Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania v Ayuntamiento de Getafe.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:135
Date16 February 2017
Celex Number62016CC0074
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-74/16
62016CC0074

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 16 février 2017 ( 1 )

Affaire C‑74/16

Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania

contre

Ayuntamiento de Getafe

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 4 de Madrid (tribunal administratif au niveau provincial no 4 de Madrid, Espagne)]

«Concurrence — Aides d’État — Article 107, paragraphe 1, TFUE — Impôt sur les constructions, les installations et les ouvrages — Exonération fiscale pour l’Église catholique — Délimitation entre activités économiques et activités non économiques de l’Église catholique — Activités de l’Église catholique ne poursuivant pas de finalité strictement religieuse — Activités dans le cadre de la mission sociale, culturelle ou de politique éducationnelle de l’Église catholique — Églises, associations religieuses et communautés religieuses — Article 17 TFUE — Article 351 TFUE»

I – Introduction

1.

Le fait, pour un État membre, d’exonérer une communauté religieuse de certains impôts, et ce également pour des activités qui n’ont pas une finalité strictement religieuse, est-il constitutif d’une aide d’État interdite en vertu de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ? C’est là, essentiellement, la question dont la Cour est saisie, dans la présente affaire, par une juridiction espagnole.

2.

Cette question se pose dans le contexte de différentes exonérations fiscales que le Royaume d’Espagne accorde à l’Église catholique en vertu d’un accord conclu en 1979 avec le Saint-Siège. Dans la présente affaire, en référence à cet accord, l’Église catholique, en tant qu’autorité responsable d’une école ecclésiastique, souhaiterait obtenir le remboursement d’un impôt municipal dont elle a dû s’acquitter à l’occasion de travaux de construction effectués sur un bâtiment scolaire.

3.

Du moment que le droit de la concurrence de l’Union ne trouve à s’appliquer qu’aux entreprises, la solution de la présente question tient à la délimitation, pas toujours évidente, entre activité économique et activité non économique. Le fait que le secteur de l’enseignement, tout particulièrement, se trouve au croisement entre les missions entrepreneuriales et celles sociales, voire culturelles, a été précisé à suffisance par la jurisprudence antérieure ( 2 ).

4.

La question acquiert cependant une dimension nouvelle dans la présente affaire, dans la mesure où elle touche ici, en fin de compte, la relation entre l’État et l’Église, à laquelle le droit primaire de l’Union consacre une attention particulière à l’article 17 TFUE. Eu égard au débat, souvent passionné, sur le rôle de la religion et des communautés religieuses dans une société européenne moderne ( 3 ), la présente affaire ne saurait être davantage d’actualité. Les questions juridiques soulevées devraient susciter le plus grand intérêt bien au-delà des frontières espagnoles, dans de nombreux autres États membres.

5.

Sachant que l’accord entre le Saint-Siège et l’État espagnol sur des questions économiques, du 3 janvier 1979 (BOE no 300, du 15 décembre 1979, p. 28782, ci-après l’« accord de 1979 ») date d’avant l’adhésion du Royaume d’Espagne aux Communautés européennes, il convient, en outre, de prendre en considération les articles 108 et 351 TFUE en vue de la solution du litige.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

6.

Le cadre juridique dans lequel s’inscrit la présente affaire en droit de l’Union est déterminé par l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui est contenu dans le titre VII, chapitre 1, du traité (« Les règles de concurrence ») :

« Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. »

7.

En outre, il y a lieu de renvoyer à l’article 17, paragraphe 1, TFUE, qui se trouve dans la première partie, titre II (« Dispositions d’application générale »), du TFUE, et qui est libellé comme suit :

« L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. »

8.

Enfin, il importe de citer l’article 351 TFUE, disposition figurant dans la septième partie du traité (« Dispositions générales et finales ») :

« Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité.

Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avec le présent traité, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées. En cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d’arriver à cette fin et adoptent le cas échéant une attitude commune.

Dans l’application des conventions visées au premier alinéa, les États membres tiennent compte du fait que les avantages consentis dans le présent traité par chacun des États membres font partie intégrante de l’établissement de la Communauté et sont, de ce fait, inséparablement liés à la création d’institutions communes, à l’attribution de compétences en leur faveur et à l’octroi des mêmes avantages par tous les autres États membres. »

B – Le droit international public

9.

L’accord de 1979 ( 4 ) prévoit, en son article IV, paragraphe 1, sous B), premier alinéa, pour les immeubles appartenant à l’Église catholique, une « exonération totale et permanente des impôts réels ou taxes à la production, relatifs tant au revenu qu’au patrimoine ».

10.

Toutefois, comme il ressort du second alinéa de cette disposition, ladite exonération fiscale « ne vise pas les revenus dérivés d’activités économiques ni de l’exploitation du patrimoine de l’Église quand cette exploitation a été cédée à des tiers », pas plus que « les plus-values en capital ni les revenus faisant l’objet d’un prélèvement à la source au titre de l’impôt sur le revenu ».

