Opinion of Advocate General Pitruzzella delivered on 17 September 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:730
Date17 September 2020
Celex Number62019CC0490
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 17 septembre 2020 (1)

Affaire C490/19

Syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier

contre

Société Fromagère du Livradois SAS

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Produits agricoles et denrées alimentaires – Indications géographiques et appellations d’origine – Protection de l’enregistrement d’une dénomination – Interdiction de l’utilisation par un tiers ou interdiction d’une présentation susceptible d’induire le consommateur en erreur sans utilisation de la dénomination »






I. Introduction

1. Par la demande de décision préjudicielle qui fait l’objet des présentes conclusions, la Cour de cassation (France) pose à la Cour une question portant sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, des règlements (CE) nº 510/2006 (2) et (UE) nº 1151/2012 (3).

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant le syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier (ci‑après le « syndicat ») à la Société Fromagère du Livradois SAS (ci‑après « SFL »), à l’égard de prétendus actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par cette dernière en méconnaissance de l’appellation d’origine protégée (AOP) « Morbier ».

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. L’Union européenne a institué une protection des AOP et des indications géographiques protégées (IGP) des produits agricoles et des denrées alimentaires, par le règlement (CEE) nº 2081/92 du Conseil du 14 juillet 1992 (4), abrogé et remplacé par le règlement nº 510/2006. L’article 13, paragraphe 1, de ce dernier règlement dispose :

« Les dénominations enregistrées sont protégées contre toute :

a) utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l’enregistrement, dans la mesure où ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou dans la mesure où cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée ;

b) usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, ou d’une expression similaire ;

c) autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un récipient de nature à créer une impression erronée sur l’origine ;

d) autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.

[...] »

4. Le règlement nº 510/2006 a été abrogé et remplacé, à partir du 4 janvier 2013, par le règlement nº 1151/2012. L’article 13, paragraphe 1 de ce dernier règlement est substantiellement identique à la disposition correspondante du règlement nº 510/2006, exception faite pour son application également aux produits couverts par la dénomination protégée lorsqu’ils sont utilisés en tant qu’ingrédients et aux « services ». Des dispositions analogues à l’article 13, paragraphe 1, des règlements n°os510/2006 et 1151/2012 sont prévues dans les différents régimes de qualité institués par l’Union (5).

5. En application du règlement (CE) nº 1241/2002 de la Commission, du 10 juillet 2002 (6), adopté conformément au règlement nº 2081/92, la dénomination « Morbier » a été inscrite au registre des AOP. Le cahier des charges lié à l’AOP « Morbier », tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) nº 1128/2013 de la Commission, du 7 novembre 2013 (7), applicable aux faits du litige au principal, décrit l’aspect visuel du Morbier comme suit : « Le “Morbier” est un fromage au lait cru de vache, à pâte pressée non cuite, de la forme d’un cylindre plat de 30 à 40 centimètres de diamètre, d’une hauteur de 5 à 8 centimètres, d’un poids de 5 à 8 kg, qui présente des faces planes et un talon légèrement convexe. Ce fromage présente une raie noire centrale horizontale, soudée et continue sur toute la tranche. Son croûtage est naturel, frotté, d’un aspect régulier, morgé, laissant apparaître la trame du moule. Il est de couleur beige à orangé avec des nuances brun orangé, rouge orangé et rose orangé. Sa pâte est homogène de couleur ivoire à jaune pâle avec fréquemment quelques ouvertures dispersées de la taille d’une groseille ou de petites bulles aplaties. [...] »

6. Le règlement (UE) nº 1129/2011 (8), entré en vigueur le 1er juin 2013, a réservé expressément l’usage du charbon végétal E 153 aux fromages de l’AOP « Morbier » (9).

B. Le droit français

7. L’article L. 722‑1 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi nº 2007‑1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon (10), applicable aux faits de la procédure au principal, dispose :

« Toute atteinte portée à une indication géographique engage la responsabilité civile de son auteur.

