European Commission v The Bavarian Lager Co. Ltd.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2009:624
CourtCourt of Justice (European Union)
Date15 October 2009
Docket NumberC-28/08
Celex Number62008CC0028
Procedure TypeRecurso de anulación

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 15 octobre 2009 (1)

Affaire C‑28/08 P

Commission des Communautés européennes

contre

The Bavarian Lager Co. Ltd

«Pourvoi – Accès aux documents des institutions – Document relatif à une réunion tenue dans le cadre d’une procédure en manquement»






Table des matières


I – Introduction

II – Le cadre juridique

A – Les dispositions pertinentes des traités et des autres instruments internationaux

B – Le droit communautaire dérivé

1. Le règlement (CE) n° 45/2001

2. Le droit communautaire afférent au droit d’accès aux documents

III – Les faits dans le litige de l’espèce

IV – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué dans le pourvoi

V – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi

VI – Résumé des positions des parties et des intervenants

A – Le pourvoi

B – Les observations présentées par Bavarian Lager et les autres intervenants

VII – L’analyse du pourvoi

A – La solution proposée pour les premier et deuxième moyens

1. Synthèse comparative des deux règlements en question

a) Les travaux préparatoires du règlement n° 45/2001

b) La jurisprudence de la Cour

c) Les autres objections

2. Conséquences de la conciliation dans ce sens des deux règlements

a) Examen du problème depuis une perspective plus générale

b) Conséquences

c) La juste interprétation de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 1049/2001

d) Le modus operandi de cette interprétation au regard de trois exemples

3. Résultat

B – Sur le troisième moyen du recours

C – La solution subsidiaire aux premier et deuxième moyens

VIII – Sur les dépens

IX – Conclusion

I – Introduction

1. Une société démocratique régie par les principes d’un État de droit a un intérêt fondamental tant à ouvrir un accès aux documents publics le plus large possible qu’à garantir la protection de la vie privée et de l’intégrité des individus qui la composent. Dès lors, l’ordre juridique de l’Union européenne reconnaît l’accès aux documents publics et la protection de la vie privée comme étant des droits fondamentaux.

2. Le présent pourvoi pose clairement le problème de la relation entre ces deux droits. Y a-t-il, dans le modus operandi des dispositions du droit dérivé de l’Union européenne, un conflit de fond inhérent entre les règlements relatifs, d’une part, à l’accès aux documents et, d’autre part, à la protection des données à caractère personnel? Ou bien est-il possible d’appliquer ces deux règlements de façon harmonieuse et, le cas échéant, comment aboutir à ce résultat?

3. Posé dans ces termes, le problème ressemble beaucoup au paradoxe formulé par Isaac Asimov lorsqu’il a demandé «Qu’arriverait-il si une force irrésistible se trouvait confrontée à un corps inamovible?» (2). Remplacez les termes «force irrésistible» par «droit d’accès aux documents» et «corps inamovible» par «droit à la protection des données à caractère personnel» et vous obtiendrez une image très significative de la complexité intrinsèque du pourvoi que la Commission des Communautés européennes a soumis à la Cour (3).

4. Mais le plus étonnant n’est pas que des questions semblables à celles qui se posent dans d’autres sciences puissent se poser en science juridique, mais bien que, comme nous le verrons ci-après, la réponse à ces questions semble également inspirée par celle d’Asimov. En effet, après avoir analysé les notions de «force irrésistible» et d’«objet inamovible», le scientifique estime en substance qu’il ne saurait y avoir un univers présentant de telles contradictions. Partant, la question est dénuée de sens et il convient de ne pas y répondre. La solution que je propose à la Cour dans la présente affaire est également fondée sur la nécessité de définir de façon adéquate les notions juridiques qui encadrent les droits qui sont supposés entrer en conflit. En fin de compte, le conflit se révélera être plus apparent que réel.

II – Le cadre juridique

A – Les dispositions pertinentes des traités et des autres instruments internationaux

5. Étant donné que le litige entre la Commission et The Bavarian Lager Co. Ltd (ci-après «Bavarian Lager») concerne deux droits fondamentaux des citoyens, il y a lieu de citer l’article 6 UE, en vertu duquel:

«1. L’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs aux États membres.

2. L’union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [«CEDH»] (4) […] et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire.

[…]»

6. En ce qui concerne le droit fondamental du respect de la vie privée, l’article 8 de la CEDH dispose que:

«1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.»

7. Pour compléter cet article, le Conseil de l’Europe a adopté, le 28 janvier 1981, la convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (ci-après la «convention n° 108»), que la Commission a citée dans son recours en indiquant qu’elle avait influencé le droit communautaire dans ce domaine. Il convient, à mon sens, de souligner ici le deuxième considérant de cette convention, selon lequel «[…] il est souhaitable d’étendre la protection des droits et des libertés fondamentales de chacun, notamment le droit au respect de la vie privée, eu égard à l’intensification de la circulation à travers les frontières des données à caractère personnel faisant l’objet de traitements automatisés».

8. L’article 1er de la convention n° 108 décrit l’objet et la finalité de la convention dans les termes suivants:

«Le but de la présente Convention est de garantir […] à toute personne physique, quelles que soient sa nationalité ou sa résidence, le respect de ses droits et de ses libertés fondamentales, et notamment de son droit à la vie privée, à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel la concernant.»

9. Dans le cadre du traité CE, le droit d’accès aux documents des institutions communautaires a été inscrit, après le traité d’Amsterdam, dans l’article 255 CE, selon lequel:

«1. Tout citoyen de l’Union et toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège dans un État membre a un droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, sous réserve des principes et des conditions qui seront fixés conformément aux paragraphes 2 et 3.

[…]».

10. En revanche, concernant le droit à la protection des données à caractère personnel, l’article 286, paragraphe 1, CE dispose que les actes communautaires relatifs au traitement et à la libre circulation de ces données sont applicables aux institutions et aux organes communautaires (5).

11. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (6) (ci-après «la charte») reconnaît également l’importance primordiale de la protection des données personnelles ainsi que celle du droit d’accès aux documents. Son article 8, paragraphes 1 et 2, est libellé comme suit:

«1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.

2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification.»

12. De son côté, l’article 42 de ce document traite de l’accès aux documents dans les termes suivants:

«Tout citoyen ou toute citoyenne de l’Union ou toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a un droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.»

13. En outre, il convient de tenir compte du fait que l’article 7 de la charte, sous l’intitulé «Respect de la vie privée et familiale», reproduit partiellement l’article 8 de la CEDH en indiquant que:

«Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications.»

14. Enfin, la déclaration 17 annexée à l’acte final du traité de Maastricht a affirmé la transparence du processus de décision comme étant un renforcement du caractère démocratique des institutions et de la confiance du public envers l’administration; elle invitait la Commission à présenter des mesures destinées à améliorer l’accès du public aux informations détenues par les institutions communautaires.

B – Le droit communautaire dérivé

1. Le règlement (CE) n° 45/2001 (7)

15. Adopté sur le fondement de l’article 286 CE, cet acte normatif constitue le principal élément de protection des données à caractère personnel lorsqu’elles reçoivent un traitement quelconque de la part des institutions communautaires. Il fait partie d’un ensemble de mesures législatives, avec les directives 95/46/CE (8) et 97/66/CE (9), qui constituent l’acquis communautaire en matière de protection des données à caractère personnel.

16. Dans le contexte du présent litige, il est utile de souligner quelques extraits de son exposé des motifs. On peut ainsi lire, à son huitième considérant, qu’«il y a lieu d’appliquer les principes de la protection des données à toute...

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