Eqiom SAS, formerly Holcim France SAS and Enka SA v Ministre des Finances et des Comptes publics.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2017:34
Docket NumberC-6/16
Celex Number62016CC0006
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date19 January 2017
62016CC0006

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 19 janvier 2017 ( 1 )

Affaire C‑6/16

Eqiom SAS, anciennement Holcim France SAS, et

Enka SA

contre

Ministre des Finances et des Comptes publics

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Législation fiscale – Liberté d’établissement (article 43 CE) – Libre circulation des capitaux (article 56 CE) – Directive 90/435/CEE – Retenue à la source appliquée aux dividendes sortants – Prévention de l’évasion fiscale – Abus de droit »

I – Introduction

1.

La présente affaire porte en substance sur la question de savoir dans quelles conditions un État membre peut refuser, au motif de la prévention de l’évasion fiscale, une exonération de la retenue à la source normalement accordée pour les versements de dividendes effectués par une filiale résidente au profit de sa société mère étrangère.

2.

Cette question a été soulevée dans le contexte d’une disposition française destinée à prévenir l’utilisation abusive de cette exonération, qu’impose en principe l’article 5 de la directive 90/435/CEE ( 2 ), applicable ratione temporis aux faits de la présente affaire. L’administration fiscale, en application de cette disposition, a refusé d’exonérer les dividendes distribués par une société établie en France à sa société mère luxembourgeoise. L’entreprise établie au Luxembourg était, quant à elle, indirectement contrôlée par une société dont le siège était situé en Suisse, et le contribuable n’a pas apporté la preuve, exigée dans ce type de situations, que la structure de la chaîne de participations n’était pas principalement motivée par des motifs fiscaux.

3.

La question soulevée est celle de la conformité de la mesure française, en principe dirigée contre une certaine forme de ce qu’il est convenu d’appeler le « directive shopping », à la directive 90/435 et aux libertés fondamentales ( 3 ). L’importance particulière de ce sujet a justement été illustrée récemment par l’intensification générale des efforts de lutte contre les pratiques fiscales abusives, tant sur le plan de l’Union européenne ( 4 ) que sur le plan international ( 5 ). S’il est nécessaire, ne serait‑ce que pour des raisons d’équité fiscale, de lutter contre l’évasion fiscale, il n’en faut pas moins assurer avec constance le respect du principe de proportionnalité dans ce cadre.

II – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

Le cadre de droit primaire de la présente affaire est formé par les dispositions relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux. Dès lors que le litige porte sur la légalité d’une retenue sur les dividendes distribués perçue en 2005 et 2006, il convient, s’agissant de répondre aux questions préjudicielles, d’avoir égard aux dispositions du traité dans sa version du traité d’Amsterdam ( 6 ).

5.

En ce qui concerne le droit secondaire, la directive pertinente est la directive 90/435. Conformément à son article 1er, paragraphe 1, chaque État membre applique cette directive :

« […]

aux distributions de bénéfices reçues par des sociétés de cet État et provenant de leurs filiales d’autres États membres,

[…]. »

6.

En ce qui concerne ce type de distributions de bénéfices, l’article 5 de la directive 90/435 dispose ce qui suit :

« Les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source. »

7.

L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 90/435 est libellé comme suit :

« La présente directive ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus. »

B – Le droit national

8.

Conformément à l’article 119 bis, paragraphe 2, de la version applicable à la présente affaire du code général des impôts (ci-après le « CGI »), les revenus distribués par des personnes morales françaises à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France sont soumis à une retenue à la source.

9.

Conformément à l’article 119 ter, paragraphe 1, du CGI, lu en combinaison avec le paragraphe 2 du même article, la distribution de revenus aux personnes morales est exonérée de cette retenue à la source dans certaines conditions. L’une de ces conditions est que la personne morale concernée justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ses revenus être le bénéficiaire effectif des dividendes et avoir son siège de direction effective dans un État membre de l’Union. La personne morale bénéficiaire doit en outre revêtir l’une des formes énumérées en annexe de la directive 90/435 et détenir 20 % au moins du capital de la personne morale qui distribue les dividendes.

10.

L’exonération ne s’applique toutefois pas, en vertu de l’article 119 ter, paragraphe 3, du CGI, lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États qui ne sont pas membres de l’Union, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage de l’exonération.

III – Le litige au principal et la procédure devant la Cour

11.

La présente affaire trouve sa source dans un litige opposant les entreprises Eqiom SAS et Enka SA, d’une part, à l’administration fiscale française, d’autre part.

12.

Un prédécesseur en droit de la société Eqiom, établie en France, a distribué des dividendes, en 2005 et 2006, à sa société mère et actionnaire unique Enka, dont le siège est situé au Luxembourg. Cette dernière était, à l’époque qui nous intéresse, presqu’entièrement détenue par une société établie à Chypre, elle-même contrôlée par une société dont le siège est situé en Suisse.

13.

L’administration compétente a refusé l’exonération de la retenue à la source prévue à l’article 119 ter, paragraphe 1, du CGI, lu conjointement avec le paragraphe 2 du même article, pour les dividendes ainsi distribués. L’administration a en effet considéré que les distributions de dividendes relevaient au contraire du paragraphe 3 de l’article en question, dès lors que le bénéficiaire n’avait pas pu démontrer que la chaîne de participations n’avait pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage de l’exonération. Les sociétés concernées ont introduit un recours contre cette décision.

14.

Le Conseil d’État (France), actuellement saisi de l’affaire, considère que le droit de l’Union est décisif pour la solution du litige et a déféré à la Cour, le 30 décembre 2015, les questions suivantes, au titre de l’article 267 TFUE :

« 1)

Lorsqu’une législation nationale d’un État membre utilise en droit interne la faculté offerte par le 2 de l’article 1er de la directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990, y a-t-il place pour un contrôle des actes ou accords pris pour la mise en œuvre de cette faculté au regard du droit primaire de l’Union européenne ?

2)

Les dispositions du 2 de l’article 1er de cette directive, qui accordent aux États membres une large marge d’appréciation pour déterminer quelles dispositions sont “nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus”, doivent elles être interprétées comme faisant obstacle à ce qu’un État membre adopte un mécanisme visant à exclure du bénéfice de l’exonération les dividendes distribués à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États qui ne sont pas membres de l’Union, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de bénéficier de l’exonération ?

3)

a)

Dans l’hypothèse où la conformité au droit de l’Union du mécanisme “anti-abus” mentionné ci-dessus devrait également être appréciée au regard des stipulations du traité, y a-t-il lieu d’examiner celle-ci, compte tenu de l’objet de la législation en cause, au regard des stipulations de l’article 43 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, alors même que la société bénéficiaire de la distribution des dividendes est contrôlée directement ou indirectement, à l’issue d’une chaîne de participations ayant parmi ses objets principaux le bénéfice de l’exonération, par un ou plusieurs résidents d’États tiers, lesquels ne peuvent se prévaloir de la liberté d’établissement ?

b)

À défaut de réponse positive à la question précédente, cette conformité doit-elle être examinée au regard des stipulations de l’article 56 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ?

4)

Les stipulations précitées doivent-elles être interprétées comme faisant obstacle à ce qu’une législation nationale prive d’exonération de retenue à la source les dividendes versés par une société d’un État membre à une société établie dans un autre État membre, lorsque ces dividendes bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États qui ne sont pas membres de l’Union européenne, à moins que celle-ci n’établisse que cette chaîne de participations n’a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de bénéficier de l’exonération ? »

15.

Des observations écrites sur ces questions ont été déposées devant la Cour par les requérantes au principal, le Royaume de Danemark, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne et la Commission...

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