterminée par le montant le plus élevé ; dans le second cas, la chambre doit se prononcer sur toutes les prétentions. »

III. Les faits

8.

D’après les faits tels qu’exposés par la juridiction de renvoi, M. Schrems est spécialisé en droit des technologies de l’information et en droit de la protection des données personnelles. Il prépare une thèse de doctorat concernant les aspects juridiques (droit civil, droit pénal et droit administratif) de la protection des données personnelles.

9.

Le requérant au principal utilise Facebook depuis 2008. Tout d’abord, il a fait cela exclusivement à des fins privées, sous un faux nom. Depuis 2010, il utilise un compte Facebook sous son propre nom, écrit en utilisant l’alphabet cyrillique, pour son usage privé : téléchargement de photographies, affichage en ligne et utilisation du service de messagerie pour converser. Il a environ 250 « amis Facebook ». Depuis 2011, le requérant au principal utilise également une page Facebook. Cette page contient des informations concernant les conférences qu’il donne, ses participations à des débats et ses interventions dans les médias, les livres qu’il a écrits, un appel aux dons qu’il a lancé et des informations sur les actions judiciaires qu’il a introduites contre Facebook Ireland.

10.

En 2011, le requérant au principal a déposé, devant la commission irlandaise pour la protection des données, vingt-deux réclamations contre la défenderesse au principal. En réponse à ces réclamations, cette commission a rédigé un rapport d’examen, comportant des recommandations adressées à la défenderesse au principal, puis un rapport de contrôle a posteriori. En juin 2013, le requérant au principal a déposé une autre réclamation contre la défenderesse au principal, concernant le programme de surveillance PRISM ( 3 ), qui a conduit à l’annulation de la décision de la Commission « Safe Harbour » ( 4 ) par la Cour ( 5 ).

11.

Le requérant au principal a publié deux livres sur ses actions en justice contre la défenderesse au principal, il a donné des conférences (dont certaines rémunérées), enregistré de nombreux sites Internet (des blogs, des pétitions en ligne, des sites de financement participatif des actions contre la défenderesse au principal), il a fondé le Verein zur Durchsetzung des Grundrechts auf Datenschutz (une association visant à faire respecter le droit fondamental à la protection des données, ci-après l’« association ») ( 6 ).

12.

L’objectif déclaré des initiatives du requérant au principal est de faire pression sur Facebook. Ses activités ont suscité l’intérêt des médias. Ses actions judiciaires contre Facebook ont attiré l’attention de nombreuses chaînes de télévision et stations de radio autrichiennes, allemandes et internationales. Il y a eu au moins 184 articles de presse sur le sujet, y compris dans des publications internationales et en ligne.

13.

La juridiction de renvoi indique que le requérant au principal est employé par sa mère. Il tire ses revenus de cet emploi et d’un appartement mis en location. De surcroît, il touche des revenus, dont le montant n’est pas connu, de la vente des livres et des interventions évoquées ci-avant, auxquelles il est invité en raison des actions qu’il a intentées contre la défenderesse au principal.

14.

Dans la présente affaire, le requérant au principal soutient que la défenderesse au principal a commis différentes violations des dispositions en matière de respect de la vie privée et de protection des données personnelles, en infraction au droit autrichien, au droit irlandais et au droit de l’Union ( 7 ). Le requérant au principal introduit des demandes de constatation (concernant la qualité de simple prestataire de service de la défenderesse au principal et subordination de celle-ci aux instructions données ou sa qualité de donneur d’ordre, lorsque le traitement est...

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