Pour l’application du présent chapitre, on entend par “indication géographique” :

[...]

b) les appellations d’origine protégées et les indications géographiques protégées prévues par la réglementation communautaire relative à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires ;

[...] »

III. La procédure au principal et la question préjudicielle

8. Le syndicat a été reconnu, le 18 juillet 2007, par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), comme organisme de défense pour la protection du Morbier. SFL, établie dans le Puy‑de‑Dôme (France), est une société qui fabrique et commercialise des fromages.

9. Le Morbier est un fromage qui bénéficie d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) depuis un décret du 22 décembre 2000, lequel a prévu, à son article 8, une période transitoire pour les entreprises situées hors de la zone géographique de référence définie par ce décret et qui produisaient et commercialisaient des fromages sous le nom « Morbier », afin de leur permettre de continuer à utiliser ce nom sans la mention « AOC », jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans suivant la publication de l’enregistrement de l’appellation d’origine « Morbier » à titre d’AOP par la Commission européenne conformément à l’article 6 du règlement nº 2081/92 (11). Ledit décret a été abrogé par le décret nº 2011‑441, du 20 avril 2011.

10. Ne se situant pas dans l’aire géographique à laquelle la dénomination « Morbier » était réservée, SFL, qui fabriquait du fromage sous la même dénomination depuis l’année 1979, a été autorisée, conformément à l’article 8 du décret du 22 décembre 2000, à utiliser celle‑ci, sans la mention « AOC », jusqu’au 11 juillet 2007, date à partir de laquelle elle lui a substitué la dénomination « Montboissié du Haut Livradois ». SFL a en outre déposé, le 5 octobre 2001, aux États‑Unis, la marque américaine Morbier du Haut Livradois, qu’elle a renouvelée en 2008 pour dix années et, le 5 novembre 2004, la marque française Montboissier.

11. Reprochant à SFL de porter atteinte à l’appellation protégée et de commettre des actes de concurrence déloyale et parasitaire en fabriquant et commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit couvert par l’AOP « Morbier » afin de créer la confusion avec celui‑ci et de profiter de la notoriété de l’image qui lui est associée, sans avoir à se plier au cahier des charges, le syndicat l’a assignée, le 22 août 2013, devant le tribunal de grande instance de Paris (France), afin qu’elle soit condamnée à cesser toute utilisation commerciale directe ou indirecte de la dénomination de l’AOP « Morbier », toute usurpation, imitation, ou évocation de cette AOP, toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit par quelque moyen que ce soit qui serait de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit, toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit, et spécialement toute utilisation d’une raie noire séparant deux parties du fromage, et à indemniser son préjudice.

12. Par un jugement du 14 avril 2016, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté l’intégralité des demandes du syndicat. Ce jugement a été confirmé par la cour d’appel de Paris (France) par un arrêt du 16 juin 2017. Dans cet arrêt, la cour d’appel de Paris a considéré, notamment, que n’était pas fautive la commercialisation d’un fromage qui présente une ou plusieurs caractéristiques figurant dans le cahier des charges du Morbier et qui s’apparente donc à celui‑ci. Après avoir énoncé que la réglementation sur l’AOP ne vise pas à protéger l’apparence d’un produit ou ses caractéristiques décrites dans son cahier des charges, mais sa dénomination, de sorte qu’elle n’interdit pas de fabriquer un produit selon les mêmes techniques que celles définies dans les normes applicables à l’indication géographique, et avoir rappelé qu’en l’absence de droit privatif, la reprise de l’apparence d’un produit relève de la liberté du commerce et de l’industrie, la cour d’appel de Paris a jugé que les caractéristiques invoquées par le syndicat, notamment le trait bleu horizontal, relèvent d’une tradition historique, d’une technique ancestrale présente dans d’autres fromages, qui ont été mises en œuvre par la SFL avant même l’obtention de l’AOP et qui ne reposent pas sur des investissements que le syndicat ou ses membres auraient réalisés. Elle a estimé que si le droit d’utiliser le charbon végétal est conféré au seul fromage d’AOP « Morbier », SFL a dû, pour se conformer à la législation américaine, le remplacer par du polyphénol de raisin, de sorte que les deux fromages ne sauraient être assimilés par cette caractéristique. Relevant que SFL a fait...

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