11.

L’article VI de l’accord de 1979 prévoit un mécanisme de résolution des litiges selon lequel le Saint-Siège et le gouvernement espagnol s’engagent à résoudre les difficultés qui pourraient naître de l’interprétation ou de l’application de l’accord de 1979 d’un commun accord, en s’inspirant des principes qu’il consacre.

C – Le droit espagnol

12.

L’Impuesto sobre Construcciones, Instalaciones y Obras (impôt sur les constructions, les installations et les ouvrages) ( 5 )a pour origine une loi de 1988. Actuellement, il repose sur l’article 100, paragraphe 1, de la Ley reguladora de las Haciendas Locales (loi régissant les finances locales) ( 6 ), telle que modifiée par le Real Decreto Legislativo 2/2004 (décret législatif royal no 2/2004 ( 7 )), du 5 mars 2004 ( 8 ). Il s’agit d’un impôt réel municipal indirect dont les recettes reviennent aux communes.

13.

Par un arrêté du 5 juin 2001 ( 9 ), le ministère des Finances a clarifié que l’impôt sur les constructions, les installations et les ouvrages relève de l’article IV, paragraphe 1, sous B), de l’accord de 1979. Cet arrêté a été précisé par l’arrêté du 15 octobre 2009 ( 10 ) dans le sens que l’exonération fiscale en question ne vise que les immeubles qui sont exonérés de l’Impuesto sobre Bienes Inmuebles (impôt sur les biens immobiliers) ( 11 ), c’est-à-dire les immeubles consacrés exclusivement à des fins religieuses ( 12 ). Cependant, l’arrêté du 15 octobre 2009 a été annulé par un arrêt de l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne), du 9 décembre 2013, au motif qu’il était contraire à l’article IV, paragraphe 1, sous B), et à l’article VI de l’accord de 1979 ( 13 ).

III – Les faits et la procédure au principal

14.

La Congregación de Escuelas Pías Provincia de Betania (Comunidad de Casa de Escuelas Pías de Getafe, PP. Escolapios, Espagne) ( 14 ) est une institution de l’Église catholique, et, en tant que telle, relève de l’accord de 1979. Elle est propriétaire d’un terrain dans l’Ayuntamiento de Getafe (commune de Getafe, Espagne), près de Madrid, sur lequel se trouve l’école « La Inmaculada ».

15.

Le 4 mars 2011, la congrégation a demandé un permis de construire pour la rénovation et l’extension d’un bâtiment indépendant sur le terrain en question. Ledit bâtiment est utilisé par l’école comme salle de conférences. L’intention était d’équiper cette salle de 450 places assises pour qu’elle puisse accueillir des réunions, des cours, des conférences, etc.

16.

Le permis de construire a été accordé le 28 avril 2011, et la congrégation a dû, pour cela, s’acquitter de l’impôt sur les constructions, les installations et les ouvrages pour un montant de 23730,41 euros.

17.

Par la suite, toutefois, la congrégation a introduit une demande de remboursement de l’impôt payé sur la base de l’article IV, paragraphe 1, sous B), de l’accord de 1979.

18.

Par décision du 6 novembre 2013, l’Órgano de Gestión Tributaria (administration fiscale) ( 15 ) de la commune a rejeté cette demande. Elle a fait valoir, dans ses motifs, que l’exonération fiscale ne serait pas applicable en l’espèce, parce qu’il s’agirait d’une activité sans rapport avec les finalités religieuses de l’Église catholique. Saisi du recours de la congrégation, le chef du bureau des recettes de la...

To continue reading

Request your trial
7 practice notes
3 cases
  • Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 18 March 2021.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 18 Marzo 2021
    ...48). 28 Idem. 29 Voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania (C‑74/16, EU:C:2017:135, point 97), se référant aux arrêt du 28 mars 1995, Evans Medical et Macfarlan Smith (C‑324/93, EU:C:1995:84, point 27) ; du 14 janvier 1997, Ce......
  • Opinion of Advocate General Bobek delivered on 25 July 2018.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 25 Julio 2018
    ...point 95). 8 Judgment of 27 June 2017 (C‑74/16, EU:C:2017:496). 9 However, see Opinion of Advocate General Kokott in that case (C‑74/16, EU:C:2017:135, points 29 to 10 Recently generally, see for example, judgments of 5 July 2017, Fries (C‑190/16, EU:C:2017:513, paragraphs 29 to 31), and of......
  • __[no-tr-for:concl-avg-civ-m]__ Emiliou __[no-tr-for:presentees-le]__ 7 ____[unreferenced:no-tr-for:mois-07.2]____ 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 7 Julio 2022
    ...88 et 93). Voir aussi conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania (C‑74/16, EU:C:2017:135, point 14 Conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Cresco Investigation (C‑193/17, EU:C:2018:614, point 26). 15 Voir, notamment, ar......
2 provisions

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT